[Les Aventuriers du Rail][Ouga Bouga][Time’s Up !]
Le numéro 1 de la revue numérique ► Sciences du jeu.org vient d’être publié (donc sur le Net). Qu’est-ce donc que ceci ? Il existerait donc une science sur le jeu ? Que dis-je DES sciences puisque celles-ci nous sont ici proposées au pluriel !
Si vous êtes de celles et ceux qui pensent dès qu’on théorise un peu que « pfff ! Ce n’est que du jeu ! » fuyez immédiatement.
Le but de cette revue scientifique est de « développer la recherche en langue française sur le jeu, de lui donner une visibilité, de nourrir le dialogue entre les disciplines autour de cet objet, et de susciter des débats ».
Une french touch du games studies ? Mais pourquoi donc ? Parce qu’il existe une spécificité française en ce domaine dont on trouve une cristallisation à l’université de Paris 13.
Cette revue, dont chaque numéro sera thématisé, et dont le premier opus est consacré à Jacques Henriot, est essentiellement destinée à celles et ceux qui aiment se pencher sur les aspects théoriques et expérimentaux du jeu. Pas seulement le jeu de société comme la majorité des sujets que nous traitons sur Tric Trac mais le jeu dans sa globalité.
Je dois confesser à ma plus grande honte que je n’ai découvert monsieur Jacques Henriot vraiment très tard d’il n’y a pas si longtemps. Une leçon d’humilité d’ailleurs puisque j’ai appris que dès 1969 et sans doute avant, Jacques Henriot avait déplacé le sujet du jeu de l’objet et la pratique à l’attitude.
Pour vulgariser vulgairement, les premières études sur le jeu, qu’elles soient d’ordre philosophiques, anthropologiques, sociales ou psychologiques s’attachent à définir le sujet du jeu à partir des objets de celui-ci ou des conditions de sa pratique.
On retrouve dans ce numéro 1, ce constat que chacun a pu faire que le jeu s’impose comme un concept évident sans qu’on puisse le définir aussi simplement qu’on ne l’imagine. Si pour le commun, la notion de jeu ne sert qu’à trier – ceci est un jeu et ceci n’en est pas – le scientifique se doit de définir son champ d’investigation et ne peut s’en remettre à une sagesse populaire ou au bon sens qui relèvent souvent plus de l’imaginaire que de la réalité.
La naissance des sciences humaines et de la psychologie cognitive a éclairé l’étude et la définition du jeu de nouvelles lumières. Même si dans le langage courant français le mot « jeu » désigne la pratique et les outils de cette pratique, on peut vite s’apercevoir que le jeu existe réellement au travers de sa pratique – le jouer – plus qu’au travers de ses outils – les jeux, les règles –.
Le jeu serait donc avant tout une histoire de faire et un faire très spécifique.
Un faire que l’on associe souvent au « faire semblant ». Mais c’est là encore un chemin d’analyse qu’il faut aborder avec délicatesse. Est-ce que faire semblant est une posture intellectuelle toujours consciente ? Une question souvent posée y compris par les artistes (Thomas l’Imposteur de Cocteau raconte la vie d’un homme qui joue sa vie mais, de fait, la vie réellement).
Les grands ont toujours tort de plaisanter avec leurs inférieurs.
La plaisanterie est un jeu, le jeu suppose l’égalité.
- Honoré de Balzac
Jacques Henriot propose une vision du jeu comme celle d’une attitude. Et dès lors, on peut imaginer jouer la réalité comme le suggérait Cocteau. Vous pouvez facilement éprouver ceci (je reprend un exemple de Henriot) : Prenez un balai et faites semblant de balayer. Maintenant avec le même balai, balayez réellement. Ce n’est pas du jeu ? C’est le jeu de l’acteur en tout cas. Et ce n’est surement pas par erreur que l’on utilise le même mot. Prenons, un exemple qui m’est plus personnel. Vous devez, pour rentrer chez vous après le travail, traverser votre jardin. Une allée de dalles conduit à votre porte d’entrée. Si vous marchez, si vous courez pour traverser la distance du jardin de l’entrée de celui-ci à celle de la porte de la maison ; ce ne sera pas du jeu. Maintenant vous décidez de le faire à cloche-pied. Nous voilà dans le jeu. À cloche-pied et en posant un pied une dalle sur deux ? Un autre jeu.
