Le nouveau roi d’Anclisse, Harald V, vient de monter sur le trône et déjà les représentants des grandes maisons qui composent le Conseil royal se déchirent. Gérer les affaires du royaume n’a rien de facile, et lorsque les intérêts personnels entrent en jeu cela pourrait le faire basculer dans le chaos. Dans Le dilemme du roi, vous incarnez l’une de ces grandes familles et cherchez à tirer votre épingle du jeu pour réaliser les objectifs de votre maison. Nominé au Kennerspiel des Jahres 2020, il vient d’être localisé par Iello dans leur gamme « expert » et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est digne d’intérêt. Explications.
Avant de commencer votre première partie, chaque joueur va se choisir un paravent dont le recto représente les armoiries de sa maison tandis que le verso dresse un historique de votre famille, indique ses hauts faits (sortes d’objectifs à long terme) et sa devise, et comporte des espaces pour noter les objectifs secrets réalisés ainsi que les points de prestige et de convoitise accumulés. Vous devrez ensuite nommer votre dynastie tout juste créée. Derrière votre paravent, vous cacherez vos jetons pouvoir et vos pièces ; chaque joueur démarre avec la même quantité de chaque pour votre première partie mais cela changera par la suite. Le joueur avec le chiffre de maison le plus bas reçoit le jeton modérateur et choisit son objectif secret parmi 5 cartes tandis que celui qui a le chiffre de maison le plus élevé prend le jeton de meneur et choisira en dernier son objectif, les autres étant choisi dans le même ordre. Enfin, les joueurs prennent une carte « Nenni », une carte « Oui-da » et une carte « Passe » qui leur serviront à voter. Vient alors le moment (enfin !) de l’ouverture de la première enveloppe de votre campagne. Elle contient une carte « Histoire » qui pose la situation dans laquelle se trouve le royaume ainsi que trois cartes « Dilemme » que vous devrez mélanger et placer sous une tuile cache.
Les sujets à régler s'enchaînent et les ressources dont dispose le royaume évoluent sous nos yeux
Les tours vont alors se dérouler de la façon suivante. Au début du tour, une carte dilemme est piochée et un joueur la lit à haute voix. Chacune propose un choix entre deux options ayant des conséquences sur les ressources du royaume et pouvant les faire augmenter ou au contraire les abaisser sur le plateau de jeu. Un choix peut également conduire au collage d’un autocollant sur le plateau ou à l’ouverture d’une enveloppe. Les joueurs doivent alors procéder à un vote, en commençant par le meneur. À son tour, chacun pose devant son paravent l’une de ses cartes de vote. S’ils votent « Nenni » ou « Oui-da », ils posent sur leur carte le nombre de jetons pouvoir qu’ils souhaitent afin d’appuyer leur vote. Si un joueur dépose plus de jetons sur sa carte de vote que n’en a le meneur, il lui prend ce jeton et devient le nouveau meneur. Ce rôle peut donc être réattribué plusieurs fois au cours d’un vote. Le vote prend fin lorsque le tour du joueur à droite du meneur s’achève ; le vote qui a reçu le plus de jetons pouvoir l'emporte (en cas d'égalité, le modérateur tranche). Le camp gagnant dépense ses jetons pouvoir tandis que le camp perdant ne dépense pas sa mise. Les joueurs peuvent également jouer une carte passe qui leur permet, en plus de gagner une pièce, soit de prendre le jeton modérateur (uniquement pour le premier joueur qui le décide), soit de passer pour gagner du pouvoir (auquel cas les joueurs se partagent les points de pouvoirs dépensés lors du précédent vote).
Une fois le vote terminé, les ressources sont ajustées. En début de partie, les jetons ressources ont été placés aléatoirement sur leur face blanche ou noire. Si une ressource placée côté blanc devait augmenter, elle augmente encore plus rapidement, et l’inverse est vraie pour une ressource placée côté noir. Il peut donc y avoir un effet cascade. Sur le côté de la piste de ressources se trouve le jeton d’équilibre du royaume. Lorsqu’une ressource monte ou descend, ce jeton fait de même, et d’autant de cases que la ressource. S’il atteint l’une des extrémités de la piste, le roi abdique et la partie prend fin. Enfin, la résolution d’une carte dilemme peut amener au placement d’un autocollant ou à l’ouverture d’une enveloppe développant l’histoire et ajoutant de nouvelles cartes dilemme.
