[Flamme Rouge][Hack Trick][Jeu de Dames - La Rose et le Glaive][Othello][Sixth !]
Je sais. Monsieur Phal vous a déjà fait le coup il y a peu de temps avec Flamme Rouge en vous faisant croire que c’était le meilleur jeu du monde. Ce en quoi il avait évidemment complètement tort, une fois de plus, puisque je vais donc vous le présenter maintenant et vous verrez que ça ne ressemble pas du tout. Ça ne ressemble à rien en fait et c’est là qu’on sent toute ma prétention à vous vendre du rêve avec une poignée de pions et un damier. Ha ! Si, en fin de compte ça ressemble aux Dames, vu de loin. Bon c’est pas gagné mon affaire…
La version multilingue Blue Orange 2016
Plus sérieusement, j’ai découvert Sixth, en même temps que son sympathique auteur József Dorsonczky lors du salon allemand d’Essen 2014. Depuis le gars Jozsef a publié plusieurs jeux dont le merveilleux Hack Trick. Ce jour là, il y avait aussi Thierry Denoual de Blue Orange qui m’attrape par le bras en montrant ce petit damier miteux en me disant juste d’y consacrer un peu de mon attention. Je n’ai pas bien compris sur le coup s’il se moquait de moi, de Jozsef ou de nous deux. En fait non…
József Dorsonczky est un auteur roumain qui aime les jeux, le ping pong et les chiens. C’est donc de base quelqu’un de formidable. Mais Sixth! est juste une merveille de jeu abstrait. Un de ces jeux où l’on se demande pourquoi personne n’y avait songé avant tellement c’est juste une évidence.
Version spéciale Essen 2014
Tout commence par un tablier (damier) de 25 cases (5x5) et des pions en galette de deux couleurs. Les Dames en petit comme je vous le disais… Alors que le jeu est en fait plus affilié aux Échecs mais ça ne change rien : nous sommes dans l’abstrait le plus strict, le plus épuré, le moins vendeur. Autant vous dire que Blue Orange est monté en flèche dans mon estime. Déjà, on pouvait avoir des soupçons quand ils se sont mariés avec Jactalea… Autant cette fois c’est sûr : ces gens sont des esthètes qui se permettent d’éditer des jeux complètement à rebours de l’air du temps de la swag. Juste parce que c’est un jeu génial. Chapeau bas ! Imaginez ce truc en KS et on récolte 50€ en deux mois…
Alors regardons où se trouve ce soit disant génie...
Dans Sixth le but du jeu est de créer une pile de jeton d’au moins 6 de hauteur avec sa couleur au sommet.
A) j'entre B) Je t'empile
Le tour de jeu est le suivant :
- Soit on amène un de ses pions sur le tablier sur une case vide,
- soit on déplace une pile (ou la partie haute d’une pile) de jetons sur une case qui n’est pas vide.
Le tablier est donc vide en début de partie. Il va se remplir au fur et à mesure. L’action d’amener un nouveau pion permet de le poser absolument où on le souhaite tant que la case d’arrivée est vide. Les premiers temps d’une partie sont donc consacrés à se positionner sur le tablier.
Le jeu abstrait c'est pour les vieux intellos qui sentent le pipi...
La seconde action consiste donc à faire bouger le pions en jeu avec un effet d’empilement. Une Pile c’est a minima constitué d’un pion. Mais ce mouvement devant immanquablement se terminer sur une case occupée : voilà notre première pile de 2 pions. On se dit alors que ça va continuer à grimper de plus en plus. Oui et non. Jozsef n’a pas voulu faire un jeu uniquement constitué d’attaques. La contre attaque et la défense y ont aussi leurs places. Pour cela, on peut couper une pile en ne faisant bouger que 1 ou plus des pions du sommet. Là encore il viendront s’ajouter forcément à une autre pile.
Si pour remporter la victoire, il faut avoir sa couleur en haut d’une pile de 6 ou plus, la couleur du haut d’une pile ne donne pas de droit de propriété dessus. On peut, à son tour, bouger n’importe quelle pile, y compris si c’est la couleur adverse qui est visible. La liberté quoi !
Si vous avez bien suivi, Blanc gagne sur un de ces coups
Mais comment bouge t’on une pile ?
Là c’est le feu d’artifice ! Ce mouvement va dépendre de la hauteur de la pile ! Un truc purement machiavélique !
- Une pile de 1 se déplace d’une case orthogonalement
- Une pile de 2 se déplace de plusieurs cases orthogonalement
- Une pile de 3 se déplace en L de 3 cases (là normalement vous devriez commencer à comprendre)
- La pile de 4 se déplace de plusieurs cases en diagonale
- Celle de 5 de plusieurs cases orthogonalement ET en diagonale
C’est là que les Échecs entrent en scène puisque ces déplacements ne sont rien d’autre que ceux des pions, de la Tour, du Cavalier, du Fou et de la Dame. Mais que contrairement aux Échecs, nous n’avons pas une bataille rangée avec des ouvertures mais des unités qui vont changer de nature tout le temps. Nous aurons plutôt des situations d’Othello avec beaucoup des changements rapides.
