"Ce soir j'irai jouer du piccolo
Au Royal Palazzio sous les lambris rococo
Le roi viendra me visiter
Je le ferai rêver comme dans les contes de fée"
Maîtres Couturiers (ou Rokoko en VO, je reviendrai sur la traduction assez bizarroïde d’ailleurs) est un jeu sorti chez Eggertspiele (Descendance, Mombasa, Porta Nigra, s'il vous plaît...) et localisé en France en 2014 par Filosofia. Il a été nommé la même année pour le Kennerspiel et a fini dans le trio de tête, coiffé aux poteaux par Istanbul.
Ce jeu peut se pratiquer entre 2 et 5 joueurs et nécessite un public averti (12 ans et plus mais il faut avoir une certaine culture ludique) pour des parties d'une durée de l'ordre d'environ 30 minutes par joueur.
On est clairement dans du jeu de gestion "à l'allemande" solide qui combine différents mécanismes connues (gestion d'argent, placement et majorité), le tout agrémenté par une mécanique de deckbuilding malicieuse. Et tout celà avec élégance et prestance comme le suggère la jeune damoiselle figurant sur la boîte.
Il est signé par un trio d'auteur teuton Matthias Cramer, Stefan et Louis Malz. Matthias Cramer, qui commence à se constituer une très belle ludographie (l'ingénieux Glen More, l'excellent Lancaster, Kraftwagen...), constitue pour moi avec Alexandre Pfister, "la nouvelle vague" des auteurs allemands talentueux, les dignes héritiers de Stefan Feld et du duo Kramer/Kiesling.
Pour couronner le tout, nous avons Môssieur Michael Menzel aux pinceaux (Andor, Palais Royal, Bruges, Shogun... sans doute mon illustrateur préféré).
Rien de tel que le menuet et la badinerie de l'ouverture n° 2 en si mineur, BWV 1067 de Bach pour s'immerger dans la thématique (même les allergiques à la musique classique, vous verrez, vers 1:30 vous reconnaîtrez !!!)
https://www.youtube.com/watch?v=QnJbqIFer5M
Thématique du jeu :
"En plein coeur du mouvement rococo au XVIIIème siècele, le roi Louis XV, dit le Bien aimé, est vraiment peu enclin à résoudre les conflits politiques de son pays. Fini la rigueur politique d'arrière grand papy Louis XIV et de ses ministres Louvois et Colbert. Bonjour, musique, ballet et fôlatrerie avec Madame de Pompadour dans la garçonnière du Parc-Aux-cerfs !!!
Le roi décide d'organiser dans quelques semaines le plus beau bal masqué pour démontrer que sa Cour est de loin la plus fastueuse de toute l'Europe.
Qui d'autres que vous Grands Maîtres Couturiers de la cour pour organiser cette fête, qui doit rester parmi les plus mémorables de l'Histoire ! Confectionner des robes pour habiller les convives, organiser l'ambiance musicale du palais, trouvez tous les moyens possible pour gagner les faveurs du Roi. Le joueur qui aura le plus prestige auprès du roi l'emportera."
"Voici un peu comment se présente la chose (prévoyez un grande table, un grand verre d'eau glacée, les neurones vont bouillir)"
Résumé des règles du jeu :
La règle étant assez volumineuse (mais pas si complexe qu'il n y parait), je vais me limiter à décrire les principaux mécanismes, pour plus de détails, le Tric Trac TV (voir ici) avec Mr Guillaume (qui était encore à Filosofia) à l'animation est vraiment très bonne.
Le jeu est divisé en 7 tours, eux-même divisés en deux phases.
Pendant la première phase, chaque joueur va tout d'abord sélectionner dans sa pioche trois cartes dans sa pioche (contrairement à la majeure partie des deck-building où on pioche au hasard), qui seront ces trois ouvriers pour la phase principale. Ces cartes représentent soit un apprenti (dé à coudre gris), soit un compagnon (dé argenté), soit un grand maître Couturiers (dé doré). Elles possèdent également une caractéristique particulière (Action secondaire dans la cartouche en dessous du personnage).
Ensuite vient la phase principale : chaque joueur va réaliser tour à tour une action en jouant une de ses cartes, jusqu'à ce que tout le monde passe.
