En ce monde sans sol, d’infinis azurs, et de céleste densité d’éther, nous sommes les voyageurs. Notre tâche est plus que vitale. D’aéroîles en éolieux, nous allons, venons, apportons les nouvelles, contons les histoires et chantons les héros, mais surtout échangeons. Contre quelques richesses que d’aucuns convoitent, remportons sur nos barges ce qu’ils cultivent sur leurs maigres parcelles d’avant-vide. Nous sommes les nomades, dans le sillage du grand nef, et nous portons le souffle de nos turbines en opposition à la course du soleil.
Larguez les amarres
Pour la rentrée, Pearl Games nous revient avec un jeu maison, du maître à la barre Sébastien Dujardin, prouvant ainsi tout en poésie qu'il est parfois bon d'être tête-en-l'air ou d'avoir le cerf-volant (les jambes en l'air aussi, mais ça c'est autre chose). Aussi, après une plongée dans les profondeurs abyssales des contrées obscures d'Otys, prenons-nous de la hauteur dans les stratosphériques cités-états volantes de Solenia.
Sublimement mis en images par un Vincent Dutrait que l'on ne reconnait pourtant pas à la première ligne, Solenia joue, autant par sa mécanique que son habillage, aux jeux de lumières entre les nuits scintillantes et les jours éclatants. Avec son plateau (qui n'a de cesse de se retourner sur son revers dans sa course sans fin contre le temps), l'espacement, et les cycles, Solenia nous emmène en finesse et lyrisme dans un monde qui vous demandera de faire preuve de fourberie, de malice et de programmation.
Ethernité
Le but de Solenia est de vous pousser à décrocher les étoiles, entendez par-là atteindre le plus d'estrellains jetons points de victoire. Pour cela, vous allez tantôt récupérer des ressources sur les îles-au-vent que votre croiseur croisera, tantôt remplir des contrats en apportant les-dites marchandises aux plus nécessiteux. Et oui, car si les étherres de journée voient le blé pousser à profusion, les habitants du côté nuit en sont, eux, démunis. Ces derniers possèdent en revanche de larges réservoirs aqueux qui mettent l'eau à la bouche de leurs solariens voisins d'outre-nictosphère.
A votre tour, rien de plus simple : vous jouez une carte de votre main sur l'une des villes encore vierges du plateau. Il est normalement gratuit de poser votre comptoir, à moins que la folie des hauteurs ne vous souffle de le poser très loin du dirigeable principal. Vous touchez alors un nombre de ressources indiqué sur votre carte jouée, de la nature de celle proliférant sur votre étherre (que vous visez à travers le hublot grand oblong de votre carte percée). Ces ressources se déposent alors sur votre barge personnelle, à place limitée. Afin d'éviter le dilemme du zeppelin plein, et débloquer d'habiles bonus de fidélité commerciale aérienne, il vous faudra, une fois de plus, remplir des contrats du jour et de la nuit.Et comment donc, justement, passe-t-on du jour à la nuit et inversement (du moins, plus vite qu'en attendant que la pipistrelle flûte puis que le coq carillonne, derrière, là, dehors) ? Sachez que certaines cartes feront avancer le dirigeable de la guilde des marchandairs d'une case vers l'avant. Lors d'un tel événement, la tuile plateau du fond est retirée, retournée sur sa face opposée, et vient compléter le terrain à l'avant avec 12 bonnes heures de décalage stellaire. Les cartes comptoirs posées par les joueurs présentes sur la tuile retirée marquent alors un petit bonus supplémentaire avant de finir à la défausse.Et quand pose-t-on définitivement ses valises ? Et bien lorsque chaque joueur aura joué l'ensemble de ses cartes (chacune issue de votre deck personnel, identique à tous) la partie prendra et les cieux se reposeront.
Fortune des Airs
Dans les mondes nuageux de Solenia, tout est question de tempo. Celle de la gestion de votre main, tout d'abord. Quand jouer une carte, où ? Vaut-il mieux la garder pour plus tard, la poser plus loin, plus en arrière afin de rapidement en toucher le bonus de disparition de tuile ? Dois-je courir après les ressources du jour, ou les contrats juteux ? Autre tempo : la gestion du jour et de la nuit, qui se mêle à celle de vos stocks. Aurez-vous le temps de vous charger suffisamment des ressources du jour pour les vendre à la nuit ? Mais attention, votre cargo-barge étant limité en place, traverser une nuit sans mettre à jour vos profits peut sérieusement vous ralentir. A vous alors, et c'est tout à fait faisable, de remonter la distance en propulsant le dirigeable au jour nouveau, ou bien en remplissant de petits contrats peu juteux mais permettant d'améliorer votre céleste vaisseau, d'une façon classe au pimp qui offre du point.
Solenia est agréable, fluide, rapide (des parties de 30 à 45 minutes), mais ne manque pas de défi pour autant ! L'interaction ludique vous oblige à surveiller vos camarades, leurs priorités et les vôtres, et choisir entre manger les gros contrats ou améliorer votre plateau personnel, à moins que vous ne privilégiez l'opportunisme de sauter de ciel en ciel, de l'une à l'autre des lignes tactiques maîtresses. La force de Solenia, outre sa fraîcheur ludique et sa simplicité d'exécution, est de pouvoir satisfaire un public large, permettant des parties entre dilettantes pour aérien ou tout au contraire avec fourberie de corsair. Dans le cas de gros jouairs qui aiment semer la tempête sous les crânes, il s'avère que différentes stratégies et styles de jeux peuvent cohabiter et méchamment se concurrencer, avec de belles victoires sur le fil.Un très bel équilibrage des flotteurs, qui fait de Solenia un jeu bon, beau, plaisant, frais. Une très belle rentrée Pearl Games, qui donne par ailleurs de la suite dans les idées à son h'auteur. Suivra en effet, toujours chez la perle de Belgique, la sortie de Black Angels, un bien plus gros jeu, toujours de Monsieur Sébastien, et co-piloté avec Alain Orban et Xavier Georges qui utilisera cette même mécanique de plateau mouvant et retournant. Mais pour le coup, en carrément pas pareil. Spatialement différent, même.Solenia réjouira quant à lui les amateurs de pick & delivery, de pique et fourberie, de mouvements dans un monde au sublime sempiternel, d'opportunisme comme de tactique, de pimp et de rentabilité d'économe, de tempo fluide mais tendu, et de flotto-méduse avoisinant les barriairs de corhauts.