[Crime organisé][Lucky Numbers][Paper Tales]
Rentrons dans le vif du sujet, c’est vrai ça ? Pourquoi rééditer ce jeu dans un monde ludique produisant des milliers de nouveautés par an ?... Deux réponses.
La réponse rapide qui vous permet de passer immédiatement à un autre article car vous avez autre chose à faire que de lire un monologue d’éditeur… Tout simplement parce qu’on adore ce jeu et qu’on avait envie de le revoir sur les rayonnages de nos boutiques avec des illustrations à la hauteur de cette pépite ludique (merci Christine).
Maintenant, si vous avez commencé à lire cet article, c’est que la réponse au-dessus est peut-être un peu courte pour vous, alors voici une réponse plus développée.
Paris est Ludique, il y a quelques années.
C’est le festival Paris est Ludique et nous y présentons nos jeux, normal quoi.
Arrive alors sur notre stand François Haffner. On s’est déjà croisé et c’est un homme que j’apprécie (là, c’est David de Tiki qui parle) car son site de jeux a été et reste pour moi une référence pour trouver des pépites à l’époque où je n’étais pas encore éditeur, mais juste un passionné de jeu, comme vous. Cet homme a une culture ludique abyssale, c’est une chose, mais surtout il a des avis qui sont parfois à contre-courant des modes. Son site m’a permis de remplir ma ludothèque de pas mal de bons jeux qui me seraient passés sous le nez sinon. On n’aime ou on n’aime pas, mais moi je me retrouve bien dans ses coups de cœur.
Bref, M. Haffner débarque, joue un peu à nos jeux et on prend un moment à discuter du jeu en général. Je lui pose alors une simple question : « Pourrait-on aller ensemble à la solderie de jeu (il y en a toujours au PEL) et vous me trouvez quelques vieilleries qui selon vous méritent d’être jouées et testées ? ».
À ce moment-là, c’est moi, David, qui voulait simplement trouver quelques jeux cools à jouer avec mes amis. Et parmi ces jeux, il y avait « Lucky Numbers » et « Organized Crime » dans sa première version. Faisons une rapide digression sur ce deuxième jeu, Organized Crime. Il serait probablement impossible à vendre de nos jours tant il est brutal, aléatoire et méchant, avec des éliminations sans pitié au milieu d’une partie longue ; mais il est drôle et très fun. On s’est vraiment bien amusé avec celui-là aussi.
Je me retrouve donc avec Lucky Numbers, un « vieux » Ravensburger bien moche dans les mains. Une couv qui pique les yeux, pleins de nombres et des couleurs douteuses… mal barré.
Puis on part en vacances chez ma famille et on y joue. Et ce n’était pas « Tien, c’était marrant, on passe à un autre ». Non, on y joue à répétition avec un côté « 6 qui prend ! », vous savez, ce genre de jeux dont on aligne les parties tout en discutant de choses et d’autres.
De semaine en semaine, on a lessivé ce jeu. J’étais capable de l’expliquer en deux-deux à n’importe qui, jeune ou moins jeune, et on déroulait les parties.
Et là je me dis :
Ça se réédite un jeu pareil ?
Ce type de jeu pose un « problème ». Quand une règle aussi simple existe et marche, le jeu est ce qu’il est. Il devient difficile de faire une adaptation ou une modernisation sans rendre le jeu moins pur. Et j’aimais cette règle simple et maline (que chaque ligne et chaque colonne soient croissantes à tout moment).
Verdict : si ce jeu n’existe plus ; il faut le rééditer pour reproposer cette mécanique dans sa version la plus efficace.
Après un an à avoir ce jeu dans ma ludothèque et à en parler régulièrement à mes collègues, il faut les convaincre. Donc au PEL suivant, je leur fais jouer. Julian finit la partie et reste sans rien dire pendant un moment. Puis il me dit : « C’est super efficace, d’habitude je n’aime pas ce type de jeu, là ça va marcher ». Julian n’est pas parole d’évangile mais il a une bonne connaissance du monde du jeu et c’est mieux qu’un : « C’est quoi cette merde David ? ... ». Ensuite, on trouve des exemplaires d’occasion (pas si facile) et j’en envoie à Julian et Antoine pour qu’ils testent ça. Julian est convaincu qu’une réédition de ce jeu a sa place. Pour Antoine, a priori ce n’est pas sa tasse de thé. Il préfère soit les jeux enfants soit les gros jeux bien gamer et figurinesques. Mais il joue facilement à Lucky Numbers avec sa famille et y prend plaisir. Bref, le feu vert est donné rapidement.
