les mains dans le moteur - épisode peut-être 1

D'ailleurs pour une référence plus d'actualité (encore que ça commence a dater aussi) Agricola me semble être un des champions de la frustration positive (à moins de ne pas aimer la pente d'apprentissage).

et pour rebondir sur le commentaire précédent, serions nous donc tous des drogués à l'endorphine??

Merci M. Cathala pour ce point de vue très pertinent!

De mon côté, il m'amène à réfléchir à mon rapport au jeu et les raisons qui me poussent à vouloir rejouer.

D'emblée, je suis porté à être plutôt d'accord avec votre réflexion. Particulièrement en ce qui concerne le point de bascule de la frustration. Je crois qu'il faut aussi prendre en compte le type de jeux que l'on pratique. À mon avis, il est beaucoup plus simple de gérer positivement sa frustration aux Aventuriers de rail qu'à Agricola ou à Caylus. En ce sens, le commentaire de «equilibriste31» m'apparaît très pertinent. Ces jeux plaisent sûrement davantage à cause de l'effet de masterisation que pour l'apport de la frustration qu'ils procurent. Il faut que le désir de masterisation soit grand pour contrer l'énorme frustration qu'un mauvais tour peut apporter. Dans des jeux comme les Aventuriers du rail ou Augustus, la masterisation ne me semble pas être un facteur vraiment important. À ce niveau, les petites frustrations généreront probablement plus de plaisir et une envie d'y revenir au plus vite.

Comme «casajeu», je crois que la nature de l'expérience est facteur qui me pousse à jouer et à rejouer. C'est aussi ce qui me pousse à vouloir tester constamment de nouveaux jeux ! À ce moment, la frustration provient davantage du manque d'argent dans mon portefeuille...mais là je suis hors sujet!

Je ne dirais pas que la frustration est le "moteur" du jeu.

Je dirai plutôt qu'un jeu se caractérise par une tension provoquée par la confrontation entre d'une part un "problème" qu'il faut surmonter, et d'autre part, un réseau de règles qui limite les solutions possibles. La frustration est une des résultantes possibles de la rencontre du joueur avec cette situation de conflit entre des objectifs à atteindre et des limites à respecter.

Le même jeu sera frustrant ou pas selon le(s) joueur(s) impliqué(s) : la frustration est un épiphénomène, pas la constituante de base de l'intérêt du jeu. Elle constitue un de nos critères majeurs pour déterminer si un jeu nous plaît ou pas, mais pas, je pense, l'essence même du jeu.

Je pense que "l'art" du game design est de parvenir à doser le rapport entre problème à résoudre et règles à respecter de façon à ce que le joueur ne se sente pas face à un obstacle insurmontable, mais face à un obstacle difficile qui devient source de satisfaction une fois surmonté. Bref, maintenir le ressenti juste en deça du seuil ou le jeu est vécu comme frustrant.

Plutôt que de faire mon mariol en citant Wallon ou Winnicott, je citerai (de mémoire) le film Avalon de Mamoru Oshii: "Qu'est-ce qui est le plus intéressant ? Un combat qui paraît facile mais ne peut être réussi ? Ou un combat qui parait insurmontable, mais que l'on finit par remporter ?"

Je crois que le plaisir du jeu vient du fait que l'on surmonte une difficulté, prévue ou imprévue : la sensation d'avoir "réussi malgré tout quelque chose de pas mal".

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Hé bé.... plus de 3200 lectures en 24 heures.. ça fait super plaisir. Merci à tous déjà, d'avoir pris le temps de lire ce truc assez dense.. et pour certains de m'avoir laissé des commentaires très intéressants.

Pour revenir deux secondes sur Agricola, pris en exemple un peu plus haut... c'est exactement typique de ce que je veux dire en parlant de "juste niveau de frustration acceptable". En effet, la frustration que ce jeu génère chez moi est telle qu'il est juste hors de question que je participe à une partie. Attention!! je ne dis pas que le jeu est mauvais. Au contraire, il est rempli de trucs assez brillants mais.... la fin de partie est catastrophique (pour moi): jeu à informations totales + 15 lignes de décompte + optimisation de la mort qui tue = chacun passe ses deux derniers tours à tout calculer/recalculer dans tous les sens avant de prendre la moindre décision (genre bonus et malus sont dans un bateau.. qu'est ce qui reste ?), et là, ça brise définitivement mon enthousiasme.

Un excellent jeu auquel j'attribuerai un 8/10 si je pense à son public cible, et que je recommanderai chaudement à ce public en boutique, mais auquel j'attribuerai un 2/10 si je pense uniquement à mon ressenti perso.

Un jeu populaire est donc, selon ma grille de lecture, un jeu qui vient flirter avec la limite de frustration du plus grand nombre Tandis qu'un jeu plus "marqué" côté frustration sera segmentant, tout en trouvant bien sûr son public.

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Juste une remarque sur la forme: il serait bien que ces papiers soient signes et que le lecteur qui ne fait pas partie des "happy few" sache qui parle...Parce que bon "Bruno des montagnes" c est rigolo mais moi je préfère savoir que ce papier à été écrit par un auteur de jeux, Bruno Cathala en l occurence.

Ce questionnement est très intéressant, et pour y avoir pas mal réfléchi - plutôt en tant que créateur de scénario de jeu de rôle au début -, voilà ma petite pierre à l'édifice.

