Après un article tellement long qu’il ne tiendrait pas sur 150 tweets (ici), voici la suite !
Pour ceux qui auraient la flemme de lire l’article précédent, on peut le résumer ainsi “y’a des jeux de société qui permettent de réviser du par cœur, mais dans l’ensemble, c’est pas trop efficace et y’a pas moyen d’apprendre à faire des trucs avec un jeu, si” ?
Quand Gigamic a publié sa fiche pédagogique pour le quarto, je me suis dit que cette fiche était trop limitée. Elle permettait d’apprendre à jouer au quarto, et dégageait quelques points pédagogiques comme le vocabulaire, mais cette fiche n’abordait pas ce qui fait tout le sel de ce jeu, à savoir la tactique. Je me suis donc mis à écrire de nouvelles fiches, avec dans l’idée de faire un parallèle entre le jeu quarto et des expériences en sciences. Dans mon esprit, j’allais utiliser le quarto pour apprendre aux élèves à analyser une situation, en tirer des conclusions et à agir en conséquence.
La sculpture des figurines n’est pas très fun, mais il est vrai qu’elles ne sont pas peintes sur cette photo.
Ce fut un échec : je parvenais en effet à faire le parallèle entre expériences en sciences et quarto, mais le résultat était, il faut bien le dire, chiant à mourir ! En effet, quarto n’est déjà pas le jeu le plus fun du monde, alors la méta-analyse d’un coup (l’analyse d’un coup, puis l’analyse de la procédure utilisée pour pouvoir la transférer sur une expérience scientifique) a de quoi dégoûter n’importe qui d’y jouer.
Le plaisir de jouer repose sur de nombreux critères, parmi lesquels l’épuration de la mécanique du jeu pour ne garder que ce qui est intéressant. Essayer d’utiliser le quarto pour en faire autre chose rendait le jeu désagréable. Mieux valait apprendre aux élèves à analyser une situation avec autre chose, et le plus simple était encore de le faire avec des expériences en sciences.
Déjà à l’époque, des effets spéciaux incroyables qui permettaient
de mettre la tête d’un papa souriant où on voulait.
Prenons un autre exemple, la bataille navale. Son système de codage est au programme de l’école primaire, et on pourrait donc imaginer enseigner ce système grâce au jeu de la bataille navale … Mais c’est encore une fausse bonne idée. Le système de codage est un prérequis du jeu. On n’apprend pas à coder avec le jeu, on code avec le jeu. Des moments d’une partie de bataille navale permettent d’illustrer l’explication de ce codage, mais on ne peut pas faire jouer un enfant qui ne l’a pas compris en espérant qu’il comprenne par le jeu. Il peut être pertinent de faire jouer cet élève en difficulté avec le tutorat d’un autre élève, mais c’est le tuteur qui se servira du jeu comme média pour expliquer la notion. Deux élèves en difficulté ou un élève contre un ordinateur ne progresseront pas. Et utiliser ce jeu pour évaluer les élèves, c’est encore une fausse bonne idée, car il faudrait un enseignant derrière chaque partie.
Le plus simple pour l’évaluation reste un exercice à base de carte au trésor et de déplacement pour éviter les pièges, le tout écrit pour permettre une validation plus tard.
Alors pas de jeu dans la construction de savoir, ou de savoir-être ?
Je ne pouvais pas faire un deuxième article sans une photo de Montcuq !
On cite souvent les jeux de société comme source de socialisation. Méfions-nous ai-je envie de dire (et du coup je l’écris). Car si les jeux sont largement utilisés à l’école maternelle pour faire comprendre aux enfants l’importance du partage, l’importance du respect du matériel, du respect des autres, et plus largement l’importance de se plier à des règles communes quand on vit en société, la donne change lorsque les enfants grandissent. Rappelons-nous d’une certaine Lizzie Magie qui inventa un jeu pour montré que la propriété terrienne amenait le monopole et par conséquent la pauvreté d’une majorité. Si la mécanique du monopoly est bien adaptée à ce qu’elle voulait démontrer, le succès du jeu à montrer que le jeu seul ne pouvait en aucun cas remplacer le discours qu’il était censé accompagner. Apprenons donc de la mésaventure de Lizzie, qui créa un jeu qui m’apprit à moi le plaisir qu’on peut avoir à arnaquer plus jeunes.