L’élément ludique est introduit par l’insertion d’une règle (une contrainte) librement acceptée puisque sans obligation. Dans ce cas précis l’obligation est même encore éloignée par le fait que la règle est choisie par l’unique joueur lui-même.
Pourtant, à ce moment, le jeu ne nie pas la réalité de la première nécessité : traverser le jardin. Le jeu n’est donc pas en dehors de la réalité. Il peut très bien composer avec. Il ne fait d’ailleurs que ça mais cette démonstration là serait un peu trop longue pour cet article.
Gilles Brougère et Bernard Perron
Editorial : Pour une « French Touch » des études sur le jeu30 ans de Sciences du jeu à Villetaneuse. Hommage à Jacques Henriot
Aymeric Brody : Présentation du numéro
Gilles Brougère : Jacques Henriot et les sciences du jeu ou la pensée de Villetaneuse
Jacques Henriot : Il y a trente ans…
Jacques Henriot : Traces d’un cheminement
Bernard Perron : L’attitude ludique de Jacques Henriot
Mathieu Triclot : Game studies ou études du play ? Une lecture croisée de Jacques Henriot et de Jesper Juul
Maude Bonenfant : La conception de la « distance » de Jacques Henriot : Un espace virtuel de jeu
Sébastien Genvo : Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot
Haydée Silva : La « gamification » de la vie : sous couleur de jouer?
Patrick Schmoll : Relire Jacques Henriot à l’ère de la société ludique et des jeux vidéo
Aymeric Brody : La métaphore ludique chez les joueurs de poker : le jeu de la négociation marchande
Reste le « Pourquoi joue t’on ? ». Une question que chacun de nous peut se poser facilement. Je serais tenté de répondre pour ma part « parce qu’on le peut ». Oui c’est un peu court. Je crois simplement que notre façon de penser, ce qui fait que nous sommes devenu une des formes de vie les plus évoluée de cette planète – nous amène à « considérer » les choses et de pouvoir les estimer, les soupeser et les tester sans avoir à être immédiatement dans la situation de les subir.
De fait, chaque fois que notre cerveau est sollicité pour résoudre un problème qui ne nous met pas en péril de survie, il nous récompense en distribuant quelques molécules de plaisir. Piaget et d’autres ont réalisés que ces processus ludiques sont essentiels dans le développement de l’enfant. Jouer c’est aussi apprendre. Pourquoi ne pas imaginer que l’on continue à apprendre jusqu’à sa mort ? Pourquoi ? Et bien pour faire exactement ce que je suis en train de faire : transmettre les informations aux autres membres de mon espèce pour qu’ils puissent en avoir l’usage après ma disparition.
On est loin de «Ouga Bouga» ? Non. Vraiment pas. Le jeu et la futilité… Surement dans un autre numéro…
Si tout cela vous intéresse, voilà donc une publication francophone qui se propose de rendre compte des réflexions et des avancées scientifiques au sujet de la chose ludique. C’est universitaire mais abordable facilement si le sujet vous tente.
Mais surtout… Ne croyez pas un seul instant que ceux qui nous disent qu’expliquer les blagues les rend non drôles, qu’expliquer un tour de magie fait perdre cette magie. Non ! Non ! Non ! Comprendre rend les choses plus belles encore. Par contre… cela nous rend un peu plus responsables et ça… ça ne plait pas à tout le monde. Par contre si vous imaginez que cela va vous rendre meilleurs aux « Aventuriers du Rail » ou moins couillons à « Time’s Up ! » ne rêvez pas.
Alors ? On la croque cette pomme ?