Dans mon système de valeurs, l'élaboration d'un jeu est - en plus d'un défi intellectuel - une activité artistique dans la veine du cinéma. Elle demande de l'imagination, de la créativité, une petite dose de génie, et bien sur un travail d'illustration et/ou de sculpture, de rédaction, de "scénarisation" (ergonomie, design...). Le résultat est une oeuvre, une oeuvre résolument moderne, qui s'inscrit dans la pensée contemporaine : "Aujourd'hui, l’art établit une relation qui permet d’englober dans une même interaction, dans un même échange, une œuvre, son créateur et le récepteur, le destinataire de cette œuvre (spectateur, auditeur, etc.)", GENETTE (Gérard), L’œuvre de l’art. Immanence et transcendance, 1994

A l'instar de toute oeuvre, l'objectif est de procurer des émotions à ceux qui la reçoive. La frustration est une de ces émotions, une forme de colère dans laquelle on peut puiser l'énergie pour se dépasser et reprendre le contrôle d'une situation difficile, ou au contraire se laisser submerger, perdre pied, et fuir la table de jeu.

Mais quid des autres émotions ?

Les party games sont l'essence même de la joie, une joie qui se veut communicative et partagée !

D'autres auteurs s'aventurent de plus en plus dans la quête difficile de la peur : la plupart des jeux coopératifs ont pour vocation de susciter l'émoi chez les joueurs, à travers l'ambiance (Horreur à Arkham, les demeures de l'épouvante), la dangerosité des fins de mission (zombicide) ou la lutte contre le temps (room 25, l'île interdite).

La tristesse reste encore la seule émotion pas vraiment explorée par les auteurs : il faut dire qu'elle demande une approche narrative présente dans les jeux vidéo, mais peu sur table (peut être un peu Mice & Mystic ?).

S'interroger sur l'émotion suscitée par un jeu est une très bonne question, et pour moi, un jeu réussi est un jeu dont je me souviens d'une partie des années après, tant la charge émotionnelle a été forte !!

Comme un bon film en fait :-)

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très intéressant cet article, une manière de voir à laquelle je n'avais jamais pensé (même si on sait tous pertinemment que le succès d'un jeu tient à la présence de nains et de pièces d'or...).

C'est cool tous ces nouveaux articles de fond, pourvu que ça dure :)

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Bien dit et bien joué Monsieur Bruno des montagnes. La frustration évidemment, ou plutôt comme vous le dîtes la capacité de chacun à gérer (à supporter) cette frustration qui fait qu'on a envie ou pas d'y retourner. La frustration est le plus souvent inhérente au choix (opération délicate à établir sur certains jeux), car choisir c'est avant tout renoncer ; renoncer à ce qu'on aurait pu faire, acheter, déplacer, et que l'on n'a pu faire parce que... il fallait bien faire UN choix (et d'ailleurs si on perd on retient plutôt ce à quoi on a renoncé!). Et enfin le désir (et non pas le besoin), oui le désir de rejouer parce qu'on est frustré d'avoir fait les mauvais choix, ou quand bien même on aurait fait les bons, de ne pas avoir été suffisamment récompensé pour ça. C'est donc du Manque dont il faut également parler ? Mais oui, ce manque qui déclenche le Désir (il faut être manquant pour désirer), le désir de rejouer pour voir et faire autrement, et enfin espérer d'avoir les faveurs des dieux de son côté pour se refaire la guigne à Cyclades. Alors pour la frustration et le manque, hip hip hourra !

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Merci pour cet article qui interroge nos pulsions ludiques.

Personnellement le stress est un de mes carburants favoris, quel que soit le type de jeu. Donc avant la frustration, il y a le stress : "l'emplacement est parfait pour les cartes que j'ai... faut absolument pas que quelqu'un s'en rende compte (ou s'y mette sans savoir qu'il m'entrave gravement)". Je me souviens ainsi d'une partie de risk d'il y a bientôt trente ans, rien qu'à cause de la tension du dernier tour avant ma victoire. Cette tension, parfois palpable chez plusieurs joueurs en même temps autour d'une table, est vraiment la sensation que je recherche car elle est le symptôme d'un grand plaisir. Elle est liée à la frustration telle que vous la décrivez dans l'article mais pas toujours.

Et bien Charles dans ce cas, je ne saurais trop vous conseiller Space Alert ^^

Moi je suis d'acc à donf avec Bruno de la Yaute : il serait bête de bouder Troyes et Madeira à cause des dés :) ;) :p

Je ne sais pas si frustration est le terme adéquat. Il me semble avoir vu il y a quelques années une fiche d'évaluation de jeu en anglais. Je me demande si ce n'est pas celle de kristof Berg (mais je ne suis vraiment pas sur) où l'un des critères était : (Alors je vous le fait à la française et de mémoire) " Est-ce que le jeu est suffisamment "Challenging"" Je n'ai jamais trouvé d'équivalent à ce "challenging" mais je trouve qu'on est en plein dedans. En ce moment, Russian Railroads sort énormément à la maison et je trouve que s'en est la parfaite illustration. Ici il ne peut y avoir de frustration puisqu'il n'y a pas vraiment d'objectif palier que l'on pourrait presque atteindre ou pas. La pauvreté de l'interaction entre les joueurs démontre aussi qu'un jeu peut être addictif sans réellement induire de challenge contre ses adversaire. Mais alors où est le challenge dans ce jeu. Qu'est-ce qui lui donne ce petit gout de reviens-y? Le challenge de trouver le bon "enchainement", l'enchainement ultime qui nous permettra de scorer un max de points. Voilà ma maigre contribution au débat.

On appelle ça du "suspens" en littérature/cinéma/jeu de rôles, de la "tension" en musique (cadence parfaite, blue note, etc). En musique comme en littérature, il s'agit de tendre une situation avant de la libérer, car la libération est génératrice de plaisir.

Il y a plein d'exemples ailleurs, c'est vieux comme le monde. Je suis sur qu'on peut trouver le même genre de truc en grande cuisine ou encore dans certain domaines de l'artisanat.