Voilà juste LE truc à retenir
Imaginez donc une pile de 5 (une Dame) qui, à votre tour ne vous permet pas de gagner car il est impossible d’amener un sixième pion dessus pour le moment. C’est donc une opportunité ratée et une forte possibilité que notre adversaire termine victorieux le coup suivant. Il faut donc contrer rapidement en morcelant cette pile dangereuse.
On va donc la couper en prenant une partie. Cette nouvelle pile prélevée dans celle de 5 peut donc contenir de 1 à 4 jetons qui devront se déplacer comme une Dame (taille de la pile départ). Il faudra donc penser à la nature de la pile que nous allons créer (nombre de pions la constituant au final), celle que nous allons laisser sur place et les possibilités que tout cela laisse à notre adversaire.
Et pour les tarés du genre, il existe même quelques variantes.
Les jeux abstraits c'est chiants et on ne rigole pas
6 Rois
Dans la version de base, le joueur qui forme une pile de 6 avec un pion à lui en haut gagne immédiatement la partie. Certains, avec l’expérience trouveront cela un peu frustrant. On peut donc jouer une partie en plusieurs « Rois ».
Une fois le premier Roi créé, la partie va continuer. Les pièces qui en faisait un Roi sont retiré de la pile (on laisse donc une pile Dame de 5). Ces pièces restent jouables et pourront être réintroduites en jeu de la manière habituelle.
Un Roi rapportera 1 point à celui qui l’a créé. Une partie se jouera alors en 6 points. Le premier à 6 remporte la victoire. Autant vous dire que les rebondissements seront alors très nombreux.
Pour les Experts, le jeu est vendu avec des pièces Bonus.
Milady
Milady est un pion blanc. En début de partie, il est neutre et peut donc être introduit par n’importe quel joueur. Par contre il ne peut rentrer que sur une case du bord du tablier. Il se déplace comme un pion et peut faire partie d’une pile.
Tant que le pion Milady est visible (seul ou au sommet d’une pile), le joueur actif DOIT le recouvrir. Il ne pourra jouer ailleurs que si ce coup n’est pas possible. Milady se comporte donc comme un aimant dès que cette dame blanche apparait ou réapparait.
La version 2014 de Essen qui se nommait SixMaking. À prononcer correctement donc.
Le Bossu
Il existe en fait deux Bossus : un pour chaque joueur. Facile à reconnaître, les pions Bossus ont une bosse. Cette bosse aura pour fonction qu’on ne peut rien empiler dessus.
Le Géant
Tout comme les Bossus, chaque joueur aura son Géant. C’est un pion plus épais que les autres. Ses caractéristiques sont les suivantes : le Géant bouge comme une pile de 2 (Tour) et compte comme 2 pions quand il est dans une pile.
Tous les hurluberlus sont en jeu
La méga partouze
Ce n’est pas exactement le terme employé dans les règles. C’est le mode de jeu où l’on peut jouer tous les personnages avec même des points de recrutement !
Dans ce mode, les joueurs possède un capital de 12 points de recrutement.
Les coups d’achats sont les suivants :
- 1 pion simple : 1 point
- 1 Géant : 2 points
- 1 Bossu : 3 points
Et Milady alors ? Comme il n’existe qu’un seul pion Milady, les deux joueurs ne peuvent en profiter l’un et l’autre. Pendant la partie, un joueur peut décider de faire entrer Milady. Cela lui coûtera 2 points. Il devra donc retirer l’équivalent de ses pions déjà achetés. On ne peut donc plus faire entrer Milady quand il nous reste un seul pion à faire entrer en jeu.
Notez bien le sourire satisfait du gars qui est en train de gagner
et l'autre qui essaye de se souvenir à quel moment il a merdé
József Dorsonczky a donc utilisé de vieilles ficelles pour son jeu et c’est justement en voyant le résultat que l’on sera étonné qu’on puisse faire ça avec juste ça. Contrairement aux jeux de pions par construction progressive comme les Dames ou les Échecs, nous sommes ici dans un jeu à métamorphoses. Ce n’est certes fois pas la première fois qu’un jeu de pion propose des changements de nature des pions. La promotion du Pion en Dame aux Échecs en est une forme. L’Othello voit ses pièces passer d’un camp à l’autre. Ce n’est pas non plus la première fois que la notion de propriété est changeante ou adaptable : plusieurs jeux, notamment asiatiques, permettent de réutiliser des pièces capturées.
On peut d’ailleurs assez facilement imaginer que les mécanismes des jeux nous parlent aussi des sociétés où ils se jouent. L’antiquité présente beaucoup de jeux de parcours qui sont autant d’analogies de la destinée et d’une vision linéaire (parfois multilinéaire) de la vie.
Les Échecs représentent un façon un peu plus active d’agir sur le destin. Genre « on se plante l’un devant l’autre et on se poutre ».
Et puis la modernité avec nos vies plus longues et plus modelables voit des jeux à transformation arriver. Notez qu’il ne s’agit plus de « promotion » comme au moyen-âge mais de mutations et qui donnent donc un système qui se modifie rapidement avec des opportunités.
À l’heure des jeux à forte plus-value narrative, les abstraits sont toujours là. Et si vous appréciez les plaisirs de la réflexion, vous découvrirez que la poésie est aussi dans l’abstraction et pas aussi ardue à trouver qu’on le pense généralement.