Lincoln : l'histoire du jeu

[Lincoln se met au vert]

Lincoln se met au vert, sorti en mars, a évidemment comme tout jeu sa petite histoire que je vais tenter de vous retranscrire ici, en risquant évidemment d’oublier plein de choses, mais on va dire que vous me pardonnerez… Ha, « je », c’est Florent Toscano, l’auteur et l’éditeur du jeu !

Tome 1 : des rencontres…

Tout ça a commencé voilà six ou sept ans, quand un ami m’offre une bande dessinée, le tome 1 (Crâne de bois) de Lincoln, l’ami en question étant un des meilleurs potes du scénariste, Olivier Jouvray. Je lis le livre, et, boudi, j’adore ! Mais carrément. C’est drôle, incorrect sans être vulgaire, décalé, barré, beau… J’achète et je lis vite les tomes suivants, il devait à l’époque y en avoir quatre. Et j’aime tout. Je range ça dans ma bédéthèque idéale.

Quelques temps plus tard, je me retrouve au mariage de mon copain, qui a comme témoin Olivier et qui du coup me le présente : « Olivier, Florent, Florent, Olivier ». Moi, heu, oui… « J’aime beaucoup ce que vous faîtes » et on discute un peu et le bonhomme me plait bien !

On se recroise ensuite deux-trois fois, d’autres tomes paraissent, jusqu’au septième, Le fou sur la montagne. Je reste fan (de plus en plus ?) et me dis que ce serait chouette de porter ces personnages, cet univers et cette histoire dans un jeu.

Tome 2 : le postulat

Dans le même temps, une discussion avec Olivier Theillaumas (ces gens sont pénibles de posséder le même prénom), de chez Paille Editions, qui distribue en France tous nos jeux, nous amène à une réflexion sur les party games, et plus particulièrement les jeux d’observation-rapidité. Dans la plupart des cas, un combo d’éléments, un doublon, une certaine couleur, un mot particulier déclenche l’action des joueurs, et le plus rapide de tous emporte le point. On se dit que ce qui pourrait être sympa, c’est que ladite combinaison ne déclenche l’action pas que d’un joueur ciblé, et que cette action-là permette à tous les autres de se faire des points aussi. Voilà le postulat. Je n’avais jamais créé ce style de jeu, ou du moins je n’en avais jamais fait qui fonctionnaient ! Alors pourquoi ne pas partir de cette idée de départ pour créer un jeu avec l’univers de Lincoln ?.. C’est ainsi que les 2 milieux, la série de bd et un jeu, se sont mêlés.

Tome 3 : la création

Dans la série, il y a Lincoln, le héros, évidemment, et tout un tas d’autres personnages très édulcorés… Il y a évidemment Dieu et le Diable, qui le suivent et lui bouffent la vie tout au long des huit tomes. Je pars donc du principe que chaque joueur jouera le rôle d’un personnage de la série qui a paumé ses affaires et doit les retrouver. Dès le début, ainsi, chaque personnage a des objets à trouver sur sa carte, avec des redondances entre tous. Ensuite comment générer le fait qu’un combo ciblé déclenche l’action du joueur qui elle va pouvoir déclencher l’action des autres joueurs ?.. Ce qui arrive le plus tôt, c’est que vu que la plupart d’entre nous sont pourvus de deux mains, et donc ne peuvent taper que deux cartes, mais qu’à partir de trois cartes à taper, soit on y va avec la tête (et là je risquais d’être la cause d’un encombrement des urgences pour traumatismes cérébraux, morceaux de verre incrustés dans le front et baisse des ventes de tables basses en verre), soit on se rend compte que seul ce n’est pas possible, et qu’alors il nous faut l’aide d’une autre personne qui nous prête sa main. Voilà un bon moyen d’engager au moins deux joueurs sur une action ! Ainsi, j’en suis là : le joueur a trois objets sur sa carte Perso, et dès que ces trois objets apparaissent, il en tape deux et un autre joueur tape le troisième. Mais alors ça implique qu’il n’y ait qu’un seul objet sur chaque carte à taper, ce qui risque de rendre rares les combos. A moins qu’il y ait beaucoup de cartes retournées sur la table, mais ça risque de rendre la chose peu lisible… Ou très peu d’objets, mais je me rends vite compte que c’est impossible. Flash ! Il peut y avoir un seul, deux, ou trois objets par carte, et il faut taper les trois correspondant à notre carte Perso dès qu’ils apparaissent simultanément, à la condition que ce soit sur trois cartes différentes !

