Books

Demain en kiosque un nouveau magazine, une sorte de Courrier International du livre.

Le site qui a été lancé hier soir : http://www.booksmag.fr/

A première vue cela à l’air pas mal.

Il y avait déjà la revue internationale des livres et des idées, mais tant mieux.

Sur le site il parle du carton que fait la littérature en spanglish, et notamment le dernier roman du genre que j’avais mentionné là.. Foncez, ça vaut vraiment la peine, et après l’émergence massive du vote hispano au début de ce mois, c’est une réalité assez intéressante.

El comandante dit:La découverte des derniers mois, ça a été The brief and wondrous life of Oscar Wao (La vie brève et merveilleuse d'Oscar Wao), qui doit sortir en français en janvier, de Junot Díaz. Mais si vous lisez l'anglais et avez de vagues notions d'espagnol, c'est à lire en VO spanglish pour halluciner sur le jonglage entre les deux langues. C'est l'histoire d'un geek émigré dominicain à NY, et par-delà de sa famille dans la culocracia de Trujillo et l'exil étasunien. C'est ponctué de références de geek, de Star Trek à Marvel en passant par Tolkien et les jdr, et c'est de la grande littérature, dròle, émouvante et déroutante. Le New York Times l'a résumé en écrivant "quand Mario Vargas Llosa rencontre Star Trek". Et c'est le prix Pulitzer 2008.
J'ai pas vraiment capté si ce prix Pulitzer est pour la version en spanglish, pour celle en anglais ou pour les deux.

Peu importe car c'est grâce à ta double référence que j'ai eu l'idée de me lancer dans la rédaction de ce texte que je soumets aux habitués du forum.

Avant le milieu du siècle, la population d'origine caucasienne deviendra minoritaire aux États-Unis. Quelle en sera alors la langue majoritaire ? Quelques intellectuels parlent du latin, voire de l'espéranto né en Pologne. Je n'y crois guère. Certes, la langue anglaise est d'autant moins appelée à mourir qu'elle a tant progressé en Europe... continentale. Mais, de même que le latin classique est vite devenu minoritaire sous l'Empire Romain, le peuple américain parlera alors un sous-anglais... mais lequel ?

Cette babélisation s'accélère même si elle a toujours existé : l'anglais britannique diffère selon qu'il s'agisse de l'Écosse, du Pays de Galles, ou de la BBC et, à Londres même, des quartiers entiers sont habités par des Pakistanais aux accents pittoresques ; l'anglais américain est différent dans les Appalaches de ce qu'il est à Boston et à New York où il se subdivise de même selon les quartiers ; l'anglais canadien utilisé à Québec diffère de celui parlé par les Inuits, l'anglais des Caraïbes, celui de l'Afrique, du sud ou de l'est de l'Asie où pullulent les pidgins. Qui nous dit qu'une telle diversité ne donnera pas naissance dans deux mille ans à des langues aussi différentes les unes des autres que le sont nos langues européennes actuelles ?

Le pari de Spanglish 23, le titre de mon projet de livre, est sans doute plus osé que celui de l'espéranto ; il mérite, sinon d'être testé, au moins d'être débattu. Pourquoi 23 ? Symboliquement parce que 23 est la moitié de 46 et que 2046 est l'année où une projection réaliste du déficit démographique des descendants du Mayflower et assimilés entraînera sa mise en minorité. Pratiquement parce que c'est le nombre de lettres qu'il faudrait àmha conserver pour que l'essor du spanglish s'accélère grâce à cette simplification.

