Lorsque j’avais réalisé la critique de Madame Ching, dernier jeu de Bruno Cathala, j’étais un peu resté sur ma faim, le jeu ne m’ayant pas particulièrement séduit malgré ses qualités. Autant le dire tout de suite, Five Tribes a provoqué chez moi la réaction inverse :j’ai adoré ce jeu et je suis prêt à le défendre becs et ongles dans ce test !
Five Tribes
Un jeu de Bruno Cathala
Illustré par Clément Masson
Publié par Days of Wonder
2 à 4 joueurs
A partir de 13 ans
Langue des règles: Française, Allemande, Anglaise
Durée: 60 minutes
Prix: 54,00 €
Préambule :
La rentrée ludique sera chargée pour Bruno Cathala,co-auteur d’Abyssqui parait chez Bombyx. Le dernier jeu solo de Bruno Cathala fut, si je m’abuse, Longhorn chez Blue orange, un jeu de placement/déplacement sur le thème du Far West.
Days of Wonder, l’éditeur, a pour habitude de nous proposer un seul nouveau jeu par an (RelicRunner en 2013), assez conséquents en matériel mais accessible malgré tout.
Les règles :
Dans Five Tribes,le but du jeu est aussi simple (avoir le plus de points possibles) que les moyens d’y parvenir sont nombreux. L’étranger que vous êtes saura-t-il gagner les faveurs des cinq tribus et devenir le nouveau sultan du royaume de Naqala ?
Pour réussir cet exploit, vous devrez utiliser au mieux les cinq tribus qui habitent ces terres. Ces tribus possèdent les pouvoirs suivants :
- Les vizirs (jaune) : ils rapportent 1 point chacun à la fin de la partie.
- Les sages (blanc) : ils rapportent 2 points de victoire à la fin de la partie, mais servent surtout à invoquer des djinns.
- Les marchands (vert) : ils permettent de récupérer des marchandises, à raison d’un meeple pour une marchandise, prises dans l’ordre de disponibilité.
- Les bâtisseurs (bleu) : ils permettent de récupérer des pièces d’or. Pour cela il faudra multiplier le nombre de bâtisseurs par le nombre de tuiles comportant un chiffre bleu parmi les 9 cases qui encerclent celle sur laquelle vous avez récupéré vos meeples.
- Les assassins (rouge) : ils permettent d’assassiner un vizir ou un sage adverse ou bien de tuer un meeple sur le terrain de jeu (dans ce cas il faudra défausser autant de meeplesassassins que de case qui vous sépare de votre cible).
Une fois les 30 tuiles posées aléatoirement, on pioche trois meeples dans le sac qu’on place ensuite sur chacune d’entre elles. Sur ces tuiles ontrouve deux indications : un chiffre en rouge ou bleu qui indique le nombre de points que gagnera le joueur qui contrôle cette tuile, et un petit symbole qui indique le type de la tuile :
Le village permet à un joueur terminant son tour dessus de déposer immédiatement un palais sur cette tuile. Chaque palais rapporte 5 points à la fin de la partie à celui qui contrôle la tuile.
L’oasispermet à un joueur terminant son tour dessus de déposer immédiatement un palmier sur la tuile. Chaque palmier rapporte 3 points à la fin de la partie à celui qui contrôle la tuile.
Le grand marché sur fond rose permet d’acheter, pour 6 pièces, 2 ressources parmi les 6 premières. Cette action n’est pas obligatoire.
Le petit marché sur fond bleu permet d’acheter, pour 3 pièces, 1 ressource parmi les 3 premières. Cette action n’est pas obligatoire.
Le lieu sacré sur fond noir et blanc permet d’acheter un djinn en échange de deux sages ou d’un sage et d’un esclave.
Lorsqu’un joueur récupère les derniers meeples d’une tuile, il y pose un de ses chameaux et en prend le contrôle. Il sera impossible pour un autre joueur de le déloger.