Maintenant le tour de jeu ? Je pars rapidement sur le fait qu’on retourne des cartes pour faire apparaître ces fameux objets, mais refuse que chacun ait son tas. Plutôt une pioche commune et des tas communs. De plus, je veux absolument qu’on ne se contente pas de tourner une carte pour faire apparaître les objets, mais que le joueur choisisse où il la retourne pour éventuellement embêter d’autres joueurs. Résumons : un tas de cartes au centre de la table, on joue chacun son tour et on retourne la première carte de cette pioche sur un des quatre tas qui se trouvent autour. Et dès qu’un joueur trouve ses trois objets sur trois cartes différentes, il en tape deux, attend qu’un autre joueur rapide tape la troisième carte, et si le combo est bon, chacun gagne les cartes tapées (soit deux points pour le joueur actif et un pour celui qui a tapé le troisième objet). Comme ça, quand on retourne la carte, on la pose à la fois sur un tas qui nous arrange et qui gêne les autres !

Je réalise un premier proto et fais plein de parties seul. Pas marrant de tester un jeu d’observation-rapidité en solo. Je trouve des choses qui plantent, donc réitère, puis plusieurs fois comme ça jusqu’à une version qui tourne. Au début, faute d’avoir de jolis dessins des personnages de Lincoln et de leurs objets, j’ai pris les fruits et légumes de Pom Pom, notre premier jeu, bien discernables. Autre observation à laquelle je n’avais pas pensé et qui s’avère très fun potentiellement : quand des joueurs prennent les cartes qu’ils ont gagnées, ils révèlent celles qui se trouvent dessous, et donc peut-être qu’apparait de nouveau le combo d’un joueur, et alors il faut encore taper ! un peu comme dans Blitz.

En solo, ça semble annoncer quelque chose qui fonctionne. Il faut donc le confronter à des vrais humains de la vraie vie.

Tome 4 : la vraie vie

Attention, premières parties ! Toujours un moment délicat quand on fait tourner un jeu des dizaines de fois dans sa tête, sur le papier puis tout seul à sa table ! Alors… Ça marche ! Ce n’est pas encore parfait, mais ça tourne ! On persévère, on rééquilibre et ça roule !

Donc je fais un proto un peu mieux. Quoi que… Je scanne mes bds pour avoir des objets qui en sont issus, ainsi que des personnages. Ce n’est pas très beau, pas très lisible, mais au moins c’est Lincoln ! On joue, ça marche, alors je vais, à quelques minutes de chez les Jeux Opla, à l’atelier KCS, où bossent Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray (respectivement scénariste, dessinateur et coloriste de la bd) pour leur montrer la bestiole. On joue, et ils aiment, et « ouais, c’est cool, faut qu’on en fasse quelque chose ! ». Chose amusante, Jérôme me dira à la fin des parties qu’il avait peur que je me pointe avec quelque chose qui ne collerait pas… Ouf, je l’ai échappé belle !

Tome 5 : « on en fait quoi ? »

Le truc, c’est qu’à l’époque je ne me disais pas du tout que nous allions l’éditer chez les Jeux Opla, comme tous mes précédents jeux, car différent de ce que nous avions commencé à faire. On réfléchit alors. Je le créais juste pour le fun ! Alors donc, on en fait quoi ? On le propose à un autre éditeur ? On propose une co-édition ? Puis je me dis qu’une nouvelle gamme de jeux d’ambiance, de petit format, pas chers, courts, ce serait bien chez nous, aussi… Mais on aime bien quand les thèmes sont natures, alors… Alors pourquoi ne pas éditer le jeu Lincoln et le penser comme un vrai spin-off de la série d’albums, où Lincoln se mettrait au vert ? C’est un truc qu’il rabâche à longueurs de bouquins, qu’il veut être tranquille au vert ! On cogite là-dessus, je propose des idées, Olivier Jouvray les peaufine, et voilà l’histoire : Lincoln se met enfin au vert, à la campagne, avec ses potes rencontrés au fil de la série, mais comme avant d’être des paysans c’est surtout des ploucs du far-west, ils perdent toutes leurs affaires et ont besoin d’un coup de main pour les retrouver, et ce coup de main, c’est le joueur ! Chacun aide donc un Personnage, et à chaque tour de jeu on retourne la première carte de la pioche pour explorer un coin de la ferme et voir si on y trouve les objets perdus…

Donc, ok, une des éditions des Jeux Opla sera Lincoln se met au vert, et ce jeu ouvrira une troisième gamme (la première comprenant Il était une forêt, Migrato et Pom Pom, la seconde Hop la bille et bientôt Hop la puce). Décision finale prise après accord de la maison d’édition Paquet qui a été séduite par le projet, et donc nous a vendu la licence.

Tome 6 : la réalisation

On sort Dieu et le Diable des personnages, et on les utilise pour des variantes. Hé, après tout, en général, ils sont surtout là pour faire suer Lincoln !

