Dragon Keeper, épisode 1 : de la genèse à l’extinction.
John Hammond n’avait rien compris lorsqu’il farfouillait dans les moustiques pour y trouver des dinosaures. Car on le sait aujourd’hui, les derniers dinosaures c’est Daenerys qui les a.
Voici comment j’ai découvert que les dinosaures sont les ancêtres des dragons. Et chacun reconnaitra qu'un seul dragon c’est largement plus badass que dix plodocus.
Un soir de septembre 2014, alors que mon chef m’envoie surveiller de nuit une plage où ne se promenaient que quelques oiseaux et tortues marines, mon cerveau lui n’a qu’une envie, dormir.
Dormir n'est évidemment, et malheureusement, pas le but de ma présence sur cette plage tropicale. Impossible de lire car il faut de la lumière pour ça. Quant au téléphone, ce n’est pas discret non plus. Je ne parle même pas d’écouter de la musique car il faut entendre avant d’être entendu.
Bref, il me faut trouver un stratagème pour tenir mon cerveau éveillé.
Etant 36 heures plus tôt au CNJ pour ma première finale de Boulogne, et ayant passé la semaine précédente à faire des rencontres ludiques, j’opte comme arme anti dodo la pérégrination ludique neuronale. C’est la seule chose à même de lutter contre le décalage horaire et la semaine réjouissante, mais épuisante, que je viens de passer.
Il ‘suffit’ simplement de chercher de nouvelles idées ludiques, puis, quand on en tient une, la triturer, la retourner, l'amplifier, l'amputer … jusqu’à ce qu’on la jette pour une autre, ou qu’on la juge assez intéressante pour la torturer un peu plus. Et cette idée, je la trouve à la deuxième de mes dix nuits de surveillance.
Cette idée étant d'un naturel assez exclusif, elle décide d'occuper toute seule mon cerveau assez peu extensible. Je passe donc mes heures de veilles à élaborer cette mécanique dans mon esprit tordu. Mais si je parviens à me concentrer sur les déroulements logiques, les défauts prévisibles, les blocages à éviter, je ne suis pas assez frais pour en faire un jeu, c’est-à-dire une jolie mécanique dans un thème qui va bien. Et pour être tout à fait honnête, mon cerveau est rarement assez frais quand il s’agit de partir d’un thème.
De retour dans mes pénates ce manque de thème me turlupine de plus en plus. Et c’est là que sur facebook, je lis la boutade d’un éditeur indiquant qu’il cherche un jeu sur les dinosaures.
Cela allait pas mal. J’ai enfin mon thème. Et j’ai également mon titre : Raptor.
Petite précision pour préciser car c’est important de préciser, mon proto n’a rien à voir avec le Raptors des deux Brunos. CQFP
Dos de carte de mon premier prototype.
Je me retrouve donc avec des raptors qui chassent en meute. Cela colle bien à ma mécanique, même si c’est un peu froid. Ni une ni deux, je rédige mes règles du jeu et je le "prototypise". Comme à chaque fois que je fais ma première partie d’un proto duquel j'espère beaucoup, je stresse pas mal ayant peur de me rendre compte d’avoir eu une bonne mauvaise idée ou une mauvaise bonne idée.
Première partie vraiment prometteuse, mais … (avez-vous déjà remarqué comme "mais" est un mot agaçant ?) … mais le décompte est totalement incompréhensible, inexplicable par le thème, et s’avère hyper compliqué.
Ceci dit, les sensations de jeu sont là, l’interaction est aussi forte que je le souhaite, la tension aussi. Mais pas de fin !!!
Deux mois à ressasser ça, à me poser devant mon proto, à rester là, bloqué. Deux mois pour trouver une fin qui soit facilement lisible, facilement calculable, et surtout que l’on peut avoir en tête durant la partie pour optimiser au maximum.
Un jeu sans fin, c'est comme un baiser sans moustache, comme une soupe sans cheveu, comme un jeu de quilles sans chien.
Je ne sais plus comment est venu le déclic, mais la solution s’est présentée à moi, assez évidente en fait. Youpi de nouveau. J’ai un début, j’ai un milieu, et j’ai désormais une fin qui tient la route. Joie, bonheur, délivrance.
Après une bonne série de tests concluants, j’envoie les règles au fameux ‘éditeur dinosaures’ après qu’on s’en soit touché deux mots sur messagerie instantanée.
Je parle également de mon Raptor sur la page facebook de ma création ludique ainsi que sur la protozone. Nous sommes fin novembre.
