J’adore ces découvertes, ces moments ludiques non-prévues, qui bousculent un quotidien (souvent fantasmés) de jeux qui tournent pas mal mais qui, dans un maelström de nouvelles boites, amènent à voir surtout beaucoup de répétitions ou de déclinaisons qui n’apportent pas réellement grand chose (toujours relativement à la culture ludique pré-existante, bien sûr).
Votre Eminence, le jeu de demain :
1/3 Catane, 1/3 Dominion et 1/2 Six qui prend !
Celui dont il est question ici n'est donc pas, à mon goût, dans cette catégorie. Le travail historique d'une part et celui de développement mécanique d'autre part, lui donne une portée et une fraîcheur qu'il fait vraiment bon pratiquer !
Entrez avec moi dans cette Italie de la fin du XVème siècle et prenez en main le destin d'une des quatre grandes cités de la Botte dans une maîtrise de l'art de la gouvernance avec Virtù, le jeu de Pascal Ribrault qui arrive chez Super Meeple.
Il y a deux manières de combattre : L'une avec des lois, l'autre avec la force.
La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes.
Mais comme très souvent la première ne suffit pas,
il est besoin de recouvrir à la seconde.
Nicolas Machiavel : Le Prince (1532)
De l'art de gouverner
Au départ, et au dire même de l'auteur et de l'éditeur (comme vous pourrez l'entendre dans notre papotache qui lui est consacré), Virtù, une fois installé sur la table, à une présence qui pourrait être intimidante. Oh, le plateau n'est pas dans la démesure comme peut l'être celui de Bitokú, puisque celui-ci, représentant l'Italie (en recto-verso suivant la configuration 2-5/3-4 joueurs), est au contraire plutôt petit. Non !
Mais voir les cartes Personnages, les tuiles Cité, Titre, Guilde et Cathédrale avec pour chacun et chacune des icônes ici et là... Ah mais attendez, là, en haut à gauche des cartes, ce ne serait pas le prix d'achat ? Et en bas, les effets ? Mais oui, et voilà les florins, donc l'argent, ici les couronnes pour le pouvoir politique, les croix pour le religieux, les masques pour... Euh, le carnaval de Venise ?
- Ah non, là, c'est pour les intrigues et autres espions !
- Et les bateaux alors ?
- Pour le commerce.
- Ah très bien, merci !
Vient ensuite la découverte de votre palazzo, plateau personnel autour de la mécanique centrale du jeu : Une roue d'action à construire et faire évoluer au cours de la partie : Du wheel-building !
Ici, une wheel en mouvement
Roule, roule, petit palais !
La roue d'action n'est pas un mécanisme nouveau puisqu'on la trouve dés 2005 avec Antike puis Imperial en 2006. Il faut dire aussi que Mac Gerdts était alors un peu le "spécialiste" de la roue d'action. Depuis, d'autres jeux avec cette mécanique sont sortis : Finca en 2009, La Bière et le Malt de façon un peu étendu en 2017 ou encore Coloma en 2019.
Avec ce principe, chaque joueur, à l'aide d'un ou plusieurs pions, circule sur une piste circulaire (la dite roue). L'endroit où il s'arrête impose l'action qu'il réalisera à son tour. Bien sûr, se déplacer davantage qu'autorisé coûte plus cher.
Dans Virtù, la roue n'est pas partagée par tous les joueurs : Chacun à la sienne, composée de 5 emplacements, asymétriques suivant les familles incarnées. Autour de ce palais, viendront également se positionner jusqu'à 6 courtisans.
C'est à ce moment-là qu'on se rend compte combien le tour de jeu est simple : Je déplace mon pion famille d'une à deux pièces dans mon palais, dans le sens des aiguilles d'une montre, voir plus si je paye, et je réalise l'action à cet endroit. Simplissima !
Garde à vous... Fixe !
L'action peut être de guerroyer pour prendre par la force les cités environnantes (ou plus lointaines de port en port) ou les annexer pour arriver au même but mais en usant de florins sonnants et trébuchants plutôt que de troupes clinquantes et plutôt non-trébuchantes.
Vous pourrez également commercer pour récolter moult piécettes via vos bateaux ou patronner artistes, savants et autres oeuvres d'art prestigieuses en dépensant ces piécettes.
Intriguer verra vos agents se déployer sur les villes et autres alliances avec les grands de ce monde mais également dans les palais adverses. Y bloquer des actions ou vous permettre d'avoir la main mise plus facilement sur telle ville ou forger telle alliance sera toujours un avantage.
Enfin, sachant que pour tout ça, il faut payer telle ou telle ressources, vous userez régulièrement des apports de vos cités... Et la dernière action, Gouverner, vous permettra justement de les réactiver.
Je crois que Raguse Gênes Palerme, non ?
Ô mon palai-ai-aiais ! Tou es lé plous bo des palais !
L'intérêt de ce château familial est que chaque emplacement de départ (et donc chaque action) peut être remplacé par des cartes Personnages pourvues d'un symbole "action" (y compris différent de celui imprimé) avec des bonus, permettant vraiment de personnaliser, et même faire évoluer, votre roue d'action. Hyper-spécialisation dans un domaine ou équilibre (même si 5 places et 6 actions différentes impliquent d'emblée des choix), à vous de voir !
