Après une campagne de financement participatif couronnée de succès (plus de $150 000 récoltés, ce qui fait de notre application mobile l’une des mieux financées sur ce type de plateformes), les développeurs de Dized se sont remis au travail d’arrache-pied. En attendant la sortie de l’application l’an prochain, nous avons lancé un blog (en Anglais) pour partager notre avancée et nos idées. Voici une traduction du premier billet. Ça restera sans doute celui qui parle le moins de notre application, il pourra paraître un peu basique pour certains, mais il nous semblait important de présenter le contexte et la réflexion à l’origine de notre projet. Bien entendu, vos avis et vos commentaires sont les bienvenus.
Depuis plus de 10 ans maintenant, le marché des jeux de société a connu une croissance constante, voire exponentielle, dans de nombreux pays occidentaux et émergents. Juste aux États-Unis et au Canada, les ventes de jeux de cartes et de figurines à collectionner, jeux de plateau, de cartes et de dés “modernes”, jeux de rôle sur table et jeux de figurines (“hobby games”, en Anglais) ont atteint 1,44 milliards de dollars en 2016, soit une progression de 21% par rapport l'année précédente.
Plus de 2000 nouveaux jeux sortent chaque année, dont une majorité de créations originales (contrairement à ce qui se produit actuellement dans le cinéma). Et ce n'est pas tout : toutes les études existantes prévoient que la croissance du marché continuera sur sa lancée pour les années à venir.
Un loisir pour tous ?
Par essence, les jeux de société devraient être une activité partagée par tous : ils existent depuis des siècles, tout le monde autour de vous a déjà joué à au moins un jeu de société dans sa vie, ce sont des jeux qui rassemblent, qui créent du lien, et il n'y a généralement pas besoin d'électricité ni d'appareils onéreux pour en profiter (la plupart de temps, une simple table suffit). Que demander de plus ? Et pourtant, les ventes de jeux de société restent insignifiantes comparées aux chiffres des jeux vidéo. Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer cela ?
Raison n°1
Il est souvent plus facile de trouver du temps pour jouer devant un écran ; la plupart des jeux vidéo ne requiert pas d'inviter des amis chez soi, et il est toujours plus simple de regrouper des joueurs en ligne que dans une même pièce. À l'inverse, jouer à un jeu de plateau nécessite un minimum d'organisation pour rassembler tous les joueurs. Est-ce une raison suffisante ? Nous n'avons pourtant aucun mal à nous retrouver à plusieurs pour tout un tas d'autres activités : aller au cinéma, assister à un concert, sortir au restaurant, ou même parfois… jouer à des jeux vidéo !
Raison n°2
L'image enfantine ou “geek” (voire les 2 en même temps) encore attribuée par beaucoup aux jeux de plateau pourrait être un autre obstacle pour que plus de personnes jouent à des jeux de société (ou les achètent). Les jeux vidéo étaient dans une situation similaire il n'y a encore pas si longtemps, et doivent leur légitimité actuelle principalement à deux raisons très simples : les joueurs d'hier sont les programmeurs et créateurs d'aujourd'hui, et les smartphones ont mis les jeux dans toutes les poches, volontairement ou non.
Cette évolution a également bénéficié aux jeux de société, amenant les nouvelles générations à se tourner plus naturellement vers d'autres types de jeux lorsqu'ils se retrouvent en famille ou entre amis.
Raison n°3
Les jeux de société peuvent aussi parfois être vus comme des produits onéreux, ce qui est un peu paradoxal quand on sait que la plupart des gens ne voit pas de problème à payer 11€ pour passer 2 heures au cinéma ou 15€ pour une heure de squash. Si une boîte de jeu à 45€ peut paraître un peu chère à première vue, c'est beaucoup moins vrai lorsqu'on considère les heures de jeu qu'elle procurera. En faisant juste 4 parties d'une heure avec 3 de vos amis, le coût d'une heure de jeu par personne tombe sous la barre des 3€. Et contrairement à une place de cinéma ou une séance de sport, vous pouvez toujours revendre votre jeu d'occasion après en avoir profité !
Raison n°4
La majorité des gens n'ont pas conscience de l'offre existante. Des centaines de nouveaux jeux formidables sont sortis rien que sur l'année 2016 (voici une liste intéressante), mais très peu d'entre eux, voire aucun, n'a trouvé le chemin du grand public ; est-ce une cause ou un simple symptôme ? Quoi qu'il en soit, c'est en train de changer petit à petit, mais cela prend du temps…
Raison n°5
Les jeux de plateau sont souvent considérés comme une activité compliquée. Cette impression provient sans doute du fait que, quel que soit le jeu auquel vous jouez, il faut d'abord que vous en appreniez les règles. Les règles sont en effet indispensables aux jeux de société : ce sont elles qui créent l'espace et les conditions selon lesquels les joueurs évoluent, réfléchissent, interagissent, élaborent des stratégies, rient, et enfin gagnent ou perdent.
– Comment je pense que je parle des jeux de société
– Comment je parle des jeux de société en réalité
Pour la plupart des gens, l'explication des règles est loin d'être une partie de plaisir. Il faut reconnaître que ça peut paraître un peu rébarbatif quand on a juste envie de s'amuser, et qu'on est habitué à pouvoir tout faire en un clin d'œil : envie de regarder un film ? Lancez Netflix ! Une petite faim ? Sortez votre smartphone et commandez une pizza. Besoin d'en savoir plus sur un sujet précis ? Demandez à Google…
Mais si vous voulez découvrir un nouveau jeu de plateau avec vos amis… pas de chance, vous devez passer de longues minutes à apprendre les règles avant que la partie puisse commencer.