Les dossiers pour le concours de Boulogne approchant, je contacte Laurent Escoffier que j’ai eu le plaisir de revoir à la finale de Boulogne 2014 et qui reste LA référence de ce concours. Il m’a dit qu’il ne serait pas jury et je me sens donc libre de lui demander conseil pour le concours 2015. Je lui dis que j'hésite à présenter Qwadrat’, comme il me l’a conseillé, ou Raptor en qui je crois vraiment. Voici en gros ce qu’il me répond :
Donc ouais, pas facile dans l'absolu de choisir entre ces 2 jeux, mais comme c'est pour Boulogne, mon choix est fait ;) Qwadrat’ est clairement le plus OLNI des deux. C’est lui que j’enverrai.
Raptor a tout du jeu éditable, il est même TROP éditable pour Boulogne. Envoie-le direct à ilopeli/(un autre éditeur), etc. !!
[Mode lèche botte ON : Concernant ces deux jeux, la suite démontrera que monsieur Escoffier n’est pas seulement un auteur de talent mais que c’est aussi un devin, et, chose rare, un devin de bon augure. Mode lèche botte OFF]
Deux jours après cette discussion, début décembre, un tout jeune éditeur me contacte car il est intéressé par ce qu’il a vu de mon Raptor sur FB et la protozone. Elle n’est pas belle la vie !?! Plus besoin de contacter les éditeurs, ce sont eux qui font le premier pas :D . Je préviens donc mon ‘éditeur dinosaure’ de l’intérêt de ce nouvel entrant et lui demande si je peux diffuser les règles à d’autres. Or, qui ne dit mot consent, et au bout de quelques jours sans réponse, j’envoie les règles à cet éditeur numéro deux lui précisant qu’il n’est pas le seul à l’avoir en lecture.
Matériel de mon prototype Raptor le plus abouti.
Note importante pour les auteurs néophytes et naïfs qui pourraient lire ces quelques lignes :
Si la chronologie des évènements décrits par la suite est rigoureusement exacte et certifiée par l’horloge de monsieur Zuckerberg, ne vous attendez jamais, ô grand jamais à avoir des réponses aussi rapides. Cela n'arrive que dans les rêves et les mauvaises fictions.
Le 19 décembre, je discute avec Arnaud Urbon, monsieur ilopeli, de nos jeux, de nos projets, etc. Puis on en vient à parler de Raptor. Il me demande si je peux lui envoyer les règles. Ce que je fais, en lui précisant qu’il n’est pas le seul à les avoir. Réglez vos montres, nous sommes à la minute M !
- M+6 Arnaud a imprimé les règles ;
- M+17 Arnaud les a lues ;
- M+18 Arnaud me donne ses première idées d’amélioration avec des tuiles et de la figurine ;
- M+19 Arnaud me demande les planches à imprimer
- M+22 Arnaud a un proto prêt à plastifier et découper.
(NDLR : Non, Arnaud n'est pas Martine)
Un de mes protos en lecture chez trois éditeurs, dont deux qui me l’ont demandé et le dernier qui l’a déjà imprimé … Bah oui, c’est vraiment Noël !
Le 24 décembre, retour sur terre, la magie de Noël se ternit. L’éditeur numéro deux m’indique qu’il n’a pas retenu Raptor. Si généralement on se plaint de la lenteur des éditeurs, celui-là avait été rapide …
Les vacances passent, et le 4 janvier, je reçois ce message :
« Salut Etienne, je te souhaite une excellente année 2015 à toi et ta famille. Par rapport au proto Raptor, plusieurs parties au compteur déjà et je peux déjà t'annoncer que je vais l'éditer. Quelques modification cependant : le thème (manger des dinosaures ça ne le fait pas) (…) »
Qu’ouïs-je, qu’entends-je, qu’acoustiquais-je, que lis-je …
Je relis le mail une fois, deux fois, douze fois, histoire d’être sûr de ne pas avoir oublié une négation, de ne pas avoir lu ce que je voulais lire. A plus de 6500 kilomètres de la ludique France, j’ai trouvé un éditeur pour un de mes jeux. Comme quoi, avec un peu (beaucoup) de chance, quand les choses doivent se faire …
Conclusion, ne cherchez plus : l’extinction des dinosaures n’est due ni aux Trapps du Deccan, ni à une météorite du Yucatan.
Nous le savons aujourd'hui, les dinosaures ont disparu, rayés de la carte (à jouer) par Arnaud qui, tel un dieu vengeur et despotique, a décidé que les dinosaures n’avaient pas leur place en dehors du/de Jurassik !
Et n'espérez pas que John Hammond les ressuscite, c’est de la science-fiction tout ça.
Dans le prochain épisode, vous apprendrez qu'un projet n'est jamais terminé, qu'une idée inéditable doit venir d'un éditeur, qu'un Dragon n'est pas forcément votre ennemi, et qu'un dinosaure disparu, ça donne un dragon comme ça :