Quand une langue, assez simple et fort claire comme le français, accède à l'hégémonie pendant quelques siècles, et que ce statut dominant ne concerne que les élites des différentes nations qui la pratiquent en seconde langue, il n'y a pas de véritable déperdition de la qualité de cette langue, juste de petits ajustements. Parmi les causes de ce long monopole du français, il y avait aussi son voisinage avec le latin qui continuait, non seulement à être utilisé dans une bonne proportion de cérémonies religieuses, mais surtout à servir à l'instruction de ces mêmes élites. Un Anglais, un Allemand avait tout naturellement appris la moitié du français en apprenant le latin et bien des peuples méditerranéens en savaient d'avance les trois quarts. Si l'on soutenait une discussion en français, si l'on publiait dans cette langue, tout le monde se comprenait du temps des derniers rois de France.

En revanche, à l'horizon 2046, il s'agit de se demander comment une seule et unique nation pourra bien relever le défi de devoir cohabiter sur le même sol en communiquant toutes couches sociales confondues. J'ai personnellement vécu cela dans mon enfance : dans les mines s'étendant sur les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, une majorité de résidents, à commencer par mes camarades de classe, n'était pas d'origine hexagonale ; il y avait surtout des Polonais au point qu'une émission leur radio leur était dédiée, mais aussi nombre d'Italiens, Espagnols, etc.

Une langue a ainsi germé sur ce terreau (je pourrais dire sur ces... terrils) en déformant les mots les plus courants (un peu comme de nos jours le sabir du 93) mais en incorporant finalement assez peu de mots venus d'ailleurs ; en revanche, dans sa structure-même, cette nouvelle langue faisait de larges emprunts à la grammaire polonaise et allait vite se donner une identité culturelle par des artistes telle Line Dariel qui ne s'exprimait qu'ainsi sur scène (nombreuses sources y compris audio en tapant sur Google les trois mots-clés : Simons escalier vie).

Le reste de la France ignorait tout du bouillonnement de ce chaudron linguistique... jusqu'à ce, bien après que les Charbonnages aient fermé, un film chatouille le Titanic et batte le record de spectateurs de la Grande Vadrouille : Bienvenue chez les Ch'tis... Malheureusement, les multiples critiques émises à sa sortie en salles ne provenaient pas d'universitaires mais de journalistes ; quasiment aucun n'a relevé que Bergues, le lieu où se situe l'essentiel de l'action, se situe bien loin des corons et en plein pays flamand où l'on ne s'exprimait pas en chtimi ; d'autres journalistes ont insisté sur une analogie avec le dialecte picard mais en ne pipant mot sur la construction d'une langue spécifique autour des mineurs majoritairement d'origine étrangère.

Le spanglish est un phénomène peu différent... sauf qu'il a été analysé, décortiqué, quasiment dès sa naissance, par des universitaires tels ceux accessibles via le site Internet du Amherst College dont le moteur de recherche interne donne accès à de nombreuses études en tapant juste le mot spanglish. Sans ces institutions, seraient restés, méconnus, des dizaines de créoles différents éparpillés sur les milliers de kilomètres du continent de l'Amérique du Nord, sans compter quelques îles des Caraïbes.

Parvenu à la moitié de ce plaidoyer, il reste à déterminer quelles lettres il conviendrait d'ôter de l'alphabet classique pour se retrouver à ce nombre de 23.

- th me vient à l'esprit en tout premier car de toutes les maladresses de prononciation de ceux pour qui l'anglais n'est pas la langue maternelle, c'est vraiment la plus courante... pas seulement pour les hispaniques. Mais, me direz-vous à juste titre, "th" n'est pas une lettre mais un groupe de deux lettres... un peu comme si l'on voulait, pour aider les étrangers à mieux en "assimiler" la pratique, supprimer dans notre belle langue française toutes les nasales (an, on, in...) ; il faudrait garder cependant les voyelles correspondantes (a, o, i...) et l'on resterait donc avec 26 lettres... nombre également inchangé si l'on décide d'interdire en néo-spanglish cette combinaison de lettre zézéyante.

