— Jamais un collectionneur n’achètera cette croû… cette toile à ce prix ! lâcha Ambroise Vollard en scrutant le tableau.
— Votre œil affûté a vu juste ! s’exclama le peintre avec autant de couleurs sur le visage que sur son œuvre. Je me doute que ça vaut bien plus mais soyons raisonnables ! Je débute !
— Ça aussi, mon œil affûté l’a bien vu, marmonna le marchand d’art en s'éloignant lentement du chevalet dégoulinant.
— Vous prenez du recul pour mieux dominer la chose et pour vous laisser happer par l’émotion ! Vous prenez du recul pour faire face à la puissance créative qui fera chavirer votre âme ! s’enthousiasma théâtralement l’artiste.
— Non non, je vais voir le peintre là-bas, dit simplement Ambroise Vollard en désignant du doigt l’homme concerné, affairé dans l'atelier voisin.
— Picasso ? Ou Pic-assiette comme je l’appelle ! ricana le débutant, fier de son trait. Ses tableaux sont mauvais ! Ses portraits ont eu des accidents de calèche ! Allez donc comparer nos œuvres respectives, je vous attends ici pour discuter du prix ! ajouta-t-il tandis que le marchand lui tournait déjà le dos.
Voilà une saynète qui aurait pu se dérouler au début du XXe dans les rues animées de Montmartre, célèbre cité d’artistes où les peintres, pour (sur)vivre, jouaient des coudes afin de séduire les galeristes et les collectionneurs de l’époque. Montmartre, dans sa petite boîte évocatrice imaginée par Florian Sirieix et illustrée par Jeanne Landart, propose aux joueurs d’incarner l’un de ces peintres en quête de renommée !
Dessinez… C’est pas forcément gagné !
Montmartre est un jeu de double majorité dans lequel les joueurs doivent, par l’entremise d’Ambroise Vollard, célèbre marchand d’art, vendre leurs toiles aux collectionneurs les plus réputés. Il n’est cependant pas aisé de faire fortune dans le milieu tant la concurrence est rude !
À son tour, le joueur réalise une action parmi les deux possibles.
Peindre : il pose devant lui une carte de la valeur choisie ou deux cartes si la somme de celles-ci est égale ou inférieure à 5.
En guise d'action facultative, il peut brader au marché une ou plusieurs cartes de même couleur pour un franc chacune.
Vendre : selon l'emplacement d'Ambroise Vollard, il peut vendre une carte à un collectionneur s'il est majoritaire, en valeur ou en nombre de cartes, dans le style de peinture recherché par celui-ci. Si les conditions sont réunies, le joueur défausse la carte de plus forte valeur et récupère la Carte collectionneur convoitée.
En guise d'action facultative, il est possible, une fois par partie, d'obtenir l'un des contrats de gazette disponibles, faisant gagner quelques francs bienvenus. Attention cependant à ne pas se décider trop tard au risque qu’un autre joueur ne s’empare du contrat désiré !
Fin de partie : La partie se termine lorsqu’un joueur possède 15 francs ou que deux piles de Cartes collectionneur sont épuisées. Le joueur avec le plus de points devient le peintre le plus renommé du moment !
Avec simplement deux actions possibles, Montmartre présente une mécanique simple et dynamique portée par une thématique immersive et élégante ! Accessible à toute la famille, le titre offre un subtil dosage de tactique et d’anticipation qui demande de bien observer l’évolution de ses adversaires pour ne pas se faire couper l’herbe sous le pied ! Un voyage ludique et poétique !
— Alors ? jubila-t-on.
— Vous aviez raison ! Que des gueules carrées ! s’amusa Ambroise Vollard en maintenant un tableau sous le bras.
— Allez donc brader ça au marché !
— Et celui là-bas ? Vous le connaissez ? s’enquit le marchand, accompagnant ses dires d'un signe de tête.
— Modigliani ? s’esclaffa le peintre avec des couleurs douteuses étalées sur sa palette. Il arrive de Toscane. Très gentil mais entre nous, il devrait peut-être se lancer dans la sculpture ou gribouiller pour la gazette du coin ! Ses formes allongées et disproportionnées feraient crier Munch !
— Aucun talent en somme !
— Aucun ! Je reste ici pour discuter du prix, affirma-t-on une nouvelle fois alors qu’Ambroise Vollard, l’esquisse d’un sourire aux lèvres, traversait les ateliers encombrés à la rencontre de l'artiste italien.