Il peut ainsi :
- acquérir de la soie, de la laine ou de la dentelle dans l'entrepôt (action disponible pour tous les commis)
- confectionner une robe à partir de ces matières premières (par un grand maître ou un compagnon),
"Pour faire la robe rouge, je dois dépenser une soie rouge, 0 sou, une dentelle et une laine"
- la vendre pour de l'argent sonnant et trébuchant ou la louer à un noble. Dans ce cas vous allez placer le noble sur l'une des cinq salles de bal du château et l'identifier par un jeton de votre couleur. Ce noble vous rapportera les points de prestige inscrit sur la tuile en fin de partie ainsi que des points supplémentaires si vous êtes majoritaire sur une salle de bal.
"Dans la salle de bal inférieur, jaune possède deux nobles, rouge et bleu un seul respectivement. Jaune gagne 5 points de prestige + 4 points car il est majoritaire, bleu 4+2 points et rouge 2+2 points (seconds ex aequo)."
- en organisant le plus beau feu d'artifice pour émerveiller les convives qui se trouvent dans la salle de bal royal et qui ont loué les emplacements situés sur le balcon du palais (contre de l'argent), ce qui augmentera d'autant plus votre prestige.
"En fin de partie, bleu pourra faire monter son noble à la veste verte pour gagner 2X2 points de prestige (au lieu de 2 points) alors que rouge pourra faire monter soit l'invitée à la robe jaune pour 4X2 points. Si rouge avait loué le balcon coûtant 14 Louis d'or, il aurait pu faire monter son noble à la veste bleu pour marquer 3X2 points au lieu de 3 points."
- en ornant le jardin de fontaines et en embellissant les façades (et non je ne parle pas de la tronche des invités, la chirurgie esthétique n'étant qu'à ses balbutiements, les femmes se maquillant au plomb et à l'arsenic, sympa non). Ces embellissement coûtent beaucoup d'argent mais peuvent rapporter beaucoup de points de prestige en fin de partie et également augmenter ses revenus à la fin de chaque tour.
- en recrutant des musiciens pour animer le bal (façon de marquer des points de prestige)
- aller chercher les faveurs de la reine (compagnon et grand maître) : pour gagner de l'argent (5 Louis d'Or et surtout devenir le premier joueur au tour suivant)
- défausser définitivement un commis (épuration de deck) pour gagner de l'argent
- recruter un nouveau commis parmi les 4 disponibles (uniquement par les grands Maîtres). Celui-ci vient dans la main du joueur, à l'inverse des deckbuilding classiques. Ainsi, cette nouvelle recrue est utilisable pour le tour de jeu en cours. Bien entendu, comme tout bon jeu de développement, les cartes vont être de plus en plus forte et elles vont vous permettre de vous différencier stratégiquement de vos adversaires
"En fin de partie, certaines cartes rapporteront des points selon moults critères (ici 3 points de victoires pour chaque couple de dentelle ou et de laine restant."
Après l'action principale, le joueur peut déclencher son action secondaire, qui dépend de son commis.
Exemple d'un début de tour de jeu :
"Pendant la première phase, j'ai choisi un apprenti (à gauche), un compagnon (au centre) et un grand Maître (à droite) dans ma pioche. Je peux par exemple pour ma première action chercher une tuile soie jaune à l'entrepôt avec l'apprenti, puis dépenser 8 Louis d'or pour gagner 2 points de victoire. Quand le tour de jeu reviendra à moi, je pourrais utiliser mon maître couturier pour recruter un nouveau commis qui viendra directement dans ma main et gagner 2 sous par robe rouge ou 1 sou par robe jaune etc etc... jusqu'à passer"
En fin de tour, chaque joueur reçoit un revenu, on a une phase d'entretien (réapprovisionnement des robes, des commis à embaucher et des tuiles tissus). et un nouveau tour commence. Le joueur consulte sa pioche, puise dans les cartes restantes et utilise sa défausse si besoin comme tout bon deckbuilding.
Il reste deux trois détails non évoqués mais j'espère que vous avez saisi les principales règles !!!
Mécanisme du jeu :
Ah Rococo, on peut dire que ce nom correspond bien au thème et à la profusion des mécanismes déployées dans ce jeu puisqu’on retrouve :
- Du deck (hand) building à la fois classique (gestion du deck avec épuration, gestion de la fréquence des cartes) et innovant (le fait de pouvoir choisir ses cartes et donc anticiper ses futurs tours est une idée simple mais assez ingénieuse)
- De la gestion de ressources et d’ouvriers (gestion tendue de l'argent, choix cornéliens des cartes commis en début de tour, certaines actions étant restreintes selon le type de commis)
- Une notion de course pour la majorité dans les salles de bal et sur les emplacements du balcon
- De l’opportunisme (prise des nouvelles cartes commis, prise des tissus, emplacement embellissement et musiciens)
- La réalisation d’objectifs personnels au travers des cartes « uniques» de fin de partie qui permettent de rapporter des points selon certains critères, parfois un peu trop capillotractés, il faut bien le dire.
