Des limites à la fraternité ?

Voici un extrait du message du Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France à l’occasion des prochaines élections.
Texte complet ici :
http://www.cef.fr/catho/espacepresse/co … ctions.pdf

“La mondialisation et l’immigration
La France est impliquée dans le processus de
mondialisation. Elle en bénéficie largement.
Il ne s’agit pas tant de s’en féliciter – pour le
développement des échanges, la circulation
de l’information, la découverte des cultures –
ou de s’en lamenter – pour les délocalisations,
la non-maîtrise des politiques économiques,
la concurrence à outrance. Il faut plutôt
accepter de nous interroger sur nos
comportements, personnels et collectifs,
dans cette nouvelle donne.
L’interpénétration des cultures marque la
société française. Beaucoup de gens voyagent,
des jeunes étudient, travaillent à
l’étranger, s’y marient…
Le marché se développe en usant des différences
de coûts de production, mais aussi en
diffusant un art de vivre qui suscite toujours
le désir de gagner davantage et de consommer
plus. Nous ne pouvons pas défendre nos
positions, exporter produits et services, sans
accepter aussi d’être rejoints par la concurrence
de pays que l’on appelle « émergents ».
Nous nous sommes habitués à la libre circulation
de l’argent, des marchandises, des
informations, mais nous sommes plus réticents
face à la liberté de circulation des personnes.
Peut-on à la fois pratiquer la liberté
du commerce, tout en barrant la route aux
immigrés ou en les renvoyant chez eux ?
C’est dans ce cadre général qu’il faut réfléchir
la question de l’immigration.
Pour les chrétiens, l’accueil des migrants est
signe de l’importance attachée à la fraternité.
Le sujet est difficile et nous savons l’extrême
sensibilité de nos concitoyens en ce domaine.
Comment pourrions-nous nier les problèmes
?Comment pourrions-nous nier qu’un
pays comme le nôtre a des limites à sa capacité
d’accueil ? Cependant, il convient de
prendre notre juste part à cet accueil. Et juste,
ici, veut dire de façon généreuse.
Évêques, nous voyons nos communautés
accueillir nombre de ceux qu’on appelle des
étrangers ou des migrants. Leur présence
nous amène à formuler quelques convictions :
■ Nous estimons normal que notre pays défi-
nisse une politique de l’immigration. Cela
fait partie de la responsabilité gouvernementale
et tout gouvernement doit faire
face à cette question.
■ Dans l’Église, cependant, il n’y a pas
d’étranger : le baptême fait accéder, où que
l’on soit, à la « citoyenneté » chrétienne et
l’Évangile nous appelle à une fraternité universelle.
Dans bien des communautés, les
étrangers ont le souci de partager avec
d’autres, nous en sommes témoins !
■ La rencontre avec ces frères et soeurs
venus d’ailleurs nous amène à poser fortement,
dans le débat public, la question de
l’extraordinaire inégalité qui règne dans le
monde. Sommes-nous attentifs aux choix
politiques qui favorisent un développement
solidaire ? Sommes-nous prêts à
modifier notre mode de vie, afin de permettre
un réel développement des pays les
plus pauvres, en particulier en Afrique ?
Sommes-nous prêts à partager concrètement
pour aider les pays les moins développés
? N’est-il pas important de lancer
cet appel aux Français ?
■ Parmi les migrants, beaucoup, pour s’établir
en France, ont franchi des difficultés
considérables et certains ont risqué leur vie.
Pourquoi ne pas porter à leur crédit cette
volonté de rejoindre notre pays et ne pas se
fonder sur elle pour leur trouver une place
dans la société nationale?Certes, nous ne
pouvons pas recevoir tout le monde, mais il
nous est aussi impossible de renvoyer tous
les clandestins. Notre pays doit pouvoir
continuer à recevoir les réfugiés politiques
et ceux qui risquent des persécutions, y
compris religieuses, dans leur pays.
■ Enfin, réguler l’immigration veut dire pourchasser
les mafias et autres circuits d’immigration
clandestine, employeurs véreux,
marchands de sommeil, etc.”


Deux passages m’amènent à me poser beaucoup de questions :

“Comment pourrions-nous nier qu’un
pays comme le nôtre a des limites à sa capacité
d’accueil ?”

“Certes, nous ne
pouvons pas recevoir tout le monde, mais il
nous est aussi impossible de renvoyer tous
les clandestins. Notre pays doit pouvoir
continuer à recevoir les réfugiés politiques
et ceux qui risquent des persécutions, y
compris religieuses, dans leur pays.”

La France doit-elle se résoudre à une immigration choisie ? Immigrés à fort potentiel économique pour la droite libérale, immigrés persécutés pour l’Eglise catholique.
Les pauvres, les chercheurs d’eldorado ont-ils une place dans ces deux projets?
Poser des limites, fixer des capacités (à partir de quelles bases, sur quels calculs) ne vide-t-il pas de sens la fraternité chrétienne ? Limiter l’espoir n’est-ce pas le tuer ?

Qu’en pensez-vous ?

L’homme de la pampa

Selon moi, c’est avant tout un problème d’hommes. Qu’un tel discours soit tenu par des êvèques, des intellectuels de gauche, ou des concessionnaires automobiles n’a strictement aucune importance dans le fond.