Le marché comporte 10 ressources différentes : 9 marchandises, sur fond vert, et des esclaves. Mais attention, toutes les ressources ne sont pas présentes en même quantité ! Ces ressources vont pouvoir être vendues pour rapporter des pièces au prorata du nombre de cartes différentes présentes lors de votre vente, le rapport étant exponentiel. On débute à 1 pièce pour une ressource et l’on finit à 60 pour 9 ressources…
Il est également possible d’acheter des djinns en terminant votre déplacement sur un lieu sacré. Certains de leur pouvoir seront actifs en permanence une fois achetés, d’autres devront recevoir une offrande (en sage ou en esclave) pour pouvoir être activé lors du tour du joueur le possédant, etc. Chaque joueur dispose d’une aide de jeu fort pratique résumant les pouvoirs des djinns et les différentes actions possibles.
Maintenant que vous avez en main les différentes indications, passons au tour de jeu. Chaque manche débute par une phase d’enchère. Le premier pion placé sur la piste d’ordre des enchères va alors se placer sur la piste d’ordre de jeu. Son joueur a le choix entre payer 1,3,5,8,12 ou 18 pièces pour être bien placé sur la piste, ou bien se mettre sur la première case zéro, au risque d’être délogé en seconde puis en troisième position si un autre joueur vient s’y mettre ensuite.
À son tour de jeu, un joueur va effectuer les actions suivantes :
Déplacer des meeples : il va choisir une tuile, prendre tous les meeples qui se trouvent sur celle-ci et les égrainer sur les tuiles adjacentes, à raison d’un meeple à la fois. Attention cependant, le dernier meeple posé devra obligatoirement être de la même couleur que l’un de ceux déjà présent sur la tuile d’arrivée. Le joueur ramasse alors tous les meeples de cette couleur. Il est bien sûr interdit de faire des allers-retours entre 2 tuiles.
Vérifier si la tuile est vide de meeples ou non, si c’est le cas on place un chameau de sa couleur dessus.
Réaliser l’action de la tribu que l’on vient de récupérer.
Effectuer l’action permise par la tuile si on le souhaite (sauf mettre un palais ou un palmier, qui est une action obligatoire).
Vendre au marché ses ressources si on le souhaite.
Utiliser le pouvoir de vos djinns.
Une fois que tous les joueurs ont joué, on ajoute les éventuelles cartes manquantes dans les files de ressources et de djinns.
Le jeu prend fin lorsqu’un des joueurs n’a plus de chameaux, ou bien s’il n’est plus possible de faire un mouvement avec les meeples. On termine alors le tour en cours, puis l’on procède au décompte des points en s’aidant du carnet fourni. Le joueur ayant le plus de points l’emporte.
Le matériel :
J’ai toujours énormément de plaisir à découvrir le matériel d’un jeu, d’autant plus lorsque celui-ci est conséquent. Five Tribes n’est pas avare de ce côté-là, entreses nombreuses pièces en bois (de belles tailles), ses grandes tuiles et ses nombreuxmeeples, sans oublier les cartes. L’ensemble est magnifiquement illustré etposséde des icônes très lisibles qui ne se confondent pas les unes avec les autres. Le matériel se manipule facilement, aucun souci de ce côté-là, de même pour le rangement qui bénéficie d’un thermoformage idéal.
Bien que n’étant pas un énorme plus pour l’immersion, le thème a le mérite d’être agréable et de bien unifier le tout. Un peu de magie avec les contes des mille et une nuits n’a jamais fait de mal à personne !
Je mentirais en disant que j’ai quelque chose à redire sur le matériel tant celui-ci est de qualité.
Le ressenti durant les parties :
Five Tribes peut se jouer de 2 à 4 joueurs, aucune configuration ne souffrant d’un quelconque déséquilibre. À 2 joueurs vous jouerez 2 fois par tour (chaque joueur ayant 2 tours pour les enchères), avec 11 chameaux au lieu de 8 à 3 ou 4 joueurs. Cette configuration est d’ailleurs très intéressante car il est possible de « coupler » ses actions étant donné que l’on joue deux fois par tour, ce qui ajoute un brin de tactique. Je voulais parler de cette configuration en premier car il existe de nombreux jeux qui se disentjouables à 2 alors qu’en réalité un joueur fantôme doit être joué par les deux joueurs, ce qui n’est pas toujours agréable et nuit souvent à la fluidité. Ce n’est pas le cas ici, je tenais donc à le souligner.
