Il y a quelques jours, j’ai accompagné Kevin Kichan Kim à Hong-Kong pour y rencontrer les équipes de Longshore Limited, fabricant de jeux. Kevin travaille avec eux depuis longtemps pour la production des jeux qu’il édite chez Happy Baobab et Mandoo Games. C’est Longshore qui va assurer la production du jeu « Rising 5 » de Gary Kim & Evan Song que j’ai illustré et j’ai aussi travaillé directement avec eux sur le jeu « Gangsi ».
Pour ma part, c’était une visite multi-casquettes. Amicale en tant qu’illustrateur toujours curieux d’en apprendre plus sur les différents pans du monde du jeu et pour y rencontrer les personnes avec qui j’ai travaillé à distance depuis l’année dernière (et rien ne remplace une vraie rencontre, en chair et en os). Puis en tant que « Creative Director » de Mandoo Games pour les projets à venir et caler les derniers détails de fabrication en vue du lancement de la production de « Rising 5 ». Et aussi pour représenter Holy Grail Games et établir les bases d’un fort partenariat pour la production de nos futurs projets kickstarter.
En terrain méconnu...
Il me semble qu’aujourd’hui on commence à bien, mieux, connaître les auteurs, les éditeurs, les réseaux de distributions, les illustrateurs et les boutiques mais on a parfois, une vision un peu simpliste pour ne pas dire caricaturale des fabricants de jeux chinois. C’est un aspect crucial du monde du jeu mais généralement discret et inconnu. Durant deux jours, j’ai pu assister à toutes les discussions et négociations. En toute transparence. Je me doute bien que ça ne se passe pas forcément partout de la même manière ni dans les mêmes conditions mais j’ai eu envie de partager mes impressions avec la communauté ludique de TricTrac.
Une sorte d’instantané.
Hong-Kong c'est un détonnant mélange inextricable de vétuste et de moderne, de montagnes et d'eau...
Tout d’abord, pour la petite histoire, Longshore Limited c’est une société créée en 1978 par un vrai ludophile, Michael Or, afin de produire des jeux pour le marché américain. L’entreprise s’est développée au fil du temps et s’étend désormais sur 3 usines en Chine avec 2 000 employés (une usine consacrée au « papier » et deux autres aux « plastiques ») et compte de très nombreux partenaires et clients comme Amigo, Asmodee, Blue Orange, Goliath, Jumbo, Korea Boardgame, Hasbro, Mandoo Gmes, Ravensburger, Space Cowboys, etc.
La maison-mère est basée à Hong-Kong et entre deux réunions, j’ai profité d’une visite guidée par Bond. Une bonne trentaine de minutes de balade dans un vrai dédale de bureaux et showrooms avec plus de 150 personnes sur le pont en permanence réparties en 23 équipes de merchandising, production control, logisitics, etc. Longshore abrite aussi plusieurs branches comme Broadway, Richbo, Legend… Chaque équipe a sa propre salle de présentation et on y croise des Splendor, Conan, Mysterium, Loopin’ Louie, le 1 000 bornes, une salle remplie à craquer de toutes les versions du Rubik’s cube (et même celles à venir ! Mais chut !), des « action games », des jouets, des jeux de plein air, des jeux électroniques, des puzzles…
Pour le plaisir du jeu...
Et c’est là où je veux en venir. Une compagnie comme Longshore ce n’est pas toujours que de la pure production en usine. C’est aussi du développement, de l’édition, de l’aide aux sociétés, du management, de l’évènementiel. Ce que j’ai pu constater au fil des échanges grâce à des conseils éclairés et impliqués sur certains détails de production. Pas seulement pour atteindre de bas prix, mais plutôt pour tenir équilibrée la délicate équation concernant ce qui est envisagé, son coût et au final sa qualité.
Kevin Kichan Kim en compagnie de Bond Yuen, quand le plumage se rapporte au ramage...
Petite anecdote, les murs des locaux sont décorés de vraies « antiquités » de collection du jeu de société, parmi lesquelles des jeux de l’oie français datés de plusieurs centaines d’années, d’obscurs jeux de cartes anglais ou allemands, d’anciens plateaux de jeux asiatiques… C’est étonnant et inattendu (j’ai même entendu parler d’un prototype de Catane que je n’ai malheureusement pas pu voir par manque de temps ^^).
Pour tout dire, je m’attendais à quelque chose de bien plus strict et formel. Et j’ai finalement retrouvé le même état d’esprit et la même optique qu’avec les collègues et éditeurs européens. Les mêmes échanges décontractés autour de la création, du travail des auteurs, de l'artistique, de la propriété intellectuelle, des mécanismes ludiques, etc. Les équipes que j’ai pu rencontrer sont avant tout composées de joueurs à l'écoute, avant les titres de « Senior Merchandiser », « Operations Manager », etc.
De même que le dirigeant de Longshore, Wai Or (fils du fondateur), de la même génération que Kevin et moi, est avant tout un « gamer ». Nous nous étions rencontrés à Essen lors d’un repas « Rising 5 » et j’ai pu développer cette nouvelle relation au fil des échanges.
A la source...
J’ai apprécié de voir la même énergie et le même entrain pour gérer la production d’un action game vendu à des millions d’exemplaires aux Etats-Unis que pour un jeu de société à 2 500 copies en Corée. Ou qu’on porte le même intérêt à un prototype d’un jeu à l’audience large « mass market » et à un autre plus « core » et ciblé.
J’ai d’ailleurs longuement discuté avec Wai, sur le monde du jeu, les marchés émergeant, la qualité de la fabrication, etc. Par exemple, Wai m’a expliqué que le pays qu’ils alimentent le plus en jeux, ce sont les Etats-Unis (surtout de par son étendue), ensuite vient la France (de vrais gloutons ludiques !), puis les autres pays européens. Et finalement, même si en plein essor à marche forcée, les marchés asiatiques et plus précisément le marché chinois sont encore loin derrière en terme de volume.
J’ai aussi questionné à propos de Kickstarter, des bouchons qui ont pu se produire par le passé dans la fabrication de figurines, et Wai, amusé, m’a répondu que « quand on va au restaurant à 13h il y a toujours de l’attente mais si on s’organise et qu’on s’y présente plus tôt voire un peu plus tard, les choses se passent généralement beaucoup mieux » ;)
To be continued...
J’avais beaucoup beaucoup de questions et à ce propos, avec Holy Grail Games, (par écrit pour l’instant) nous allons interviewer plus longuement Wai – enchanté par cette opportunité – pour apporter un éclairage sur son activité et son point de vue sur ces univers qui nous passionnent. Et je me dis, que ne résidant pas bien loin, j’espère pouvoir revenir prochainement, pourquoi pas visiter une usine et en apprendre encore plus.
Voilà, mon séjour fut bien trop court mais déjà fort instructif. J’étais content de voir que le pan production ne se limite pas à des discussions de coûts et des fichiers Excel (même si bien entendu on ne peut y échapper) et qu’il y avait là bien plus d’humain et de passion ludique que je ne l’avais imaginé !
A suivre…
P. S. :
Pour celles et ceux qui suivent les aventures facebook ludiques et culinaires des francophones en Asie, à Hong-Kong on mange vraiment très très bien. Ça change des barbecues coréens et le canard laqué y est divin au « Peking Garden » !