La France doit faire face maintenant à des erreurs commises il y a plusieurs décennies. Lorsqu’on a eu besoin de main d’oeuvre pas chère, on a ouvert grand les bras, sans se rendre compte où cela pourrait mener si l’on ne contrôlait pas le flux. On s’en mord les doigts maintenant, et les mesures à prendre au point où on en est se plairont clairement pas à tout le monde… mais il faut que quelqu’un le fasse.

Je ne connais pas la meilleure solution à adopter, mais il est clair qu’il faut à un moment ou à un autre faire quelque chose, donner un coup de pied dans la fourmilière, quitte à être montré du doigt par certains.

Ca me fait penser à une remarque de Le Pen lors d’une émission (le gars est très terre à terre, sans doute l’un des seuls en politique, et ne dit pas que des conneries) : ce que Sarkozy veut faire maintenant pour résoudre un problème certain, n’est rien de plus que ce que Le Pen préconisait il y a des décennies… On peut être d’accord ou pas, vomir ou non, mais je trouve la remarque tout à fait pertinente. Seulement cela passe mieux dans la conjoncture actuelle.

Si je comprends bien tu es persuadé qu’il existe un seuil de tolérance pour l’accueil des étrangers.
Ta position n’a pas l’air de susciter de réactions, ce qui me conforte dans l’idée que Le Pen sera présent au second tour des élections présidentielles.

Mon propos précédent avait pour but non de poser la question de la pertinence d’un seuil de tolérance mais de m’interroger sur la distance qui existe entre l’idée que je me fais des préceptes chrétiens et le discours des autorités catholiques.

Mais voir que la notion de seuil de tolérance ne suscite aucun tollé montre à quel point les esprits ont évolué à ce sujet en 20 ans.

L’homme de la pampa

Je suis pour ma part convaincu que cet article mesuré, tolérant, intelligent et lucide est tout à l’honneur des évèques de France.

L'homme de la pampa dit:
Mais voir que la notion de seuil de tolérance ne suscite aucun tollé montre à quel point les esprits ont évolué à ce sujet en 20 ans.
L'homme de la pampa



Si les esprits ont évolué je pense que c'est surtout du à la conjoncture. Parce qu'il y a 20 ans on se posait beaucoup moins de question sur ce qu'on allait faire après ses études. Savoir si on allait ou non trouver facilement un travail.
Aujourd'hui,pratiquement tous les étudiants doutent... et c'est bien normal.

Je me considère plutôt à gauche. Je trouve même que certains candidats à l'investiture PS ne sont pas très à gauche. Et je suis pour les régularisation de sans papiers.
Pour autant ce concept de "seuil de tolérance" (même si je trouve l'expression galvaudée) ne me semble pas difficile à comprendre.
De plus en plus d'entreprises délocalisent créant aisi de moins en moins d'emplois en France. Plus la population est importante et plus le chomage va être important. C'est bien beau de lutter contre le chomâge dans les JT, mais si on ne crée pas réellement des postes ça ne veut pas dire grand chose.
Ce seuil de tolérance pourrait aussi bien s'appliquer à la population actuellement française via un contrôle de la natalité. Parce que ce n'est pas qu'une question "d'étrangers" qui viendraient. C'est surtout une question de population par rapport à l'activité et la croissance d'un pays.

Le concept est donc compréhensible. Comme il est compréhensible que de plus en plus d'élécteur y soient sensibles sans pour autant qu'on puisse les taxer de racistes.

Maintenant, je pense que c'est sûrement une des plus mauvaises réponses que l'ont peut apporter a des problèmes comme le chomâge en France. Parce que ça fera peut être sourire les gens à court terme. Mais à long terme les mêmes problèmes de chomâge (par exemple) se répeteront.

Pour ce qui est de la fraternité, ça fait bien longtemps que je ne crois plus en un tel concept au sein de l'Eglise.

Clem

Et puis “immigration choisie” c’est clairement un terme qui n’existe pas concrètement mais qui n’a que des visées électorales.

Ca me fait bien rire ça. C’est du style: “bon y’a trop d’immigration donc on a décidé de l’arrêter et puis on va choisir celle qu’on veut”. Franchement, c’est une blague.
On n’arrête pas l’immigration. On peut délivrer un certain nombre de carte de séjour pour la limiter. Mais une fois qu’il n’y en a plus à délivrer, bah les autres immigrants seront des clandestins. Ils ne vont pas s’arrêter à la frontière sous prétexte que Nicolas S. a décidé qu’il y aurait un certain nombre de nouveaux arrivants par an.
Si ça existait vraiment “l’immigration choisie” je pense pas que la France aurait attendu 2006 pour la découvrir.

C’est vraiment de la démagogie.

Clem

Tout d’abord, il me semble que le texte des évêques de France milite très fortement pour l’accueil des immigrés et ce, très justement, au nom de l’Evangile.
Les bémols que tu as relevé me semblent être des précautions oratoire visant à montrer que l’Eglise Catholique ne se lance pas ici dans un grand discours idéaliste mais qu’elle veut prendre acte de la situation.

Bref, le débat peut partir dans trois sens
- un débat sur l’immigration
- un débat sur la prise de position des Eglises dans la sphère politique
- un débat théologique sur la possibilité de faire du message évangélique un discours sociologique tenable sans trop l’édulcorer et l’amoindrir (autrement dit, un discours politique peut-il être pleinement conforme à l’Evangile ?)