Jérôme Jouvray, qui devait avoir pitié de mes scans, me dessine huit personnages de la série en postures campagnardes, ainsi que douze objets. Je peux ainsi réaliser un proto moins moche et plus jouable ! J’en fais aussi un pour lui. Je fais pas mal tourner le jeu, qui plait beaucoup. L’occasion de faire encore des rééquilibrages. Puis petit à petit d’ajouter des variantes. Jérôme fait aussi pas mal jouer ses potes et apporte des idées intéressantes.

Au bout de quelques moi, on sait ce qu’on veut, on a un jeu final qui tourne pour 3 à 6 joueurs. On pose l’ambiance dans une ferme américaine (ben ouais, Lincoln, c’est un cow-boy, quand même !). On choisit comme personnages Lincoln, La Chiasse (ouais, faut lire les albums pour comprendre), l’Indien du tome 2, le gamin insupportable du tome 3, Paloma et Claire. Il y a neuf objets en tout, donc il faut trouver une distribution qui corresponde à la fois au modèle mathématique défini, et à la fois à chacun des personnages.

Tome 7 : l’édition

Il fallait des cartes carrées. Chose qui à priori ne devrait pas sembler si compliqué que ça… Sauf que nous on veut que tout soit éco-conçu et intégralement fabriqué en France. Et ce format « hors-gabarit » nous aurait coûté trop cher chez notre cartiste habituel… Donc il faut une autre solution… On se dirige vers des imprimeurs plus conventionnels, et on se rapproche de tarifs plus raisonnables ! On a trouvé notre bonheur en Corrèze (d’où je suis originaire, donc je suis très content) ! L’entreprise nous est de plus conseillée par les copains corréziens de Robin Red Games, qui ont travaillé déjà avec eux. Ils imprimeront également le livret accordéon. La boite, elle, sera fabriquée dans la Drôme, comme toutes nos boites.

Une fois tous les formats définis, Jérôme se lance dans les illustrations et Anne-Claire dans les couleurs. Je soumets le texte du livret à Olivier Jouvray qui me le réécrit à la sauce Lincoln. C’est top fun. « Florent, on a le droit de mettre des gros mots ? »

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On passe une petite semaine, à la toute fin, avec Jérôme, pour boucler tout ça, puis tous les fichiers partent chez les imprimeurs. On peut suivre de près la fabrication, comme tout est fait à proximité, et ça nous permet d’avoir accès aux boites du jeu pour glisser dans cinq, au hasard des cartons, une aquarelle originale de Jérôme ! J’aime bien l’idée du golden ticket dans Charlie et la chocolaterie… Donc quelque part cinq boites contiennent une aquarelle de Jérôme Jouvray ! Si certains tombent dessus, dîtes-le nous… Pour le moment nous n’avons eu aucun retour…

Tome 8 : postface

Pendant la réalisation du jeu, en août 2013, le tome 8 de la série est paru. Notre jeu est disponible en boutiques depuis le 10 mars 2014, donc environ deux mois. Il est distribué comme tous nos jeux par Paille Editions (boutiques de jeux et librairies et GSS) et Arplay (boutiques bio) en France, Delirium Ludens en Suisse et CLD Distribution en Belgique.

L’exclusivité de la sortie a été à Cannes, et nous avons organisé une journée autour de Lincoln pour le vrai lancement du jeu le samedi 8 mars au Ludopole de Lyon (oui, parce qu’avec les copains de la CAL, on habite à Lyon…), en compagnie de la clique Jouvray pour une journée de démos et de dédicaces, et en partenariat avec le Ludopole, la boutique Descartes et la librairie Decitre.

Et depuis on est très heureux des retours qu’on a, et ça reste un régal de présenter le jeu au public, et en distribuant à chacun les cartes Perso, de dire « toi tu auras la Chiasse, je suis désolé… » !

Et du coup, on travaille même au développement d’un second jeu dans cette gamme, dont je ne suis cette fois pas l’auteur. Mais déjà vous en savez pas mal sur l’histoire de Lincoln, alors on vous parlera du reste tout bientôt…

Et pour voir ce qu’il en est en vrai, le mieux est peut-être encore la Trictrac TV !


Lincoln se met au vert
Un jeu de Florent Toscano
Illustré par Jérôme Jouvray, Anne-claire Jouvray
Publié par Jeux Opla
3 à 6 joueurs
A partir de 8 ans
Langue de la règle: France
Durée: 10 minutes
Prix: 12,00 €


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J'adore la dédicace en dernière photo :-)

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Super !! Un bien bel article super intéressant. Je n'ai pas encore vu passer le jeu mais étant accro à la BD, ça ne saurait tarder :)

Un chouette mélange de deux univers... Le ludique et la BD vont bien ensembles... C'est clair !

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Et bien moi c'est l'inverse ! Maintenant que j'ai joué et aimé le jeu je vais aller découvrir les BD ! Bravo pour ce beau boulot :)

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