[Codex Naturalis][Petits Peuples]
Bombyx est le premier éditeur qui m’a permis de mettre un pied (ou plutôt un crayon) dans le monde du jeu de société en me confiant la réalisation graphique de Codex Naturalis, un jeu de Thomas Dupont. Je dois dire que ce fut une bonne surprise qu’ils me sollicitent à nouveau pour travailler avec eux sur le jeu de Nathalie et Rémi Saunier : Petits Peuples.
À l’époque, le jeu s’appelle Consortium, "un gros jeu cette fois-ci" me précise Loïg le directeur artistique de l'équipe. Il m’envoie un cahier des charges avec l’ensemble des illustrations qu’il faudra réaliser, les règles du jeu et un texte d’ambiance qui dessine les contours de l’univers qui sera ensuite développé.
L’idée d’humanoïdes miniatures construisant une ville avec toutes sortes d’objets fabriqués par leurs cousins géants (nous, les êtres humains) me plaît et laisse beaucoup de place à l’imagination. J’accepte de faire un essai en espérant trouver le style qui pourrait convenir à Bombyx.
À ce moment-là j’ai lu les règles, mais je ne me rends pas vraiment compte du côté compétitif, stratégique voire "guerrier" du jeu. J’imagine alors un univers plutôt amusant et léger où l’on construit ses petites cabanes dans la bonne humeur ! Il en ressort un côté féerique et un peu gentil, mignon quoi !
Recherche des personnages (1re version)
En plus des quelques recherches sous forme de croquis pour les personnages et quelques bâtiments, je réalise une illustration en couleur pour avoir un premier aperçu du rendu définitif d’une carte. J’ai manqué de temps et, à vrai dire, je n’en suis pas vraiment satisfait, mais il faut que j’envoie ma proposition !
Loïg me fait ses retours et on discute de cette piste, le principe de construction/assemblage des bâtiments ne pose pas de problème, mais ce qui ne convient pas c’est le rendu en couleur et le style des personnages, il en ressort un côté trop enfant pour ce jeu qui n’en est justement pas un (on est plutôt sur du jeu "Familial +", voire "Initié") ! Et flûte, je suis passé à côté... J’avais super envie de travailler sur ce projet, mais bon, ça fait partie du boulot, ça passe pas toujours, c’est comme ça !Heureusement, Loïg me donne une "seconde chance". Il me précise l’esprit du jeu et me suggère de chercher à définir une identité propre à chaque peuple, même s'il n’y a rien d’asymétrique dans le jeu. C’est cool, j’ai donc une carte "rattrapage" à jouer !
Vous savez, celle qui met bien la pression !!! Si ça plante la partie est terminée...
Malgré les délais, cette fois-ci, je décide de prendre le temps de faire les choses par étapes.
Sur la base du texte d’ambiance de départ, j’écris brièvement l’histoire de chaque peuple, j’imagine d’où ils viennent et pourquoi ils ont pu développer certaines compétences.
L’objectif est de définir un cadre pour avoir des idées qui me serviront à dessiner les quatre chefs, leur accoutrement, leur arme/outil et leur attitude. Voilà une base pour orienter mes recherches graphiques. Je décide quand même de mettre les quatre personnages de côté et de commencer par un bâtiment, car ça sera la partie la plus importante du travail (37 illustrations).
Pour contrebalancer le côté trop enfantin de ma première proposition, je fais le choix de travailler sur un bâtiment militaire, histoire de garder à l’esprit que ces petits peuples sont avant tout des survivants, qu'ils s’organisent non seulement pour se défendre des prédateurs de la faune mais aussi des autres petits peuples !
Je m’amuse déjà à "confectionner" les bâtiments avec de vieilles boîtes rouillées, des passoires et autres brindilles de bois, mais j’en suis encore à l’étape de croquis, d’ébauche... Ce coup-ci j’évite de m’aventurer dans une méthode que je ne maîtrise pas vraiment (comme la mise en couleur de ma première proposition), et tant pis si ça prendra des "plombes", me voilà parti "à l’ancienne"...
Je me sers d’une table lumineuse pour refaire mon croquis au propre au crayon, je passe un jus d’aquarelle pour donner un peu de volume, puis j’utilise mes stylos pour faire tous les contours. Je scanne mon dessin et je passe à la couleur dans Photoshop, en ajoutant un peu de texture de rouille sur les objets métalliques.
Je complète ma seconde proposition en réalisant un premier personnage, Thavog le chef des Mécass, car pour moi c’est celui qui représente le mieux l’idée de petits peuples.
On comprend l’échelle de ces humanoïdes miniatures grâce à son équipement : un couvercle de pot de confiture en guise de bouclier, une boule à thé ouverte pour le casque et un plastron confectionné avec un bout de canette de soda au citron ("LEMON").
Encore une fois, le temps file et je dois envoyer ma seconde proposition afin que Bombyx puisse solliciter un.e autre illustrateur.trice si ça ne convient pas ! Quoi qu’il en soit, je suis plus satisfait du résultat cette fois-ci et c’est déjà ça !
Peu de temps après, l’équipe de Bombyx valide le style graphique. C’est cool de travailler à nouveau avec cette équipe !
Je reçois ensuite le prototype, évidemment j’y joue avec ma compagne, une première partie, puis une autre... Et au final, c’est une après-midi entière !!! Ça y est, je comprends mieux le terme "chafouin" comme le disent si bien Nathalie et Rémi ! Bon, à ce moment-là j’ai enchaîné pas mal de parties en peu de temps, mais je me dis que ça fait partie de mon boulot, je trouve ça essentiel pour avoir des idées et travailler l’univers graphique afin que ça colle à la mécanique et à l’esprit du jeu ! En plus, c’est pratique de l’avoir sous la main quand on travaille, on peut y revenir pour voir comment sont conçus certains éléments (cartes, plateau, etc.).
