Il faut toujours qu'il y ait un méchant jaloux et avide de pouvoir, un pas beau géniteur d'ombres et de monstres à l'avenant pour mettre le boxon et castagner l'ordre établi. Ici, l'ordre établi qui n'avait certainement rien demandé, c'était l'Empire. Et s'il a bien fini par vaincre le Roi-Sorcier, il y a laissé plus que des plumes, toute son intégrité même.
Toute ? Non ! Un groupe peuplé d'irréductibles Patrouilleurs résiste encore et toujours à l'envahisseur.De Bastions en Fortins, ils protègent ce qui peut encore l'être, ils rabibochent les communautés diverses, explorent des bouts de royaumes oubliés et bien sûr, finissent toujours par tataner un monstre ou l'autre en passant pour qu'un jour peut-être, enfin, renaisse des jours meilleurs !
Et maintenant, le Patrouilleur... C'est vous !
Bon, là, en l'occurrence, les patrouilleurs, c'est plutôt nous !
C'est ainsi qu'en 2013 sortait chez John Doe et sous la plume du John Grümphle jeu de rôle Oltrée, bi-classé bac-à-sable et old-school-revival-assumé. Le Grumph, c'est un personne pour le moins prolifique et il suffit de se rendre sur son site pour y découvrir moult univers, formats, scénarios ou aides de jeu, plus ou moins développés ou terminés mais toujours partagés.
Et c'est sous la houlette de Studio H, avec Antoine Bauza aux contes et à la mécanique, avec le concours, entre autres, de Vincent Dutrait, que sort prochainement Oltréé, cette fois dans une boite "jeu de plateau". Enfourchez le cheval que vous avez la chance d'avoir encore et menons ensemble une petite patrouille initiatique.
La première chose qui s'offre à vous à l'ouverture de la boite est un matériel paraissant pour le moins prolifique : Plus de 230 cartes réparties en 5 types différents : Des périples aux missions, des évènements aux chroniques, en passant par les problèmes (et ça, des problèmes, vous allez en rencontrer...) ; Des ressources joliment mises en formes et illustrées, 8 patrouilleuses et patrouilleurs différents, des dés, des jetons, des plateaux... Bref ! On sent qu'il y a de quoi faire et les différents coffres intégrés dans la boite ajoutent cette petite touche d'ambiance qui s'installe bien à la table.
Lors de chaque partie d'Oltrée, vous jouerez une Chronique (avec embranchement scénaristique parfois) et il y en a 6 dans la boite, chacune avec sa "saveur", son petit "twist" ! Pour augmenter le renouvellement, vous apposerez à la chronique une carte Mission vous octroiera trois missions à remplir. Plus ou moins difficile, cette carte Mission indique quels sont les deux paquets de Péripéties à prendre parmi cinq qui donneront une tonalité différente à une même chronique. Enfin, bien sûr, les capacités particulières de chacun des personnages complèteront votre partie qui s'en trouvera bien marquée et différente des précédentes... Et des suivantes !
Seulement attention, à lire ces lignes, l'on pourrait croire qu'Oltréé est surtout et d'abord un jeu narratif. Que nenni ! Si le cadre (chronique, mission, péripéties et autres problèmes) s'accompagne de textes d'ambiance, la narration de vos aventures se fera principalement après la partie, lorsque votre esprit créera du lien entre tout ce qui vous sera arrivé. Pendant la partie, vous oeuvrez de concert (oui, c'est un coopératif) pour gérer à la fois les multiples petits "incendies et autres points chauds dans les 8 lieux répartis autour de votre fortin, fortin que vous devrez réparer et magnifier pour contrer la menace ambiante et réussir vos missions, mais surtout réagir proprement et vivement aux défis de la Chronique qui reste bien le but principal pour l'emporter...
Et un des coeurs du jeu est là : Le marqueur adversité avance inéluctablement à chaque tour, et si vous vous égarez à faire un peu trop autre chose : sauver la fille de la vache ou conter fleurette au forgeron, vous risquez d'être fort dépourvu lorsque la bise sera venue. Pour évitez cela, vous aurez deux actions par tour et cinq types de ressources à gérer. Nous sommes bien là face à un jeu de gestion et d'optimisation et il faudra coopérer pour ne pas perdre de temps.
Oh, perdre est facile : Un fortin sans prestige ou sans défense, une chronique raté et paf, c'est manqué ! Mais l'expérience est là, vous connaissez mieux l'adversité et nul doute que la prochaine partie, vous saurez en tirer profit !
Il faut dire qu'en Satrapie (la région où vous avez été envoyés), il y a de quoi, en terme d'adversité. En plus de vos missions, vous entendrez de nombreuses rumeurs (l'intitulé au dos des cartes Péripétie, très bonne idée pour automatiquement tenter d'imaginer ce qu'il peut bien y avoir au verso) qui, lorsque vous les vivrez, seront lues par un joueur voisin, masquant ainsi les conséquences et vous laissant prendre vos décisions en votre âme et conscience. Ce n'est pas tout, les cartes Problème, tant que vous ne les avez pas résolu, vous empêcheront de profiter des ressources des communautés avoisinantes... Et que dire des événements, pas tous heureux, ponctuels ou durables qui, tel les saisons, viennent aussi rythmer vos quotidiens de Patrouilleurs... Ben tiens, engagez-vous qu'y disait !
Et pour faire tout ça donc, deux malheureuses actions, différentes, à chaque tour : Se déplacer ou se reposer, solliciter les ressources d'une communauté ou y gérer un problème, vivre une péripétie ou user de votre action spécifique, construire ou réparer un bâtiment du fortin, voir même y élever une tour... Ah ce ne sont pas les tâches qui manquent... Et puis les tests à passer, au moyen de dés... Oh bien sûr, vous pourriez être un être cultivé, mais si vous avez construit la bibliothèque dans votre fortin, ce sera bien plus facile pour tout le monde d'y trouver la recette du remède pour la fièvre qui décime la communauté du Feu, par exemple.
Nous voilà au terme de cette petite sortie calligraphique et notre petit tour d'horizon se termine. Vous l'aurez certainement compris qu'Antoine Bauza, fidèle à ses objectifs, comme il a pu nous le confier dans notre papotache, propose un genre ludique qu'il n'avait pas encore exploré... Et d'un jeu de rôle bac-à-sable, il propose un jeu qui l'est tout autant tellement on sent, si vous, joueurs et joueuses, accrochez à l'aventure, qu'il y a moyen de raconter plein de choses, de découvrir encore de nombreuses facettes de la Satrapie et qu'il y a des zones sur le plateau qui sont encore inutilisées...
En attendant, et sans même vendre la peau du dragon avant de l'avoir occis, Oltréé propose d'ores et déjà un jeu qui, d'une certaine façon, peut se comparer à Robinson "Crusoe : Aventure sur l'île maudite" : Un jeu de gestion et d'optimisation où les déboires vécus ne doivent pas faire perdre de vue l'objectif principale et qui, à la fin, vous fait raconter vos aventures autour d'un canevas propice à cela. Ce n'est pas d'abord un jeu d'aventure rôlistique ou narratif à la Time Stories. Et si Robinson Crusoe reste d'une difficulté et d'une gestion avancée, Oltréé propose en cela un jeu qui, s'il n'en demeure pas moins tendu (et surtout tout-à-fait modulable en fonction de ce que veut vivre la tablée), est d'abord accessible et familial.
Un bel exercice de style à l'édition maîtrisée !