Five Tribes est un jeu exigeant. Simple à prendre en main mais difficile à maitriser, il risque de froisser les egos des stratèges qui se croient plus malin que tout le monde. Les nombreuses façons de scorer obligent en effet à revoir sa stratégie en fonction des coups joués par vos adversaires à chaque tour. Il vous sera quasi impossible de vous positionner sur tous les fronts. Vous pourrez bien entendu les associer, mais réussir à les mener à leurs termes sera autre chose. Les djinns influenceront d’ailleurs pas mal votre façon de jouer grâce à leurs pouvoirs agissant sur un domaine bien particulier. Il ne faudra pas non plus négliger la possibilité d’obtention de points par le contrôle d’une tuile et des éventuels palmiers et palais qui s’y trouve. De même qu’il faudra surveiller ses dépenses, chaque pièce rapportant un point de victoire à la fin de la partie.
Ma première partie fut très agréable, même si elle servait plus à découvrir le jeu et ses mécaniques. Les suivantes l’ont été tout autant, chacune m’apprenant une nouvelle subtilité du jeu. Le plus difficile au départ est de voir quel est le bon coup à jouer parmi les très nombreuses possibilités. Il y a parfois de longs moments de réflexion et à 4 les parties peuvent durer un peu plus. Il faudra donc vous montrerpatient et attentif si vous comptez remporter la victoire.
Si le fait de devoir retenir plusieurs pouvoirs vous fait peur n’ayez crainte, les icônes sont très bien conçues et l’aide de jeu très utile. Les djinns ne sortant que par 3, il est assez aisé de retenir leurs fonctions, surtout que les acquérir ne sera pas chose aisée tant les autres aimeront tuer vos sages pour vous empêcher d’obtenir plus de pouvoirs.
Il existe bien entendu quelques combos puissants. En ayant les djinns Boa et Shamhat(ou Jafaar), vous vous garantissez ainsi quelques points, le premier protégeant vos vizirs et sages des assassins tandis que le second augmente la valeur des sages(ou des vizirs). Les autres djinns ne sont pas en reste, à l’imaged’Iblis et sa capacité à tuer 2 meeples sur la même tuile (ou 2 vizirs ou sages d’un adversaire…). Il est même possible de le coupler à Nekir qui vous permet de remporter 1 pièce d’or par assassinat !Vous l’aurez compris, les possibilités sont énormes pour peu que vous sachiez exploiter les sorties de carte (il en va de même pour les marchandises).
Je suis sorti de mes parties heureux d’avoir découvert le jeu et avec une furieuse envie d’y revenir, autant vous dire que les ressentis sont très bons et que le jeu m’a énormément plu.
La durée de vie :
À peine avais-je terminé ma première partie que j’avais envie d’en refaire une nouvelle, apanage des jeux qui vont durer.Je suis certain de le ressortir régulièrement, notamment parce qu’il se joue très bien à deux. Il ne conviendra pas forcément à tous les publics, le jeu étant assez complexe à maitriser, pourtant je sais d’ores et déjà que je ne refuserais pas une partie.
Si vous aimez les jeux où la réflexion est de mise, où il est possible de scorer de plusieurs manières différentes sans que le hasard ne vienne gâcher la partie, Five Tribes devrait vous plaire. Je ne vois donc aucune raison de lui faire prendre la poussière.
Mon avis :
Je pense que vous l’aurez compris, Five Tribes m’a conquis. Oui,c’est un jeu original qui réutilise avec brio l’égrainage de l’antique jeu d’Awalé en y ajoutant de nombreuses couches tactiques. Oui,c’est un jeu exigeant, mais il sait récompenser les joueurs qui font l’effort de s’intéresser à lui. Oui, Five Tribes est passionnant et à toutes les chances de devenir un classique. Pour toutes ces raisons je ne saurais que trop vous conseiller de vous le procurer ou au moins de l’essayer tant l’expérience ludique qu’il vous réserve est dépaysante, originale et agréable. Merci M. Cathala, je vais pouvoir entamer la rentrée avec le sourire et des étoiles pleins les yeux.
Merci à Chips pour sa correction.