Préambule
Les Bâtisseurs - Moyen- Âge de Frédéric Henry, illustré par Sabrina Miramon et édité par Bombyx est un jeu de gestion qui propose aux joueurs de se livrer à des stratégies d’optimisations : être le premier a atteindre le plus vite - donc en minimisant les coûts - 17 points de victoire. Sa force réside dans la simplicité des règles et dans la profondeur du raisonnement qu’il peut offrir.
Réaliser une étude statistique sur un jeu de société semble incongru voire superflu. Plus que rechercher une stratégie gagnante, il s’agit de découvrir et établir un contact intime avec la création du jeu : comment est-il équilibré, quels choix ont été arrêtés et pour quelles raisons ? Il n’est pas question d’émettre un jugement ou de réécrire les règles du jeu mais bien d’offrir un outil statistique de conception.
Le travail réalisé jusqu’à présent n’est que descriptif, c’est à dire qu’il expose les réalités contenues dans les données du jeu sans pour autant les mettre en relation avec les différents mécanismes ; charge au lecteur de remettre l’ensemble de ce travail en contexte.
Présentation de la problématique
Le joueur doit amasser 17 points de victoire pour gagner. Construire des bâtiments rapporte des points de victoire (PV) et de l’argent (ECU). Cela nécessite des ouvriers, payés en ECUS. Dernières ressources du jeu, les actions sont disponibles contre des ECUS et inversement.
La capacité à échanger au moment opportun ces trois ressources est au centre de la stratégie du jeu. L’argent et les actions ne sont que les moyens de remporter des points de victoire, seule finalité.
Les bâtiments
On trouve 34 bâtiments dans le jeu. Ils sont le seul moyen d’obtenir des points de victoire. Il rapportent des ECUS et nécessitent des ouvriers dotés de capacités précises, d’une quantité allant de 0 à 5. Elles seront dénommées par : Pierre, Bois, Compas et Tuiles.
Nombre d’occurrences des ressourcesRessources | Nb de bâtiments | Nb total d’apparitions | Moy. | Var. |
---|---|---|---|---|
Pierre | 22 | 60 | 2.73 | 1.38 |
Bois | 28 | 59 | 2.11 | 0.83 |
Compas | 28 | 61 | 2.18 | 1.18 |
Tuile | 28 | 60 | 2.14 | 0.89 |
Le bois apparaît dans 28 bâtiments pour une quantité totale de 59.
La Pierre n’est nécessaire que dans 22 bâtiments, contre 28 pour les autres, mais son nombre total d’apparitions est analogue, elle entre donc dans la construction des bâtiments nécessitant beaucoup de ressources. En effet, lorsqu’un bâtiment exige de la Pierre, il en faut en moyenne 2.73. En outre, sa variance est bien plus élevée que les autres, c’est-à-dire que le nombre de Pierres requis est bien souvent éloignée de cette moyenne.
On constate ici une singularité dans la Pierre vis à vis des autres ressources ce qui induira comme on le verra une gestion plus difficile.
Analyse de la structure intime du jeu
Afin d’étudier la structure du jeu de bâtiments disponible, nous allons devoir utiliser un outil mathématique appelé l’Analyse Factorielle. Il ne s’agit pas d’expliquer toute la théorie de la méthode, mais juste de donner l’idée sous-jacente du processus. Si vous êtes intéressés, il existe de nombreux documents disponibles sur internet de Michel ou d’autres Philippe.
On va maintenant considérer chaque bâtiment comme un vecteur dans un espace à 4 dimensions (ouvrez votre chakra et forcez votre imagination !) dont les composantes sont les quantités requises pour chaque ressource. Voici par exemples les coordonnées de deux bâtiments :
Moulin à vent | Ecurie | |
---|---|---|
Pierre | 3 | 0 |
Bois | 0 | 3 |
Compas | 3 | 1 |
Tuile | 1 | 3 |
Le but est de projeter ces vecteurs sur un plan (deux dimensions) afin d’avoir une représentation beaucoup plus visuelle de la structure des données. Tout l’art de la chose est de bien choisir son plan, en l’occurrence celui qui gardera le maximum d’information.
Après un travail éreintant de l’ordinateur, on obtient de beaux graphiques que je m’empresse de vous commenter.
Alors on peut certainement trouver de plus jolis graphiques dans les livres ou dans les journaux, mais faites abstraction. Vous trouvez donc ici l’ensemble des bâtiments projeté sur notre plan. Basiquement, ce plan conserve 47.72+28.43 =76.15% de l’information (de l’inerte, de la variance), ce qui est très acceptable. Vous observez aussi des couleurs, elles représentent le nombre de points de victoire que rapporte chaque bâtiment. En noir, il s’agit donc des bâtiments qui rapportent entre 0 et 2 points de victoire (2 compris).
