Hello,
je n’ai pas d’idée précise de jeu mais plutôt quelques notions qui me trottent dans la tête et que je cherche à formaliser…
j’ai découvert il y a peu le jeu vidéo “Father and Son”, sorte de Point’n’Clic très simple et très beau sur le thème de la filiation et de l’héritage. En plus de l’histoire, des graphismes et de la musique, deux caractéristiques me semblent intéressantes à exploiter dans un jeu :
> Comme d’autres jeux d’aventure, le jeu propose des choix de réponse lors de dialogue. L’originalité provient du fait que ces choix contribuent à transmettre l’émotion de votre personnage.
> A différents moments du jeu, vous pouvez “switcher” d’une époque à l’autre. Il ne s’agit pas de voyage dans le temps au sens SF mais plutôt d’une mise en parallèle de deux époques.
Dans mon idée, il ne s’agit pas de transposer un point’n’clic en jeu de plateau dont vous êtes le héros (comme Time Stories le fait très bien) mais plutôt de trouver les mécanismes de jeu de plateau qui pourraient faire émerger le même type de ressenti que le jeu vidéo. Un jeu sur la contemplation, le ressenti et les émotions tournerait certainement plus autour de mécanismes type Dixit ou Mysterium.
Cependant comment créer un mécanisme permettant de générer des histoires “émouvantes” tout en fournissant des choix aux joueurs (autre qu’inventer un bout de l’histoire) et en évitant le côté purement occupationnel du jeu narratif ?
Salut Dante,
D’après ce que j’ai compris, pour toi, le jeu de société narratif est le fait de confronter les joueurs à des choix grâce à une mécanique de jeu qui sera génératrice d’histoire. Il me semble que tu viens de réinventer le jeu de rôle !
Ta question me semble beaucoup trop vaste pour trouver une réponse universelle. Il existe une multitude de solutions de game-design qui seront adaptées à l’émergence d’une narration dans un jeu de société. Si tu prends le jeu “Dead of Winter”, le jeu crée une histoire en te faisant gérer des personnages, en te donnant des objectifs et en te confrontant à des choix dans le cadre d’événements aléatoires. En termes de jeux narratifs, je peux également te proposer une de mes créations : Supertension, un jeu narratif de tension diplomatique sur fond de menace nucléaire, pour deux joueurs. Le jeu peut se jouer comme un jeu de rôle mais il peut également se jouer avec très peu de roleplay, et l’histoire se crée alors grâce à des mécaniques et à des supports très proches du jeu de société. Le jeu est téléchargeable gratuitement ici : http://brisecous.blogspot.fr/2016/02/supertension-jeu-de-societe-narratif.html
En jeu narratif, je pense qu’on peut créer deux grandes catégories :
- Le jeu propose un cadre, la narration est apportée par les joueurs en fonction du cadre : Le jeu se rapproche d’un jeu de rôle.
- Le jeu propose à la fois le cadre et la narration, et la liberté des joueurs réside uniquement dans les choix tactiques : Le jeu se rapproche d’un jeu de société.
En fonction de ton objectif, de la manière dont tu veux que la narration émerge, tes choix de game-design et les solutions que tu vas employer vont être très différents. Un jeu qui permet une création de narration par les joueurs sera beaucoup plus riche et donc plus complexe à mettre en place. Un jeu dont les joueurs choisissent des embranchements sans influer directement sur le contenu de la narration, sera plus facile à mettre en place. En revanche il sera plus difficile de lui donner de la rejouabilité puisque cela signifie que l’intégralité des options possibles devront être incluses dans les supports de jeu.
Salut Brisecous,
tu as bien compris la question et je te rejoints assez : elle est trop vaste en l’état. Cependant, la catégorisation que tu proposes me semble très éclairante :
- d’un côté, un système ouvert type “jeu de rôle” dans lequel les joueurs influencent le contenu de l’histoire, avec beaucoup de liberté et de rejouabilité
- de l’autre, un système fermé type “jeu dont vous êtes le héros” dans lequel les joueurs choisissent une option parmi des embranchements possibles, avec une liberté et une rejouabilité restreintes.
J’ajouterai aussi les jeux narratifs type “Il était une fois” qui relèvent plutôt de l’occupation (pas de motivation autre que raconter une histoire) et dans lesquels les joueurs n’interprètent pas des protagonistes de l’histoire.
