L'originalité, dans un jeu de société, n'est pas automatiquement lié à la qualité ludique d'un titre. Vous avez certainement en tête, ou déjà joué à, un jeu en sentant combien le jeu ne ressemble à rien de connu... Tout en vous disant que cette originalité est bien la seule chose qui mérite de s'y arrêter !
Et puis il y a ces jeux qui marquent l'histoire ludique en ouvrant une nouvelle voie des possibles, entraînant dans son sillage d'autres créations inspirées mêlants cette originalité avec d'autres mécanismes ludiques. D'ailleurs, si vous ne l'avez pas encore vu (ou revu), nous avions commencé un dossier sur certains de ces jeux :
L'originalité de Nouvelles ContRées est encore d'un autre ordre à mon sens : En effet, jouer avec des marques-pages et dans n'importe quel livre suffisamment épais pour y partir en exploration est non seulement original, mais également assez unique en son genre et en son utilisation... D'un autre côté, connaissant notre Germain Winzenschtark (oui, c'est bien lui l'auteur), et pour en avoir déjà discutouiller avec lui, il n'est pas impossible du tout qu' "autre chose" soit possible ! Bref !
Dans Nouvelles ContRées, depuis votre camp de base, quelque part dans le livre choisi (romans de gare ou érotique, essais philosophique ou livres de cuisine, règles de jeu de rôle ou thèses...), vous voilà partis à la recherche d'une cité perdue, quelque part quelques pages plus loin, modulo la durée de la partie souhaitée et les modules intégrés à votre partie.
Ici, l'exploration commence et intrigue déjà puisque vous placerez un marque-page horizontal pour votre campement, un deuxième à la boussole pour l'explorateur, au même endroit pour l'instant... Et celui, tiré parmi plusieurs, de la Cité Perdue à plusieurs pages plus loin.
Viennent ensuite les 4 marque-pages Nord, Sud, Est, Ouest autour de la pioche de marque-pages, illustrés avec un talent certain par Jeanne Landart qui, à la fois par le format mais également par sa patte à elle, renouvelle pleinement le genre, trouvons-nous, des évocations illustratives pour ce genre de jeux à la Dixit (ça aide à fixer le type de jeu mais c'est parfois... Enfermant !).C'est alors le moment de partir en exploration d'autant de pages qu'indiqué par le dessus de la pioche. L'éclaireur, après y avoir placé son marque-page, lit pour lui les six premières lignes de la page de droite... Puis choisit, par sa direction (N-S-E-O), un des quatre marque-pages visibles, celui là même qui, par sa couleur, son atmosphère, un détail, l'ensemble... illustre le passage lu (autour du fond, souvent, du texte).
Pendant ce temps, ses coéquipiers choisissent chacun une mission (autour de la forme du texte).Et vient le moment de la lecture. L'explorateur fait part, par son ton, sa lecture, ses regards, de son exploration pendant que les copines et les copains tentent de le suivre dans la jungle de mots qu'ils écoutent, focalisés qu'ils sont par la forme pour leur mission, et s'en perdant en route, parfois sur le fond.
La lecture terminée, et c'est le débrief de l'exploration. Ont-ils remarqués quelques verbes fruitiers ? Ont-ils observer quelques tournures animalières ? Ils peuvent tenter une seule mission, et si l'explorateur infirme sa réussite (ou confirme son échec), ce sont quelques lettres de vie qui s'en iront rejoindre une boite pensée pour ranger le jeu au fur et à mesure qu'il est joué. Les missions remportées, connaissant mieux la zoologie scriptive, la topologie textuelle ou la motanique, etc. vous permettront d'éviter des pertes et des fracas lorsque l'équipe se perd lors d'une explo.Ceci fait, il leur faudra alors choisir les traces qu'ils suivent et choisir ainsi la direction du marque-page élu... Pour la comparer à celle prise par l'explorateur. S'ils se retrouvent, c'est un marque-page gagné, et une avancée du camp de base qui, de paragraphe en paragraphe, se rapproche du but ! Sinon, il faudra recommencer avec un nouvel explorateur... Ou pas ! L'objectif étant de se faire plaisir et de s'amuser et non de se forcer à lire ou quoi que ce soit.