Ce petit détail fait des jeux de société un loisir relativement exigeant. Apprendre de nouvelles règles est une corvée pour beaucoup de monde (surtout pour ceux qui ne se prêtent pas souvent à l'exercice), et certaines personnes se dérobent parfois par peur de paraître un peu bêtes devant leur amis.
De plus, lire un livret de règles est peut-être la façon la moins efficace d'apprendre un nouveau jeu, parce qu'on retient mieux en faisant les choses qu'en lisant comment les faire.
Si vous ne nous croyez pas sur parole, faites confiance à Eric Lang (auteur de Blood Rage, Arcadia Quest et plus JCC)
Les jeux vidéo comme exemple
Les jeux vidéo ne sont parvenus à toucher un plus large public qu'à partir du moment où ils sont devenus plus accessibles, plus riches en contenu et plus beaux (c'est sans doute discutable, mais on ne peut pas nier qu'il y a plus de choses à faire et à voir dans Zelda: Breath of the Wild que dans Pacman).
Dans les années 1980, on pouvait devenir complètement fous en essayant de terminer ne serait-ce qu'un niveau de Mega Man ou Ghost 'n Goblins. Aujourd'hui, il est rare d'avoir à recommencer le même passage d'un jeu plus de deux fois, et c'est toujours le résultat d'une décision calculée de la part des créateurs du jeu, plutôt que la conséquence d'une maniabilité hasardeuse.
Il y a quelques années encore, tous les jeux vidéo étaient vendus avec un petit manuel détaillant les fonctions de chaque bouton et l'univers du jeu ; ça n'existe plus aujourd'hui. Les titres sont désormais conçus pour tout expliquer aux joueurs pendant qu'ils jouent, dans le cadre de scènes introductives et interactives souvent soigneusement intégrées à l'histoire et à l'expérience de jeu.
Une petite partie ?
Au fil des années, les jeux de société sont devenus plus riches et intéressants, grâce à plus de diversité, à de nouvelles mécaniques de jeu, et à un matériel d'une qualité irréprochable – tout cela dans un souci assumé de séduire les adultes plutôt que juste les enfants. Mais auteurs et éditeurs continuent de se heurter au problème de l'accessibilité.
Les tendances les plus récentes (par l'influence des créateurs français ou asiatiques, notamment) ont permis au marché de proposer des jeux plus simples et plus épurés, mais les livrets de règles restent malgré cela le principal obstacle pour atteindre de nouveaux joueurs.
Vieux problèmes, nouvelles solutions
On ne peut pas prétendre qu'il s'agisse d'un problème récent. Ces dernières années, plusieurs solutions ont été proposées (ou expérimentées) :
- Bien entendu, avoir sous la main un ami qui aime lire les règles de jeux ET qui sait comment les expliquer reste la meilleure option. Ce sont souvent les meilleurs ambassadeurs pour notre loisir, mais ils ne courent pas les rues, et tout le monde n'a pas forcément de tels profils parmi ses connaissances (surtout quand on se lance dans les jeux de société). Sans compter que les lecteurs de règles compulsifs ont aussi une vie, et ne peuvent pas être à notre disposition à chaque fois que nous voulons jouer à un nouveau jeu.
Les cafés ludiques ou les festivals sont de bons endroits pour se faire expliquer un jeu par des personnes compétentes, mais ce n'est pas vraiment la même démarche que de jouer chez soi, entre amis. - Les éditeurs tentent de rendre les livrets de règles de leurs jeux plus ludiques et plus faciles à lire. On peut par exemple citer les jeux CGE (dont un des personnages agrémente généralement les livrets de règles de ses commentaires drôles et décalés), ou Jamaica, qui propose un grand poster dépliant présentant les règles du jeu de façon très graphique.
- Certains auteurs font également preuve de créativité pour intégrer l'apprentissage des règles dans les mécaniques, de sorte que le jeu lui-même les explique au fil des parties. Dans Andor ou dans Fabulosa Fructus, comme dans la plupart des jeux “Legacy”, les joueurs peuvent commencer à jouer avec juste quelques règles de base, qui s'étofferont au fil de la partie ou de la campagne. Naturellement, tous les jeux ne peuvent pas être conçus ainsi, mais on retrouve cette même démarche dans l'idée d'isoler dans la boîte des règles et des composants destinés à n'être ouverts qu'après quelques parties (comme dans le récent Panic Island, par exemple).
- Certains éditeurs ont été jusqu'à créé des applications pour expliquer les règles de leur jeu, mais cela reste assez peu courant, à l'exception des jeux dont le principe repose déjà sur une application (comme c'est le cas de XCOM: Le Jeu de plateau, par exemple).
Dans nos prochains billets, nous parlerons un peu de l'application développée l'an dernier par Playmore Games pour Race to the North Pole, et de ce que nous sommes en train de faire avec Dized, pour tous les jeux de société.
Si vous voulez en savoir plus sur Dized, n'hésitez pas à nous suivre sur Facebook, Twitter et Instagram.
[[Andor](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/andor)][[Fabulosa Fructus](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/fabulosa-fructus)][[Jamaica](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/jamaica-0)][[Panic Island !](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/panic-island)][[Race to the North Pole](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/race-to-the-north-pole)][[XCOM The Board Game](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/xcom-the-board-game)]