Nous avons donc prouvé que le jeu ne permet pas d’apprendre.
On notera que la phrase précédente est fausse, que je n’ai rien prouvé du tout, mais écrit en gros comme ça, il y a des chances que ça fasse vrai.
C’est alors que s’amoncellent moult commentaires (notamment dans l’article précédent) de parents, d’enseignants, voire d’éditeur de jeux dits éducatifs, prouvant le contraire par l’expérience. Citons ,
thibothib29 :
c’est grâce aux jeux que j’ai permis à mon petit frère de devenir quelqu’un d’autre, totalement contraire aux diagnostics initiaux et injustifiés de médecins et de spécialistes en tout genre
J’ai envie de dire à thibothib29 (et à Renaud_J_99), oui, des enfants ont grandement progressé avec des jeux de société, mais ce n’est pas grâce aux jeux de société.
Qu’est-ce qu’un jeu ?
“Le jeu, c’est tout ce qu’on fait sans y être obligé.”
Mark Twain
Le jeu est de l’ordre du plaisir. Les enfants jouent car ils aiment ça. On ne peut pas obliger quelqu’un à jouer, sinon, ce n’est plus un jeu, mais une activité obligatoire. Demandez à une mère de vous raconter son accouchement (oui, il y a un rapport avec le jeu, patience). Beaucoup ont souffert, mais peu seront capables de se rappeler des détails sur la durée, l’intensité de la douleur, ou d’autres détails désagréables. Alors que des détails bien plus anecdotiques associés à des moments de bonheur sont restés en mémoire. Le cerveau fonctionne ainsi : il enfouit loin ce qui est désagréable, pour mieux se souvenir des bons moments.
Alors forcément, avec un enfant en difficulté, donc en souffrance, tenter de rabâcher une notion non comprise par des méthodes déjà utilisées sans succès va plus s’apparenter à un accouchement dans la douleur, alors que jouer à un jeu de société avec des êtres aimés utilisant ces mêmes notions va être autrement motivant et agréable à retenir. Ce n’est pas le jeu qui permet de progresser, mais le fait de penser, d’agir, voire simplement d’observer en étant disponible intellectuellement car au moins momentanément apaisé, sinon heureux.
Entre le jeu et l’exercice, il y a la même différence qu’entre le cours magistral et le one-man-show. Le premier peut parfois s’approcher du second quand le sérieux affiché se permet de laisser de la place à la joie, à l’humour, à la dédramatisation. Prenez l’article dont j’écris ici la deuxième partie, faites un copier-coller, et enlevez les images marrantes et les blagues écrites pour ne laisser que la leçon de pédagogie. Combien de lecteurs de Tric-trac seraient allé au bout ? Y aurait-il eu autant de commentaires et d’échanges ensuite ? J’ai passé plus de temps à rendre ça marrant que sur les principes pédagogiques, parce que je pense que c’est ça mon travail : faire passer sans douleur des trucs pas trop digestes (là je vous laisse insérer votre propre image rigolote).
“La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant.”
Friedrich Wilhelm Nietzsche
Voilà, pour ceux qui vous diront que les enfants sont moins concentrés quand ils jouent, vous leur citerez du Nietzsche, en évitant d’ajouter PTDR derrière, sinon ça perd en force.
Tout ça pour dire que le jeu, et le jeu de société en particulier, n’est ni la panacée de l’éducateur, ni un truc inutile. Il ne suffit pas de laisser un jeu au fond de sa classe pour se donner bonne conscience, ou faire des jeux de société en assurant faire une séance sur la citoyenneté car les élèves doivent suivre des règles. Le jeu est un outil, au même titre que la voix, les livres, internet ou les magazines, et il peut être efficace car il amène souvent ce qui manque en ce bas monde, de l’amour, du plaisir, de la joie !