[75th Gnom’ Street][Galèrapagos][Mad Trip][Premier Memory]
Il est de ces univers où une mise en garde frémissante n’est pas de trop. Où le claquement des dents du fond de leur cercueils secrets murés dans les tombeaux à l’abandon de quelque marais décrépit installent à eux seuls le frémissement de l’échine. Mais il serait naïf de penser que de tels récits ne contiennent pas un certain sens de l’auto-dérision, du grotesque abscon, et de l’humour horrifique. Aussi, quoi de mieux, pour introduire Mad Trip (qui a bien compris ce décalage), que la célèbre mise en garde ubuesque de Béla Lugosi :
Beware ! Beware of the big green dragon that sits on your doorstep. He eats little boys! Puppy dog tails and big... fat... snails... Beware.
Chair de Poule Mouillée
En ce printanier mois d'Avril, Gigamic nous invite à une réunion autour d'un feu, en plein cœur des bois s'entend, pour raconter des histoires qui font peur. Et plus particulièrement celle d'une bande de jeunes, pourchassés par on ne sait trop quoi à travers bois et fougères, courant en tous sens comme des dératés en se cognant partout dans l'espoir de s'en sortir. Vous l'aurez compris, Mad Trip est un petit jeu délirant, mais pas idiot pour autant. C'est même une mécanique plutôt maline, en fait, qui anime ce Mad Trip, nous demandant de faire bon usage de sa mémoire mais aussi de son corps.
Le jeu de Charles Bossart et Sébastien Darras (à qui l'on doit déjà 75 Gnom' Street) a eu son petit succès au Flip de Parthenay 2017, puisqu'il a été récompensé dans la catégorie Jeux D'Ambiance. C'est donc en toute logique qu'il entre justement dans la gamme des jeux d'ambiance rectangles (les jeux, pas l'ambiance) de Gigamic. Le concept de Mad Trip est de découvrir, à force de tâtonnements, d'erreurs, et de petits défis absurdes, le chemin de la sortie des bois qui vous est dévolu.Le tout est emballé dans une délicieuse ambiance rétro rappelant les comics et séries horrifiques grotesques (Tales From the Crypt, Are You Afraid of the Dark, Chair de Poule, Evil Dead et autres Stranger Things). L'occasion pour Gigamic de faire la part belle à un univers entre la BD tout public et les choses-obscures-qui-grouillent-sous-le-plancher, avec les aquarelles fort sympathiques de Jonathan Aucompte (de l'égayement visuel jusqu'au fond de la boîte) et un matériel atypique et soigné. Clairement, l'on est, du point de vu de la direction artistique, dans la même ligné que Galèrapagos, avec un matos comprenant ici aussi un deck de cartes et sa petite boîte illustrée tout spécialement, ainsi que des objets plus étonnants comme un disque en bois gravé pour matérialiser les points de départ, ainsi qu'un panel trousse de soin/os/couteau de Rambo tout en mousse.
Les Contes de la Décrypte
À Mad Trip, chaque joueur sera tantôt "joueur actif" (cherchant à fuir les bois), tantôt "guide" du joueur actif à sa droite.
Le guide pioche en début de partie une carte Chemin indiquant le trajet et l'ensemble des pièges semés sur la route. Chemin qu'en tant que joueur actif, vous allez tâcher de découvrir de tour en tour, mais surtout de mémoriser, à force d'essais et d'erreurs.Le joueur actif possède un punch direction et un punch GO, lui permettant d'indiquer où, dans le temps imparti des 30 secondes de son tour, il va tenter de se déplacer sur le damier de la forêt. A chaque pas, son guide devra lui indiquer s'il est sur le bon chemin, ou bien s'il s'est perdu dans les bois ou est tombé dans un piège (et alors, retour à la case départ, et course pour tenter d'avancer, dans ce qu'il reste de temps chronométré, tel Corto Maltese, toujours un peu plus loin).Lorsque le joueur actif a connaissance d'un piège (ou que du moins sa mémoire ne flanche pas trop), il se doit de taper son punch GO équipé de l'outil adéquat (par exemple le couteau de Rambo pour les toiles d'araignée ou la trousse de soin pour les ronces qui griffent les jambes), ou du geste important (par exemple se boucher le nez pour plonger dans l'eau ou sauter sur sa chaise pour bondir au-dessus d'un trou).Tout le monde jouera le même nombre de tours en tant que joueur actif, aussi plusieurs joueurs peuvent remporter la partie.
Tripshow
Mad Trip propose plusieurs mode de jeux. Tout d'abord, un mode découverte avec un petit damier de 4 par 4, et de l'autre côté du plateau, un damier pour joueurs de 6 par 6 (chacun comportant son lot de cartes Chemin correspondant). Les règles proposent également une variante en équipe, où le joueur actif change de coéquipier à chaque erreur de parcours, au risque de s'emmêler les pinceaux.
Si le trajet s'avère plutôt facile à mémoriser, c'est avant tout le stress du temps qui s'égraine à toute vitesse qui va nous pousser à faire n'importe quoi et tomber 3 fois dans le même trou. Dans Mad Trip, on s'agite, on fait n'importe quoi, et observer les tours, malgré tout très courts, d'adversaires au long cours, reste plaisant et même divertissant à suivre. On n'a donc, même en dehors de son tour, pas l'occasion de s'ennuyer, pour peu que l'on se laisse plonger dans le délire ludique de la chose. Bien sûr, si vous êtes allergique aux jeux de mémorisation (bien que nous soyons fort loin d'un Memory) et/ou aux jeux de rapidité (quoique Mad Trip serait plutôt un jeu de fébrilité), vous risquez de ne pas trouver ici votre plaisir ludique. Quoique nous ayons bien réussi à faire se marrer (et voir gagner) notre Docteur Mops qui n'est pourtant pas le quidam le plus requis pour ce genre de délire. Comme quoi, il est parfois bon de se laisser diaboliquement tenter.
Mad Trip réjouira les amateurs de spatialisation forestière, de couleurs des 80's, de matos improbable, et de gesticulations mémorielles.
