[Above and Below - Les Royaumes du Dessous][Le Sorcier de la Montagne de Feu][Near and Far][This War Of Mine : Le Jeu De Plateau]
Pogoren n’avait jamais attiré l’attention. La petite ville ne brillait ni comme centre culturel de l’Etat, ni comme lieu touristique, économique, ou iconique de quelque façon que ce soit pour le pays. Pogoren était une petite ville d’Europe qui aurait dû pour toujours rester calme, timide, tranquille, inaperçue… avant de devenir le centre médiatisé d’une guerre entre rebelles et militaires. Aujourd’hui, à Pogoren, on a oublié comment vivre. On survit.
Y'a d'la joie !
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le pitch de This War of Mine (toute plateformes confondues dans le brouhaha de notre civilisation en ruine), n'est pas des plus attrayants. Des voix au verbe moins fin que le mien diraient même "qu'c'est grave pas sexy", sombrant déjà en d'obscurs abysses d'un monde plongeant un peu plus dans la noirceur de l'humanité dégénérante (joie ! tout le monde sourit !). Mais si le concept ne parait pas de prime abord sympathique ni épique, c'est parce qu'il cherche autre chose. D'autres concepts, d'autres émotions (un message ?). Le jeu titille par sa thématique peu courante dans l'univers ludique geek : nous jouons des personnages normaux, lambdas, tentant de survivre dans un univers en guerre réaliste.This War of Mine est l'adaptation platistique du jeu vidéo indépendant This War of Mine (qui l'aurait cru, le monde est bien fait). Si l'on retrouve la parenté entre la gestion, l'exploration, les mésaventures, et bien sûr l'univers du titre d'origine, la version plateau possède ses particularités toutes propres (paradoxe puisque la partie se déroule dans d'insalubres gravois).
De prime abord, le plateau semble sacrément bien rempli, mais pas d'inquiétude (pas tout de suite), il se met en place de manière rapide et s'avère, passé le choc aux yeux de la première grenade flash, facile à lire. Tout est contenu dessus, que ce soit les cartes des différents éléments thématico-mécaniques (Destin, Gravats, Froid, Habitants, Lieux...) ou les jetons et tokens de ressources, accompagnés de leur plaisir kinesthésique et sonore.Autre différence, allant à l'avantage de la version sur table, c'est le développement conséquent des paragraphes de mésaventures. Un livret complet, rappelant l'inspiration Livre Dont Vous Êtes Le Héros du diptyque Above & Below - Near & Far, comptant plus de 2000 entrées. Autant dire que chaque partie sera unique, et que vous ne viendrez probablement pas à bout de tous les possibles. Le fait de jouer en coop, enfin, est une vraie expérience différant du jeu solitaire sur écran. Pas mieux, pas moins bien, simplement une toute autre approche de la chose.
Une Journée en Enfer
Le livret de règles, épuré au maximum, se suit des yeux avec une prise en main pas à pas le long du déroulé d'un tour. Pas de réel besoin de lire les règles par avance, celles-ci se découvrent avec fluidité et facilité en jouant. Chaque étape, du lever du soleil à l'aube suivante, délivre en temps et en heure ses particularités.
Un apprentissage des règles fluide, étape par étape pendant la partie, chose encore rare dans le monde du jeu sur plateau, qui offre la sensation très agréable de se jeter immédiatement dans la gueule du fauve de l'Est sans jamais s'y perdre.En bref, les parties vont s'alterner entre des phases de jour, où l'on gérera son abris, son développement, et la gestion des ressources nécessaires à la survie, puis une phase de nuit, démarrant par une exploration, servant à récupérer de nouvelles ressources et à vivre des aventures dans un mix gestion-narratif savant, avant d'essuyer les plâtres s'effondrant d'une attaque de réfugiés pillards.Le tout se joue grâce un ensemble d'actions ou d'habilités limitées pour chaque personnage, dont les maladies, malaises et autres famines diminueront les capacités. Ce groupe de survivants est joué par l'ensemble des joueurs, et non selon le modèle un personnage par joueur. Une mécanique qui pousse grandement à souder le pack des joueurs, contre vents et tempêtes.Inutile de s'étendre en palabres. Une partie de This War of Mine, ça se vit, ça ne se lit pas. Aussi l'on vous propose de suivre Monsieur Guillaume et Monsieur NicoFu dans une histoire sans lendemain :
Emotions Fortes
Le meilleur moment, c'est quand on a cru qu'on allait s'en sortir."
Libération
Étonnante expérience que ce This War of Mine. Sans vouloir minimiser l'analyse de la mécanique, fluide et agréable, nonobstant une certaine perte de temps en manipulations inhérente à l'aspect plateau, il me semble plus que primordial de souligner la dimension émotionnelle du jeu. This War of Mine est un jeu déstabilisant : il met à mal notre humanité et fait surgir le pire de nous-même, le tout pour assurer notre survie. This War of Mine est un jeu dérangeant : être bon et partageur ne sera que rarement une option utile. This War of Mine est un jeu à part : il nous plonge dans une bulle d'ailleurs, et peut, tout aussi bien, se jouer avec liberté et sadisme, mais jamais gratuitement (se sentira-t-on mal de ses actions ensuite, ou préférera-t-on en rire pour exorciser nos peurs ?).This War of Mine est, enfin, un jeu dur. Par le ton, la méchanceté, l'arbitraire, et l'ardeur de la survie, il se présente comme un cousin de la perle vidéoludique Don'T Starve. N'espérez que peu atteindre la fin "normale" de la partie, c'est-à-dire la survie jusqu'au cessez-le-feu. Ce qui compte, c'est bien le voyage, et non la destination. Il y a de fortes chances qu'avant que ne débarquent les casques bleus d'un bord ou l'armée rouge de Poutine de l'autre, dont l'arrivée est plus qu'espérée, vous ne finissiez criblé de balles ou décédé d'une autre manière ignoble et improbable : suicidé par manque de café, mordu par un chien explosif dans un tunnel ou étouffé par des rations de survie trop collantes balourdées par un pays allié (comme quoi, tout peut finir en poutine, mais pas toujours comme on le souhaite).
Bref, revenons à nos déprédations : This War of Mine est un jeu qui ne laisse pas indifférent. Son élément le plus percutant, c'est sans conteste son écho à une certaine actualité. Le jeu nous transpose dans la peau d'un civil en temps de guerre, une situation qui arrive encore de nos jours, et pas si loin de notre petit bout de lande Ouest-Européen (Lapalisse bonjour). This War of Mine, version plateau comme vidéo, utilise le medium ludique pour délivrer, sans conteste, un message. On ne joue pas pour gagner, mais explorer un ailleurs. Cette expérience ludique reste un jeu, assujettie à l'appréciation et l'usage de chacun, mais malgré son sujet dur et pernicieux, le jeu ne cherche indéniablement pas le voyeurisme ou le malsain. On ne s'amuse pas aux dépends d'une nation donnée, et si la ville de Pogoren sonne de quelque accent est-européen, elle reste fictive et suffisamment floue pour faire vivre au joueur une situation. L'important, c'est de s'affronter soi-même dans une âpre simulation et, peut-être, comme un bon film ou roman, nous faire après coup réfléchir.
This War of Mine réjouira les amateurs de situations déprimantes, de survie sur le fil, de masochisme ludique, et d'expériences uniques, fortes et nouvelles.