L’idée d’une réédition est donc validée, mais comment récupère-t-on une licence Ravensburger ?
À la recherche de Michael Schacht.
En fait, quand on est face à un grand nom du monde du jeu comme Michael Schacht, on ne sait pas toujours comment s’y prendre et on espère une occasion. Et Pan ! Cette occasion arrive servie sur un plateau par mon ami Charles Amir de Super Meeple. Lui, il passe son temps à signer des Knizia, des Kramer, et j’en passe (mais aussi de jeunes et brillants nouveaux auteurs :P). Il me dit : « Ah ! mais je connais Michael, je vous présente et je lui dis que tu adores Lucky Numbers ». Cool ! Merci Charles !
Je me retrouve à échanger par courriel avec un auteur très agréable et qui ne se la pète pas. Je lui explique tout le bien que je pense de son jeu et lui demande si les droits sont disponibles. Il me demande d’attendre un peu et qu’il va voir auprès de Ravensburger s’il peut les récupérer. Je lui explique que TIKI n’est pas une grosse boîte mais qu’on va bichonner son jeu. Aucun problème de son côté, il nous récupère les droits, on prépare un contrat. Il a juste une requête : serait-il possible d’intégrer dans le jeu un élément que Ravensburger n’a jamais voulu intégrer dans ses versions : un mode solo qu’il a développé pour le jeu ?
Attendez, vous me proposez une solution pour avoir un jeu qui fonctionne en mode compétitif (2 à 4 joueurs) et y rajouter une façon intelligente d’y jouer seul ?!!! Humm, laissez-moi un millionième de seconde pour réfléchir… Bein évidemment ok !
Et là, l’affaire est lancée, on signe le contrat le 31 mai 2019, et maintenant il va falloir aligner le bois pour avoir une version qui donne envie de (re)découvrir le jeu…
L’enfer de la thématique.
Les auteurs qui ont bossé avec nous savent qu’on aime mettre les mains dans le cambouis. Et quel que soit le jeu, on va faire de notre mieux (et parfois avec notre lot d’erreurs, comme tout le monde) pour lui donner une belle forme pour servir le fond ou développer le fond pour servir la forme.
Mais pour un jeu à chiffre, abstrait, tenant sur une règle super simple… vous faîtes quoi avec ça ?
Des prises de tête à répétition s’enchaînent.
On part sur un visuel « jeu d’app store », ce n’est pas mal en impact visuel pour le marketing ? Pfuu, pas mal mais c’est de la merde, on jette.
« C’est comme un Sudoku, on pourrait faire un thème japonais » … Humm… pas mal non plus mais l’équipe n’est pas convaincue… on jette. Et ainsi de suite pendant des semaines, allez thématiser un jeu à chiffres…
Et je ne vous parle même pas du nombre de titres de remplacement qui sont proposés et jetés après vote. Des titres français, anglais, japonais…
On décide de reprendre les bases et de se poser les bonnes questions. La règle de Lucky, on la connaît. Mais si on analyse le cœur du jeu et son ressenti, c’est avant tout un jeu dans lequel on tente de contrôler ses probas pour provoquer sa chance future.
Donc après bien des débats, on décide de garder le titre Lucky Numbers et on lui ajoute un sous-titre (la fameuse « Tagline » comme on dit dans le Bouchonois) « Provoquez votre chance ! » car c’est exactement ce qu’on cherche à faire durant chaque partie.
Bref, on a gardé le titre.
On parle de Lucky Numbers, de chance, de vouloir contrôler sa chance… de porte-bonheur finalement ! Là ça déroule. Le trèfle à quatre feuilles s’impose. On aime le côté jardin de trèfle. Mais comment va t’on rendre ça beau ?
Julian : « On devrait travailler avec Christine. »
David : « Christine ? »
Julian : « Christine Alcouffe, comme on travaille sur deux jeux bien différents (Lucky Numbers et Tichu), on va la lancer sur les deux et je suis certain qu’elle va savoir exploiter. »
Je connais un peu son travail, j’ai surtout Paper Tales en tête mais je vais fouiller.
Et là, je vois son portfolio (wow…), ça va le faire. On s’appelle on discute, je lui explique les 2 projets, un plus grand public (Lucky Numbers) et un grand classique des jeux de plis (Tichu). Elle adore l’Asie, alors Tichu, on sent que ça va donner du très bon. Et on peut déjà vous dire que c’est le cas.
Mais Lucky Numbers ?
Des trèfles ? Un jardin ?
Le purgatoire de la couverture.
[To be continued dans le prochain et dernier épisode sur cette réédition...]
David, TIKI Editions