Que voter ?
Les tours s’enchaînent ainsi jusqu’à ce que le roi abdique ou qu’il meure (cela se produit après qu’un certain nombre de cartes dilemme a été résolu). On procède alors au décompte des points pour la partie selon les objectifs secrets de chaque joueur (position des marqueurs ressources sur la grille et nombre de pièces) ; de plus, les joueurs à qui il reste le plus de pouvoir prennent quelques points supplémentaires. À partir de la seconde partie, vous pouvez également gagner ou perdre des points selon les autocollants que vous aurez signés. La famille avec le plus de points remporte la partie, mais tous les joueurs gagnent des points de prestige et/ou de convoitise, en fonction de leur classement et de la manière dont la partie s’est terminée (mort du roi ou abdication). Quant à savoir qui gagne la campagne, rien n’est explicitement écrit dans le livret de règles, cela reste donc pour l’instant un mystère pour nous ! N’est-ce pas excitant ?!
Pour tout vous dire, Le dilemme du roi a fait un énorme tabac à la maison ! Nous avons passé de longues minutes à débriefer après chaque partie, reparlant de l’histoire, des votes de chacun, et de comment la campagne pourrait évoluer par la suite. L’univers est très immersif, il est extrêmement plaisant de voir l’histoire avancer, de découvrir ce monde ; et merci Iello, la traduction est impeccable, ce qui est crucial dans les jeux narratifs (comment profiter d’une histoire gorgée de fautes de langue ?) ! On se prend rapidement au jeu, à rechercher le meilleur intérêt pour sa maison, à nouer et monnayer des alliances que l’on détruira au vote suivant, pour au final renouer si le besoin s’en faisait sentir.
La tension autour de la table est à son comble, le marqueur balance est presque au bout de la piste !
Les règles se comprennent extrêmement facilement, je pense que dès que l’on sait un petit peu bluffer et argumenter cela ne pose pas de soucis, les 16 ans indiqués sur la boîte concernent plutôt le contenu du jeu. En effet, vous serez parfois amené à faire des choix que l’on pourrait considérer comme immoraux, et à servir vos intérêts particuliers avant ceux du royaume, faisant ainsi plonger une partie de la population dans la pauvreté ou déclenchant une guerre meurtrière, ou qui sait quoi d’autre ? Un avertissement au lecteur en première page du livret de règles met en garde et rappelle que tout se déroule dans un univers fictionnel, aucun être vivant n’a été maltraité pour produire cette histoire !
Vous devrez sans cesse jongler entre vos intérêts familiaux et celui du royaume. Chaque vote a de l’importance et il y aura toujours moyen d’en tirer parti, même si vous vous fichez comme d’une guigne du résultat ! Par exemple, en monnayant le fait de ne pas vous ranger dans un camp ou dans l’autre. Ou encore pour faire pencher la balance d’un côté, notamment si vous détenez le précieux jeton modérateur ! Chaque décision prendra son importance en temps voulu et cela rend l’expérience réellement immersive !
Les armoiries des grandes familles sont toutes plus originales les unes que les autres !
Le dilemme du roi est un jeu qui se déroule en campagne et constitue ce que l’on appelle communément un jeu « legacy ». Cela signifie qu’au cours de votre campagne, qui durera environ une quinzaine de parties, vous serez amené à ouvrir des enveloppes contenant des cartes révélant une partie de l’histoire qui évoluera selon les choix que vous aurez faits. Vous collerez également des autocollants sur le plateau de jeu, signerez des cartes et cocherez de nombreuses cases au dos de votre paravent de famille. Le matériel est donc définitivement modifié et il vous sera impossible de rejouer avec votre exemplaire du jeu une fois votre campagne terminée. Le jeu vous fera vivre une grande aventure dont vous vous souviendrez longtemps, et si le cœur vous en dit, une fois votre jeu terminé, pourquoi ne pas recommencer une campagne avec d’autres joueurs afin d’explorer d’autres ramifications de l’histoire, avec une famille aux objectifs complètement différents ? Par ailleurs, sachez que le « Dilemma card system » sera sans doute réutilisé par l'éditeur originel du jeu, Horrible Guild, pour nous proposer à l'avenir de nouvelles aventures immersives !