- j et sa prononciation est le pendant castillan du th : sans même parler des Chinois qui ont déjà du mal à rendre compréhensible le "r" occidental, le j (la fameuse rota tirée de la langue très ancienne qu'est le basque) rebute la plupart des non-locuteurs d'origine... à l'exception assez anecdotique de ceux qui "roulent les r" tels les habitants de la Provence et du Sud-Ouest (basques et gascons ont la même origine sémantique).

- b et v : proposer la suppression de ces deux lettres peut surprendre au premier abord car elles ne semblent pas présenter de difficultés à être énoncées tant en anglais qu'en espagnol. Il existe pourtant un risque réel de confusion lié cette fois à l'audition. Rappelons que nous ne sommes qu'à la genèse de ce Spanglish 23 ; il conviendra donc de bien y réfléchir et d'en débattre auparavant. Pour une oreille à l'écoute des langues ibériques, il existe un amalgame entre le b et le v que l'on retrouve, par exemple, à l'occasion de vacances hors de France : quand un indigène vous invite à aller se baigner (vamos a la playa), vous aurez souvent l'impression d'entendre : "Bamos a la playa".

- k est un autre candidat à cette simplification, notamment si l'on décide de garder l'un, ou les deux, parmi b et v. Etiemble, dans son livre sur le franglais, avait une aversion profonde pour cette lettre ; ce n'est pas une raison suffisante pour l'éliminer. En prenant le même exemple qu'au paragraphe suivant, l'on admettra que l'on peut, sans changer pour autant la prononciation, orthographier indifféremment Kixote ou Quixote. En revanche, dans la moitié anglaise du Spanglish 23, l'on risque de rencontrer un peu trop fréquemment le problème de trouver des mots analogues quand la lettre k se situe au milieu (weakness) ou à la fin (dock) d'un nom commun.

- x est encore moins fréquent que le k ; ainsi ch pourrait le remplacer dans le titre de mon livre écrit en français mais dans l'attente d'un adaptateur en Spanglish 23 : Sherlo Quixote y Watso Mancha. Nos voisins du Nord écrivent Brussels et non Bruxelles. Cependant, il ne faudrait envisager cette suppression que si c'est la seule façon de parvenir à 23... sans d'ailleurs qu'il soit vraiment indispensable de parvenir pile à ce nombre. Ce qui me gêne pour ôter le x, c'est un simple détail pratique : la numérotation en "chiffres romains" l'utilise pour indiquer le dix. Autant cela ne me gène pas de supprimer le v (cinq) car, pendant des siècles, c'était la lettre u qui figurait ce cinq, autant je ne vois pas par quoi remplacer le x ni dans la numérotation des chapitres d'un livre ni, encore plus prosaïquement, pour toute la décennie qui va démarrer en 2010.

Vouloir ôter, non pas définitivement mais provisoirement, une lettre fréquente dans une langue déjà établie s'appelle un lipogramme. Je ne sais s'il en existe en espagnol, mais en voici un en anglais dont je vous laisse trouver vous-même la lettre manquante après que vous ayiez tapé sur Google les trois mots-clés : convolutions dormant atoms.

En français, le plus important lipogramme demeure la Disparition de Georges Perec qui se souvient, lors de séances de dédicace de livres plus récents, que certains lecteurs le complimentaient sur son style mais regrettaient, en ayant beau tant et tant chercher, n'avoir jamais compris pourquoi le livre s'appelait la Disparition. Perec avait pourtant fixé la barre bien haut puisqu'il était parvenu à éradiquer dans ce lipogramme une lettre présente à 20% dans chaque texte en langue française...

J'ai choisi de conclure par un tel exemple pour permettre au lecteur de mieux imaginer les chances que passe inaperçue l'absence de quelques lettres cumulant bien moins de 20% de fréquence dans mon but de parvenir à un alphabet de 23 lettres au lieu de 26. Je souhaite longue vie à ce "Spanglish 23" en n'oubliant pas cependant, même si toute langue possède une vocation à succéder au latin et au français comme langue universelle, qu'aucune, Babel oblige, ne sera jamais éternelle.