[Le Parrain : l’empire de Corleone][Löwenherz][Richard Coeur de Lion]
Figurez-vous que le preux Richard, maître de ces lieux, s’en est allé taillader des tranches de Sarrasin en Croisade. Rien de plus louable, direz-vous, que d’aller participer au plus grand championnat mondial de pan dans ta gueule en cours. Sauf que bon. Ben oui, bon, hein, quoi. Pendant ce temps, sur les bonnes terres angloises, figurez-vous que ça se tire la bourre. Et entre le rapace Prince aux pinces qui cassent et les vagabonds bandits vaquant bondissants dans les bois, l’équilibre du royaume ressemble au spectacle d’un funambule alcoolique que l’on chatouille perfidement tout en l’aspergeant de poivre. Oui, en toute franchise, je vous le dis, de part chez nous, ben ça craint.
Richard Camembert
Je vois déjà les vieux de la vieille, les connoisseurs à la mémoire aussi longue que la frise chronologique de l'Histoire de l'humanité du fond de la salle de CM2, ouvrir de grand yeux. Quoi que donc, disent-ils (car ils s'expriment ainsi), ne voilà-t-il donc pas qu'enfin bon sang le Richard Cœur de Lion du teuton éditeur Kosmos, sus-daté de feu les ans 2004, revient-il donc t-il pas chez Cool Mini Or Not / Edge ? Je vous jure, ils parlent comme ça, les connoisseurs. J'ai les mêmes au bureau.
Alors non, le Richard Cœur de Lion dont nous parlons dans la présente n'est pas celui de Klaus Teuber, mais bien une toute nouvelle œuvre ludique, toute moderne, sortie en françois en ce début de Juin 2018. Une grosse boîte qui pèse son poids en matos et figurines, issue de l'esprit de Andrea Chiarveso, publiée hors circuit KS par CMON, et en France sous la pastille Edge.Ce Richard Cœur de Lion, et sa mécanique étonnante de cartes, à base de prise de risques et d'influence de deck central, est enluminé de toute beauté par Karl Kopinski. Enluminé, c'est le mot juste. Si l'on peut reconnaître, sur certaines illustrations de personnages et décors, le trait en ombres, lumières, et jeux de flous (qui avait, entre autres, donné un souffle de beauté au Parrain), une bonne partie du matériel de jeu s'amuse à grimer le style des enluminures du Moyen-Âge. Une exquise représentation visuelle, toute en impression de symboles et anciens et bas-reliefs, qui donne un cachet tout particulier et fin aux cartes et aux plateaux de jeu.
L'échelle de Richard
Le principe de fond de Richard Cœur de Lion consiste à récupérer des cartes, puis de les insuffler dans un deck central. Ces cartes, représentant six types de "ressources", vont être sorties du deck central à chaque fin de manche, et influencer les 4 échelles de valeurs du jeu : L'Armée de Richard et l'Armée de Saladin, représentant leur avancée et réussite dans les Croisades, le Retour du Roi, représentant le périple du voyage vers le bercail de Richard, et le Trésor Royal, peu à peu dilapidé par le Prince Jean. En fonction du camp de votre personnage (loyalistes, partisans de Jean, ou neutres), vous n'allez pas chercher les mêmes influences, ni les mêmes avancées d'échelles.
Concrètement, après une phase d'événement et de révélation d'allégeance pour ce tour des joueurs neutres, démarre une phase de récupération de cartes. Chaque joueur se déplace sur le plateau de l'Angleterre, en direction d'une case lui offrant un effet (piocher X carte de votre choix, 1 carte de chaque ressource, échanger X cartes vertes contre X cartes rouges...). A noter que si un joueur croise un adversaire, il peut aussi faire le choix de voler une carte dans la main de celui-ci, en réduisant sa capacité de déplacement pour ce tour.Ce déplacement terminé, tous les joueurs vont maintenant pouvoir effectuer un achat (une compétence, une amélioration d'action, une pioche de carte ou encore le cumul de points de prestige).Puis l'on passe à la phase d'influence du deck Croisade. Chaque joueur place 2 cartes de sa main dans le deck (qui, de base, est formé de 2 itérations de chaque ressources disponibles). Tout le monde a la possibilité de payer pour ajouter une troisième carte. L'on brasse ensuite le deck en l'on en révèle un total de 2 cartes par joueur. Les cartes tirées vont influencer les différentes échelles, certaines poussant des stratégies et d'autres les contrant. L'influence de vos choix sur le deck ne sera donc peut-être pas immédiate, mais à force de pourrissage, votre travail de sape finira forcément par payer. Monsieur NicoFu l'Infâme Félon en donne d'ailleurs un brillant exemple contre Monsieur Guillaume le Preux du Bois dans cette partie tendue :En fin de partie, qui survient le plus souvent avec la victoire d'un camp ayant poussé au maximum l'une ou l'autre échelle (et plus rarement en atteignant la fin des 10 tours), on cumule alors les points de prestige gagnés en cours de partie. Seul celui qui aura engendré le plus de preuves de son aide à la cause de son seigneur sera victorieux, et bénéficiera d'une place chauffée à la droite de celui-ci, tandis que les autres s'en iront sans nul doute croupir dans quelque douve.
Riche comme Richard
Notre conseil final est en demi-teinte sur ce Richard Cœur de Lion. La mécanique de récupération et d'utilisation des cartes, et d'influences d'échelle, est intéressante, tendue, pleine de stratégies. Le jeu demande à surveiller les actions des adversaires, mais aussi à s'organiser entre partisans du même camp, afin de taper sur tous les fronts, ou de mettre le paquet sur un axe, ou encore de faire le tampon de la stratégie adverse. Le rôle du camp neutre, pris entre deux feux, arbitre devant juguler les envies de chacun afin de maintenir le statu quo, est une autre approche du jeu qui demande concentration, écoute et précision. Une mécanique de fond simple et intéressante pour un jeu de cartes ne comportant que 6 types de ressources identiques.
Et le grief principal réside sans doute là. Il ressort d'une partie de Richard Cœur de Lion l'impression d'un agréable, tactique et diplomatique jeu de cartes... emballé de mécaniques en surplus d'amélioration de personnages, de point de prestige, d'événements aléatoires. Une dimension presque factice, ne serait-ce que dans cette volonté de n'avoir qu'un seul vainqueur plutôt qu'un camp vainqueur, une dynamique qui n'apporte pas tant d'intérêt que ça dans les négociations. Et le matériel ! Si les illustrations de Kopinski sont sublimes et n'ont rien à retirer, il apparaît en revanche démesuré de trouver dans la boîte, 10 grandes fiches personnages et 3 énormes plateaux, où se glissent jusqu'à 14 figurines, dont 4 sont simplement des marqueurs d'échelle.L'on se retrouve avec une boîte à 70€, et l'illusion d'un énorme jeu. Richard Cœur de Lion laisse pourtant un goût de jeu de carte plaisant, mais comme sur-édité, sur-gonflé de mécaniques, là où une version plus épurée le rendrait sans doute plus efficace. Mais peut-être est-ce trop s'avancer de notre part. Syndrome de la folie KS ? Déformation du spectre créatif grandiloquent de Cool Mini Or Not ? L'on a l'inévitable sensation de jouer à la version de luxe d'une version déjà de luxe d'un bon jeu de cartes.Si l'occasion se présente, je vous conseille néanmoins d'en jouer une partie, afin de vous faire votre propre avis sur la chose, tout spécialement si vous êtes amateur de gestion d'échelles de valeurs, d'études des stratégies adverses, de coopération en équipe efficace, ou de coups longuement mitonnés à l'avance.