Enseignant (instituteur), amateur de jeux de société et créateur de prototype de jeu, j’ai lu la retranscription d’une table ronde Jeu Educatif - Paris Est Ludique 2015 (clique petit curieux et clique ici si tu ne sais pas lire) et j’ai été frappé par le point de vue de Bruno Faidutti, enseignant, auteur à succès et anti jeu éducatif.
Comment pouvait-on être contre les jeux éducatifs quand on était enseignant et auteur de jeu ? La lecture de la retranscription de la table ronde m’a donné envie de pousser le sujet, dont voici ma modeste contribution.
Mes jeux ne sont pas du tout éducatifs.
Je fais même tout pour qu’ils ne le soient pas.
Bruno Faidutti
Dans la pratique, quand rencontre-t-on un jeu de société à l’école ?
1) Les veilles de vacances. Il est courant d’autoriser aux élèves d’amener des jeux de société la veille des vacances. Le jeu y est ici d’abord considéré comme récréatif, même si les enseignants peuvent y mettre quelques vertus pédagogiques. Le jeu est alors une sorte de transition entre l’école et les vacances, un moyen de finir l’année de façon détendue. On pourrait le remplacer par du sport ou un goûter, l’intérêt ici est d’être ensemble et de décompresser.
2) Le jeu de temps libre. Certains élèves finissent avant les autres et sont en “temps libre”. Certains enseignants (c’est mon cas), se débrouillent même pour que chaque enfant puisse avoir un temps libre dans la semaine. Pendant ce temps, un élève fait ce qu’il veut : finir un dessin, lire un livre, une BD, un magazine, faire un origami, un tangram, résoudre une énigme … ou faire un jeu de société ! Par commodité, les enseignants préfèrent des jeux qui peuvent se pratiquer seul ou à deux, comme chronicards, timeline, gagne ton papa, et autres jeux de puzzle (dont le tangram).
Ce n’est pas le plus courant. À part en école maternelle ou le jeu a une place centrale, le jeu de société est loin d’être présent dans toutes les classes. On remarquera l’effort de Gigamic qui a fait des fiches pédagogiques à destination des enseignants pour quelques-uns de ces jeux. Mais dans l’esprit de beaucoup, le jeu n’a rien à faire dans une salle de classe.
3) Le jeu avec une visée éducative. Utiliser par l’enseignant à des fins pédagogiques, on le trouve souvent dans des moments de soutien scolaire, comme approche différente avec un petit groupe d’élèves en difficulté. Je dis jeu avec une visée éducative et non jeu éducatif car ce sont parfois des jeux qui n’ont rien d’éducatif à la base. Jouer à un jeu de l’oie permet de faire lire, jouer au yam’s permet de faire compter. Ce sont des exemples extrêmes, avec des élèves en rupture avec les apprentissages, et le but ici est plus de renouer un lien entre l’enfant et les apprentissages.
Autre jeu à visée éducative, le questionnaire déguisé en jeu. Prenez les questions d’une ou plusieurs évaluations, mais au lieu de les donner à faire par écrit, organisez la classe en jeu (du type jeu télévisé), ou type jeu de société (par exemple Pique plume conseillé par charivari). Il s’agit ici de révision, mais faites de façon ludique. L’efficacité de ce genre de révision dépend bien sûr de plusieurs paramètres.
4) Le jeu de cour de récréation. Billes, cartes à collectionner, ce sont souvent des objets de mode et leurs règles comptent moins que le fait de les posséder.
La marelle, star des récréations.
Comment ça, j’aurais pu trouver une autre image de marelle ?
M’en fiche, j’adore Todd McFarlane ! Et cet album !
Que voit-on avec ce petit aperçu ? Que le jeu de société, presque tout-puissant en maternelle, disparaît presque totalement dès le CP.
Pourquoi ?
Parce que les programmes de l’école élémentaire sont trop chargés pour avoir le temps de jouer d’abord. Si on comprend aisément l’absence ou la rareté des jeux vus dans les points 1 et 2, on peut se poser la question de la rareté des jeux à visée éducative, voire pédagogique (et le point 4, on s’en tape, on n’est pas là pour rigoler !).
Lorsqu’on aborde une nouvelle notion en maths ou en français, on découvre une nouvelle règle (et son cortège d’exception si on est en français). Il faut donc :
- découvrir la règle
- en avoir une trace écrite (écrire la leçon par exemple)
- mémoriser cette règle (leçon à apprendre par exemple)
- mettre en pratique cette règle (exercices d’application, de révision, d’évaluation, de remédiation).
Or s’il n’est pas évident de faire les deux premiers points sous forme de jeu, les deux derniers peuvent être fait de manière ludique.
Pourtant je rejoins Bruno Faidutti dans sa méfiance envers les jeux éducatifs. On en trouve 3 sortes à mon humble avis :
- le jeu de questions-réponse sans finesse
- le jeu classique (memory, loto, domino, jeu de l’oie) sur lequel on colle artificiellement des savoirs (75% des jeux de société dans une maternelle)
- le jeu ou la mécanique est adaptée, voire pensée pour l’acquisition de certains savoirs.
C’est Pierre Desproges qui disait que “C’est Victor Hugo qui disait que les calembours, c’était des pets de l’esprit”. C’était juste pour aérer mon texte.
La première sorte (le jeu de questions-réponses, suivez s’il vous plaît !), a l’avantage qu’ont (tous) les jeux de dédramatiser, mais a une efficacité pédagogique des plus réduites par rapport au temps pris.
Je peux appeler un ami ?
La seconde (jeux classiques rethématisés) a l’avantage d’être souvent jouable silencieusement et auto-corrective, mais a également une efficacité des plus limités. J’ai notamment à l’esprit ce jeu de conjugaison/domino ou les têtes d’animaux permettent soit-disant une auto-correction. Mais pourquoi l’enfant regarderait les terminaisons alors qu’il a une autre façon de jouer bien plus simple en regardant les animaux ? Et si jouer au memory permettait de mémoriser efficacement ce qu’il y a sur les cartes, on trouverait des méthodes pour adultes à base de memory. Ici, le jeu est l’enrobage sucré qui est censé permettre de mieux avaler un savoir donné à dose homéopathique.
Désolé de te le dire Kévin, mais tu ne sais pas conjuguer.
Par contre, tu sais reconnaître un singe qui louche, c’est déjà pas mal …
La troisième est formidable. C’est le jeu dont la mécanique est adaptée au savoir à acquérir. Elle est motivante, dédramatisante, efficace … Malheureusement, je n’ai trouvé qu’une sorte de savoir développé efficacement par certains jeux de société, le “par cœur”.
Revenons au jeu de la poule. Ce système cousin du memory permet aux joueurs ayant retenu les bonnes réponses de gagner. La mécanique du jeu permet d’entendre souvent questions et réponses et donc de mémoriser au fur et à mesure du jeu. Chaque joueur est interrogé sans avoir l’aide de son équipe et fait donc à son tour avancer ou non son équipe (grosse pression psychologique sur les plus faibles, à l’enseignant de faire en sorte que cette pression reste positive).
Jeu formidable pour réviser des règles et des exceptions, mais d’aucune utilité pour apprendre à résoudre un problème ou écrire un texte. Cela reste un jeu de question-réponse, bien pensé, mais qui permet de mémoriser, pas de comprendre.
Alors, il doit bien exister des jeux qui permettent d’apprendre d’autres notions scolaires ?
Suite dans un prochain article …
Bah non, la suite ici.