Pour notre part, nos compagnons de jeu étant repartis chez eux après les fêtes de fin d’année, et craignant la perspective de potentiels reconfinements à venir dans les prochains mois, ils ont emmené dans leurs valises leurs paravents de maisons ainsi que leurs cartes de vote afin de tester les parties à distance dans les prochaines semaines, l’envie de rejouer étant trop forte pour attendre de les revoir ! Il ne me reste plus qu’à vous transmettre tous mes vœux pour cette nouvelle année qui s’annonce, puisse-t-elle être 2021 fois plus belle que la précédente.
La carte de notre beau royaume d'Anclisse
Vous trouverez ci-dessous le récit de nos premières parties (déroulez tout en bas pour la fiche technique si vous préférez découvrir l’histoire par vous-mêmes) :
En ce jour de l’an 1420 A.D., se sont réunis en grand conseil sa majesté le roi Harald V, assisté par les éminents représentants des familles Dopikan, Languefourchue, Rasta et Souslevent. Après avoir prêté le serment solennel de servir au mieux les intérêts du royaume, en-dehors de toute considération personnelle, les sujets suivants ont été abordés et des décisions ont été prises.
Il a été porté à notre connaissance que des contrebandiers au nord du royaume désiraient nous fournir en métal « rougefer », capable de percer les meilleures armures, et nous avons décidé d’accepter et d’en équiper notre armée. Néanmoins, nous avons rapidement perdu le contact avec eux et avons préféré ne pas envoyer l’armée pour enquêter afin d’éviter d’entrer en conflit avec notre voisin du Nord, le royaume d’Enkhal, dont nous ne connaissons presque rien. Le cadavre de l’un des contrebandiers nous a été renvoyé quelques jours plus tard avec un message portant le symbole d’Enkhal. Nous avons donc décidé d’envoyer des diplomates au Donjon écarlate pour tenter d’apaiser les tensions. Pour prouver notre bonne foi, nous avons accepté d’importer dans notre royaume une marchandise fabriquée là-bas, une sorte de lait de chèvre fermenté faiblement alcoolisé. Nos soldats en ont été ravis !
Par ailleurs, une terrible sécheresse fait rage dans le marquisat de Tiryll, réduisant les paysans à la famine. Il a donc été décidé d’importer du blé du royaume voisin de Mhuir, mais la couleur gris cendre qu’il donne au pain a rapidement inquiété certains érudits, poussant le peuple à brûler ce blé. Malheureusement, les épaisses fumées dégagées par ces brasiers sont retombées sur d’autres champs, les contaminant également. Ceux qui en consomment développent d’étranges marques grises sur leur corps et sont désormais appelés « Cendreux » par la population, stigmatisés et ostracisés. Ils commencent donc à commettre des délits pour survivre. Parallèlement, des milices privées de « Protecteurs » se mettent en place pour combattre les Cendreux, et une guerre civile menace d’éclater. La punition des Protecteurs ramène un semblant de paix dans la cité de Vandis, où les Cendreux sont les plus nombreux. De plus, nous avons découvert que le pain gris semblait donner des visions de l’avenir à certains Cendreux, ce qui pourrait expliquer une partie de leurs déchaînements de violence par une volonté d’éviter que des crimes ne soient commis. Nous sommes pour l’instant démunis face à ce phénomène que nous ne parvenons pas à comprendre, néanmoins cette révélation aura eu l’intérêt d’amener l’ensemble du royaume à consommer du pain gris, et les Cendreux ne sont donc plus ségrégés.
Reste à savoir ce que l’avenir nous réserve, affaires (du royaume) à suivre !
Fiche technique
Éditeur : Iello
Auteur : Lorenzo Silva et Hjalmar Hach
Illustrateur : Giorgio Baroni et Giulia Ghigini
Nombre de joueurs : 3 à 5 joueurs
Âge : 16+
Durée : 60 minutes
Et pour rester dans l’ambiance : je vous propose d’écouter la performance de Jonathan Groff (connu notamment pour avoir joué dans l’excellentissime série Mindhunter et pour avoir été la voix d’un des personnages de la Reine des neiges) dans la chanson You’ll be back tirée de la comédie musicale Hamilton (ça parle de l’indépendance américaine et de la position du roi Georges III). Et pour vous rendre compte que gérer des affaires d’État n’a rien d’évident, jetez un œil à la série The Crown qui retrace le parcours d’Elizabeth II !