Lorsque l'équipe, écartant quelques lianes-phrasées, découvre enfin la cité perdue, tout ne s'arrête pas aussi brusquement. Il faut encore y entrer ! Et pour ce faire, réaliser une exploration "spécifique" à la cité : Une règle de lecture qui rendra les choses plus littéro-comico-complexe... Espérons qu'ils vous restent quelques points d'encrelettres, ou quelques missions réussies pour en empêcher la perte !Enfin, litote sur le gâteau, viendra le moment de découvrir le trésor de la cité : Le sens réel et caché du livre que vous tenez entre les mains. Prenez tous les marque-pages accumulés et ensemble choisissez celui qui est le plus représentatif de vos lectures émincées en partie de jeu. Tournez autant de pages qu'indiqué au dos et lisez la première phrase complète rencontrée. Le trésor est là, et pratiquement à chaque fois, la magie opère. Rafraîchissant comme un atterrissage en plumier, inutile et pourtant indispensable, la boite se referme ainsi sur une aventure bigarrée en ayant l'impression d'un accomplissement secret.
Oh oui, je sais, vous allez me dire que nous sommes des anciens collègues puisque Germain a travaillé à Tric Trac. Là, voilà, vous le saviez même déjà. Votre cerveau s'est mis ainsi en garde automatique de toute impulsion influencée et votre jouativité ludique n'en sera que plus personnelle !
Oh oui, je sais, vous allez me dire que vous êtes de ces baroudeurs qui escaladez la Somme Théologique de Thomas d'Aquin comme d'autres descendent en Skimots du Frison-Roche. Tant mieux, il vous reste alors les modules avec un explorateur chacun et sa capacité spéciale ; Des péripéties qui permettent d'aller plus loin et plus vite dans l'exploration mais au prix de quelques menus dangers scripturo-linguales ou même, une façon plus exploravagantes d'encaisser les échecs d'une exploration. Bref ! Largement de quoi sursoir aussi longtemps qu'il y aura un livre dans votre bibliothèque au tour accompli et à la clôture définitive de ces Nouvelles ContRées.
Oh oui derechef, je sais, vous allez me dire que c'est un jeu où l'on met un peu de soi et que, pour certains, cela peut effrayer un brin. Et pourtant, rien de plus simple que de rentrer dans le jeu. Aucune obligation de lire ou quoi, seulement être porté par la découverture d'un livre d'une façon étrange et subtile, tout autant que partager ce moment avec d'autres civi-lisants... Et pour ceux qui gnagnatent de ne pouvoir créer ou maîtriser les éléments à passer pour faire comprendre le marque-page choisi, soyez donc explorateur, bon sang de vives voix ! Créez donc votre lecture, envolez donc vos tonalités et vos intentions, naviguoyez à gorge déployée !
Nouvelles ContRées n'est peut-être pas de ces jeux dont on enchaîne les parties les unes après les autres, non ! Nouvelles ContRées n'est peut-être pas de ces jeux parfaits sans qu'il n'y ait rien à redire ou à apprendre pour un tout jeune et nouvel éditeur comme Olibrius. Nous aurions aimés et appréciés par exemple que les marque-pages, certes au format de leur fonction, soient un peu larges pour y apprécier encore plus les illustrations et les détails plaisants qui s'y trouvent.
Mais Nouvelles ContRées est clairement, de ces jeux qui impriment la marque de leur originalité et de la forme d'amusement qui s'en vient avec. A nul autre pareil et bien loin des tiédeurs que laissent plusieurs boites de jeux dans un torrent régurgitant ses nouveautés, Nouvelles ContRées nous marque ainsi à chaque partie d'une découverte qui peut être, tout autant que le plaisir de s'être amuser, une découverte d'un bout de soi, d'un bout des autres et d'un bout de livre... Et tous, nous ne les regarderons plus tout-à-fait pareil !
Et ça, ça vaut son pesant de caractères idéographiques à tendance hieroglypho-pictogrammesque !