Il semble donc se dessiner une structure sur la deuxième dimension, avec à gauche les bâtiments rapportant peu de points de victoire et à droite ceux en rapportant beaucoup. Qu’en est-il cependant de la première dimension qui rassemble plus de 42% de l’information ?
Encore un abject graphique où cette fois nous n’avons pas projeté les bâtiments mais les variables. Nous voyons une claire opposition entre les ressources Tuile et Bois d’une part et Pierre et Compas d’autre part. Cela signifie que les bâtiments exigent plus particulièrement l’un ou l’autre de ces deux couples.
Maintenant, si vous considérez ces deux graphes en même temps, vous constatez que l’Ecurie qui se situe tout en haut demande bien Bois et Tuile tandis que le Moulin à vent qui est tout en bas nécessite Pierre et Compas (revenez au petit tableau plus haut).
On retrouve d’ailleurs que la Pierre (caractéristique des bâtiments qui se trouvent dans le demi-plan inférieur) est requise pour des bâtiments qui octroient peu ou beaucoup de points de victoire (rappelez-vous cette histoire de forte variance).
Les plus habiles d’entre vous auront remarqué sur la deuxième figure deux variables en vert pointillé, tauxPV et tauxGain. Il s’agit du taux entre le nombre de points de victoire (respectivement l’argent) que rapporte le bâtiment sur la quantité de ressources nécessaires à sa construction. Par exemple, l’Ecurie rapportent 3 PV et 14 ECUS et nécessite 7 ressources (0+3+1+3). Le tauxPV est donc 0.43 de et le tauxGain de 2.
On calcule ces taux pour tous les bâtiments et on projette les deux variables sur notre plan factoriel. On constate alors une opposition entre les bâtiments qui rapportent de l’argent (à la hauteur du coût de construction), dans le demi-plan gauche, des bâtiments qui rapportent principalement des points de victoire (toujours à la hauteur du coût de construction), dans le demi-plan droit. Il s’agit assurément de cette mécanique de jeu : un début de partie destiné à créer son moteur économique (recruter des ouvriers), une période intermédiaire de consolidation et de transition puis une fin de partie qui consiste à scorer.
Classification des bâtiments
Il semble que la distinction se fait entre trois types de bâtiments. C’est l’hypothèse que l’on va tenter de confirmer avec un ultime outil statistique, la Classification Ascendante Hiérarchique, qui consiste grossièrement à regrouper successivement les deux bâtiments ou groupe de bâtiments qui sont les plus proches, et de conserver un nombre de groupes final qui tient compte au mieux de l’homogénéité des groupes. Bref, voici le résultat :
Et en mettant de jolies couleurs sur notre plan factoriel :
Et nous retrouvons la structure présentée par notre hypothèse !
- Le premier groupe est caractérisé par un fort gain d’ECUS, l’exigence de peu de ressources et le gain de peu de points de victoire.
- Le deuxième groupe caractérise les bâtiments qui rapportent davantage de points de victoire et qui nécessitent principalement Bois et Tuile.
- Enfin les bâtiments du dernier groupe rapportent peu d’ECUS, beaucoup de points de victoire et exigent principalement Pierre et Compas.
Et les ouvriers ?
Dernier résultat intéressant de cette petite étude statistique, il s’agit du traitement des ouvriers. Nous venons de voir l’existence de deux groupes de ressources, Bois et Tuile d’une part, Pierre et Compas d’autre part. Regardons un peu ce que donne l’analyse factorielle des ouvriers :
Oui, vous voyez bien, les ressources Compas et Pierre sont opposées, tout comme les ressources Tuile et Bois. Cela signifie que pour un ouvrier donné, s’il propose de la Pierre, il proposera indépendamment de la Tuile ou du Bois mais certainement pas du Compas. C’est bête. Mais c’est le jeu, n’est-ce pas ? Mais quel odieux personnage a pu concevoir une telle mécanique ?
Conclusion
Sans doute n’avez vous rien appris si vous êtes joueur de Les Bâtisseurs - Moyen-Âge tant ces réalités sont visibles lorsque l’on joue, mais cette étude aura au moins l’avantage de proposer des analyses sur ces ressentis et d’inviter à la réflexion sur le gameplay et l’équilibrage d’un jeu de société.
Si on devait donner suite à ce genre d’étude, une analyse des déroulements de parties peut s’avérer très intéressante afin de mettre en lumière les stratégies -gagnantes ou perdantes- mises en place par les joueurs.
Quoiqu’il en soit, nul doute que la statistique peut trouver sa place dans la conception de jeux de société, et j’invite les auteurs, si ce n’est y jeter un coup d’oeil, à considérer la chose.