J’avoue que j’ai un peu traîné pour renvoyer le prototype, parce qu’on a vraiment aimé le jeu ! Mais de toute façon, je n’avais plus le temps de jouer : il fallait s’y mettre car la tâche s’annonçait ardue au vu du cahier des charges. Je termine donc mes projets en cours pour ensuite me consacrer entièrement à Petits Peuples pendant deux mois et demi. Je fais valider chaque croquis avant de passer le dessin au propre, puis à la mise en couleur.
Croquis pour valider le design
Dessin finalisé en noir et blanc
Mise en couleur
Le processus est long, mais heureusement il n’y aura que peu de croquis qui ne seront pas validés. Je "déroule" ainsi toutes les illustrations des cartes bâtiments et en parallèle je travaille sur la conception du pion "joueur actif".
Ce pion fait toute l’originalité du jeu puisqu’il indique sur quelle partie du plateau vous allez faire vos actions, mais il va aussi déterminer de la même manière quelle sera la destination des actions du joueur suivant !
Dans le prototype, ce pion était représenté par une lanterne que j’aimais bien ! J’avais envie de garder cet élément, mais il fallait trouver quelque chose qui puisse aider à la construction et qui puisse se déplacer. J’ai pensé à la tortue, car elle peut avoir toutes les tailles et être immense par rapport aux petits peuples.
"Frida", la Torgrue
Sa carapace suggère de la robustesse qui permet l’installation d’une grue et une certaine stabilité si elle se repose sur le sol. Et c’est comme ça que j’ai pu reprendre la lanterne qui trouve sa fonction de cabine pour la grue. Bombyx lui a trouvé son nom : la Torgrue ! ("Frida" pour les intimes).
Le plateau de jeu central fera l’objet de pas mal de questionnements. Quand on commence à illustrer un jeu, on a envie que tout soit cohérent dans son ensemble, et je pensais suggérer un peu de perspective dans cette vue de dessus. Mais ceci aurait chargé inutilement le plateau.
Bien sûr, on reste dans le thème avec un jardin abandonné, mais l’ergonomie et la lisibilité pour les joueurs impliquent une représentation plus symbolique que "réaliste". Toutefois pour rester dans l’ambiance, on s’est servi de tout ce qu’on pouvait utiliser visuellement pour faire le lien entre graphisme et mécanique de jeu. Le muret délimitant le jardin sert de piste de score, l’abri de jardin, son bac à compost ainsi que la brouette servent de support pour le tour des joueurs et, tant qu’on y est, pourquoi ne pas représenter le début d’une maison et sa véranda pour la "rivière" de cartes objectifs communs.
Les 2 plateaux de jeu en phase préparatoire
La dernière étape du projet, et sans doute la plus délicate, est le visuel de la boîte.
Pour être honnête, la perspective demande beaucoup de rigueur, de justesse et ce n’est pas vraiment mon fort ! Certes, j’ai réussi à illustrer plus ou moins bien toutes les cartes de bâtiments du jeu, mais avec un angle de vue sur un bâtiment unique ! Représenter ne serait-ce qu’un bout de ville vue du ciel (en plongée) nécessite de construire son image avec méthodologie. En tout cas moi, je ne suis pas capable de faire ça à main levée sans que "tout se casse la gueule" (pardonnez-moi l’expression, mais elle correspond tellement quand on parle de perspective) !
Lors de mes études, j’ai évidemment eu des cours concernant ce sujet, mais quand on ne pratique plus, c’est pas évident de placer comme il faut ses points de fuite pour arriver à un résultat convenable.
C’est pourquoi je tiens à remercier mon frère, qui a été architecte, et qui m’a donné un sacré coup de main à distance pour poser les bases de cette illustration ! La galère d’ailleurs « attends, je pose l’Ipad, je trace mon trait (avec une règle d’un mètre) et je te montre », « Non, mets-le encore plus haut ton point de fuite » ! Pffffiooou....
Ça parait anecdotique, mais ça a tout changé...
Au final, j’arrive à m’en sortir pas trop mal avec cette vue en perspective que je redoutais. Il ne reste plus qu’à passer à la mise en couleur en mettant du vert partout !!!
Le dessin de la couverture qui servira de base.
Seront ensuite ajoutés le reste de la végétation, les personnages et le premier plan avec les oiseaux.
De son côté, Loïg (qui évidemment doit jongler entre plusieurs projets) avance sur tout le reste : plateaux individuels, mise en page des règles, logotype du jeu, etc. Il me tient au courant au fur et à mesure de ses réalisations et le tout prend forme. C’est vraiment cool de voir l’aboutissement de tout ce travail !
Du dessin sur papier au jeu de société...
Voilà dans les grandes lignes comment s’est passé ce projet.
Pour ma part, ce fut assez intense en terme de timing/boulot à réaliser, mais je suis très heureux d’avoir illustré cet excellent jeu de Nathalie et Rémi Saunier et je tiens à remercier une fois de plus Bombyx de m’avoir fait confiance une seconde fois !
Bon jeu à tous ! Et n’hésitez pas à être chafouins (comprenez rusés, voire sournois, pour ceux qui découvrent le terme) !!!
Maxime Morin
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Ha tiens !
Voici les croquis des bâtiments qui n’ont pas été utilisés dans le jeu
(Chapelle/Monastère/Manoir). Comme ça, ils sortent des oubliettes...