De plus, chaque action peut être renforcée par une deuxième carte légèrement décalée pour n'en faire apparaître que la ligne du bas, augmentant alors les ressources allouées à cette action.
Parlons également des trois à six places autour de votre palais où des cartes Personnage, alors Cortigiano (courtisan), s'installeront pour fournir, suivant vos besoins, leurs ressources. Alors désactivés, ces personnages se réactiveront lors du passage de votre pion Action à l'endroit adéquat pour un jeu au tempo du coup encore plus important.
Encore mieux : Pendant la deuxième phase du tour, un réaménagement de votre palais entre courtisans disponibles et personnages dans les salles est possible. Ce qui vous permettra de ne pas vous enfermer dans une roue tactique vicié mais dans une souplesse stratégique vertueuse.
Lorsque toutes les Cités du plateau seront contrôlés, ou lorsqu'un joueur s'est fait le chantre du mécénat artistique ou s'est rendu maître de 8 cités alors vient le temps du décompte, et là encore, 1 points de prestige, c'est 1 points de prestige : De vos cités à l'art en passant par le religieux, le militaire et la diplomatie, toutes ces voies peuvent vous rapporter de précieux points de victoire mais sachez-le, la victoire se disputera souvent autour des 15... Comme le concile de Trente divisé par deux !
C'est Più bello il gioco, en fait !
Est-ce que la lecture de cette description fait déjà état de l'appréciation du jeu ?... Si ce n'est pas le cas, qu'il nous soit permis d'être clair : Waouh ! Voilà un jeu à la fois solide sur sa thématique, travaillée et historiquement inspirante tout autant qu'il l'est sur ses mécanismes ludiques : Maîtriser son palais dans son organisation, maîtriser ses déplacements dans le tempo, maîtriser ses ressources suivant les nécessités de nos plans, machiavélique comme il se doit, maîtriser ses extensions territoriales et sa diplomatie... Tout ça sans une once de "surpoids ludiques", que dire de plus ? C'est du très bon et beau boulot !
Quels propos laudatifs ! Avons-nous là le jeu parfait ? Non, bien sûr ! Il est exigeant, à la fois dans ses maîtrises à acquérir mais aussi dans ses réflexions perpétuelles. Il peut être également long (la demi-heure par joueurs reste lorsque l'on sait jouer et qu'il n'y a pas de "joueur lent à la réflexion longue" à la table) même s'il ne l'est pas trop entre les tours de jeu. La tonalité historique peut ne pas transcender également... Et enfin, si la wheel-building est très plaisante, il se peut que l'interaction très directe puisse déplaire à des joueuses et joueurs plus enclin à jouer chacun dans son coin.
Mais pour tous ceux qui, à l'inverse, apprécieront l'un ou l'autre de ces éléments, dés le début du jeu, vous voilà lancé dans la partie :Lorsqu'il faut installer dans ou autour de votre palais, autre élément distinctif et asymétrique entre les joueurs, les cartes Personnage de sa famille, il y a déjà largement de quoi réfléchir, et avec plaisir, à ce qu'on va donner comme impulsion à son jeu de départ...
Quand vient le moment de payer ses troupes, nous regardons son maigre pécule en se disant que nous achèterions bien un "consigliere" de plus, ou même le pape plutôt que les payer, mais défendre ses cités, ce n'est pas qu'un peu important...
Lorsque nous sommes en manque de ressources, nous nous mettons à loucher vers les cartes "Indulgences" qui aident bien mais dont il faudra se libérer pour éviter des points négatifs...
Transformer son petit royaume en duché ou principauté, c'est un vrai plus mais une vraie dépense également...
Choisir entre la royauté ou la république, choix définitif, ce n'est pas rien...
Construire une cathédrale aussi parce que gagner 1 point de victoire, à Virtù, ce n'est vraiment pas rien, mais se la faire prendre avec sa ville... C'est rageant !
Bref, nous pensons, nous pestons, nous vibrons et nous re-pestons pour, à la fin de la partie, se dire que vivement la suivante pour faire autrement et mieux, avec une vraie courbe d'apprentissage.
Mais si ça s'arrêtait là ! Non ! La version deux joueurs, titrée "Les Guerres d'Italie" sur son livre de règle à part, développe un scénario pratiquement "wargame". Si l'un joue le roi de France Charles VIII, puissamment armé et allié au Duc de Milan, l'autre, Roi dans sa principauté de Naples, plus au sud sur la péninsule, devra gérer habilement le jeu des alliance avec Florence, Venise et Rome pour ralentir le joueur Français par un glacis de cités frileuses aux passages des troupes royales pour tenir 21 tours de jeu.Avec quelques éléments de jeu en plus, certains en moins, quelques retournements de plateau, voilà, si ce n'est pas un autre jeu, là encore une très solide version deux joueurs travaillées pour que l'affrontement direct de cette configuration rende hommage à la fois au jeu et au thème ! Respect !
Et félicitation à Pascal Ribrault pour son premier jeu ainsi qu'à Super Meeple pour le développement de ce jeu plutôt catégorisé "Expert", ainsi qu'aux illustratrices et illustrateurs R. Gewska, F.Weiss, A. Stepanova et S. Pikul !
... Tric Trac Approved direct !