Bien que nombreux, les différents mécanismes s’articulent très bien ensembleet s’apprivoisent rapidement lorsqu’on a un petit bagage ludique derrière soit. De plus, en fin de partie, on a vraiment un sentiment d'accomplissement même si on ne gagne pas. En effet, on finit avec un plateau comportant 5 salles de bal, pleines de nobles richement vêtus, la classe !!!
Mise en perspective :
Maîtres Couturiers est pour moi un descendant direct de Fresco, sorti en 2010, avec comme point commun majeure la très forte adéquation entre les mécanismes et la thématique. Quand je joue à Maîtres couturiers, je me vois organiser ce bal, lutter pour confectionner les plus belles robes et vestes de la cour au nez et à la barbe des autres joueurs, engager des musiciens etc etc... En revanche, il est beaucoup plus costaud et exigeant que son ainé.
Au niveau des mécanismes, il fait parti avec Concordia et Copycat (et plus récemment Mombasa) de ces jeux qui révolutionnent la façon de considérer le deck-building (hand-building). Ce n'est plus uniquement un système génial pour créer des jeux de cartes mais également un vrai souffle de nouveauté pour les jeux de gestion "à l'allemande" : l'interaction avec un plateau emmène vraiment de nouvelles sensations ludiques intéressantes. Personnellement j'en redemande (je ne pense pas que l'on a fait encore le tour et c'est tant mieux :D - avis aux créateurs et auteurs lâchez-vous !!!).
Les points faibles :
- La traduction maladroite du nom du jeu : pourquoi ne pas avoir gardé Rococo car en jouant, on se rend compte que l’on incarne finalement plus des maires du palais ou des superintendants royaux que des couturiers. Dommage…
- La profusion dans la façon de marquer des points de prestige, qui fait que les stratégies ne sont pas facilement lisibles lors des premières parties (on s y fait à la longue)
- Grrrrr les jetons pour noter les scores vraiment peu pratiques, une piste de décompte de points autour du plateau "à l'allemande" aurait été tellement plus pratique grrrrrr...
- Attention à l'analysis paralysis !!! Le jeu peut être long si on met trois plombes à prendre une décision (surtout à 5)
Les points forts :
- L’univers graphique, superbe et très soigné, comme d’habitude Michael Menzel fait toujours super bien le boulot
- Un jeu solide mécaniquement avec une bonnce grosse dose d'innovation
- Une très très bonne rejouabilité
- L’édition en générale très bien maîtrisée : le matériel est de bonne facture, l’ergonomie des règles et bonne lisibilité du plateau, des cartes et des différentes tuiles...
- Beaucoup d'interaction et d'opportunisme (il faut se réadapter perpétuellement selon le jeu de l'adversaire)
- Un jeu vraiment bon dans toutes les configurations (de 2 à 5 joueurs), avec un plateau réversible selon le nombre de joueurs.
Bilan : De la haute couture ludique, une mécanique taillée surmesure 17/20
"T'as le look coco !!!"
https://www.youtube.com/watch?time_continue=196&v=LgjRq8wfeGQ
"Pour ceux qui veulent se creuser un peu la tête - outre évoquer le thème du jeu, cette chanson évoque aussi son époque (à vous de jouer !!!)"
Maîtres Couturiers est un jeu de gestion solide et exigeant qui mêle habilement différentes mécaniques. Le seul point négatif, qui revient souvent dans ce style de jeu, c'est la profusion de façons de scorer et Rococo n'y échappe pas.
Cependant, au fil des parties, on appréhende ces différentes stratégies, qui sont in fine très bien ficelés entre elles (je vous laisse le plaisir de la découverte).
Encore disponible (au moins sur le net et peut être dans vos crémeries), si vous êtes fans de jeux à l'allemande, sautez le pas, je vous le conseille chaudement, il a le lot d'innovations mécaniques pour en faire un jeu qui se détache du lot (et c'est de plus en plus rare !!!).
Pour retrouver cet article sur mon blog c'est très simple :
Plus d'articles et d'avis ludiques, c'est par ici :
[[Concordia](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/concordia)][[Copycat](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/copycat)][[Descendance](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/descendance)][[Fresco](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/fresco)][[Glen More](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/glen-more)][[Kraftwagen](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/kraftwagen)][[Lancaster : Big Box](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/lancaster-big-box)][[Mombasa](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/mombasa)][[Porta Nigra](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/porta-nigra-0)][[Rokoko](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/rokoko)]