Les escape games et Time Stores vont dans la deuxième catégorie. N’ayant pas joué à Dead of Winter, j’ai plus de mal à le situer mais le système d’objectifs secrets me semble très intéressant pour créer une narration “dirigée par les personnages”. Par contre, les événements aléatoires étant déconnectés les uns des autres, ils ne contribuent pas à créer une histoire “cohérente”.
Dans un autre style, Mysterium plonge les joueurs dans une atmosphère forte avec des séquences différentes au cours du jeu (reconstituer le contexte du crime en identifiant les suspects puis les lieux puis les armes du crimes, pour enfin trouver le coupable). D’un côté, le schéma narratif est toujours le même et se confond avec le système de jeu. De l’autre, j’ai déjà vu des joueurs frustrés par l’absence de narration supplémentaire.
Il me semble qu’une “bonne histoire” (sujet encore plus vaste) s’appuie sur au moins 4 éléments :
- un contexte qui permet de situer l’histoire dans le temps et l’espace,
- des personnages avec des motivations différenciées et plus ou moins claires,
- une structure narrative avec des séquences qui permettent de faire avancer l’histoire jusqu’à un climax,
- un épilogue qui permet de conclure (ou non) l’histoire et de déterminer s’il y a ou non un ou plusieurs vainqueurs (plus important pour le coté “jeu”).
Dans le cas du jeu que j’ai à l’esprit (dans le genre de Father and Son), la contemplation des illustrations et des histoires qu’elles racontent seraient au coeur du gameplay. Les rôles des personnages interprétés par les joueurs devraient contribuer à fixer un objectif de contemplation. La structure (par un exemple, un voyage) permet de donner le rythme et de montrer une progression dans le récit.
Et j’ajouterai aussi l’interdépendance entre les joueurs qui peuvent s’entraider ou se bloquer pour faire avancer l’histoire dans un sens ou dans un autre.
- dans Mysterium, l’avancée de l’histoire dépend de la capacité du fantôme et des médiums à se comprendre
- dans Dead of Winter, l’avancée de l’histoire est “dirigée” par l’agrégation des choix individuels (eux mêmes dépendants des objectifs individuels) modulés par les aléas (jets de dés avec lesquels il faut jouer, cartes crossroad).
Salut Dante,
Je te soumets une idée à propos du voyage :
- Le voyage est une suite de lieux à explorer qui forment autant de scènes de l’histoire
- Une fois le lieu précédent exploré, les joueurs piochent 3 cartes “lieu” qu’ils laissent face cachée. La face cachée décrit très sommairement le lieu (forêt, côtes, collines escarpées…). La face visible au contraire décrit le lieu et met en place des défis à surmonter. Cette carte peut être couplée à des tables aléatoires (jets de dés, cartes supplémentaires à piocher) pour permettre de la rejouabilité.
- Les joueurs choisissent une carte parmi les trois qu’ils retournent, et ils défaussent les deux autres.
- Si les joueurs ne parviennent pas à se mettre d’accord, n’importe quel joueur peut piocher une carte “conflit” qui crée une scène supplémentaire de conflit entre les personnages. Cette scène peut avoir des conséquences dramatiques pour le groupe. Cela permet d’intégrer dans le jeu et dans l’histoire les désaccords, cela incite au consensus ou au contraire à créer une histoire plus compétitive.
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Dans Dead of Winter, en réponse à ton message, les événements créent une histoire relativement cohérente même si elle reste secondaire dans le jeu : Les événements piochés par un autre joueur, ne se déclenchent que si le joueur en train de jouer, possède un certain personnage, ou va dans une certaine zone, ou fait une certaine action. Donc, l’événement est en cohérence avec ce qui se passe dans la partie.
Il y a aussi les jeux Legacy qui essaient de faire vivre une histoire.
Salut,
Gobarkas, les jeux Legacy proposent également une forme de narration originale, entre parties. On peut, à mon avis, les ranger dans la seconde catégorie (scénario pré-établi dans lequel les joueurs naviguent).
Brisecous, j’aime bien l’idée des lieux à explorer le long d’un chemin. Je suppose que ça a déjà été fait dans beaucoup de jeux (the 7th continent). De même, piocher 3 lieux possibles est intéressant mais peut paraître arbitraire. Il y a des façons pour limiter le hasard bien sûr. Dans le (vieux) JCC Middle Earth, les joueurs explorent les terres du milieu et peuvent passer d’un lieu à un autre avec un système de région / type de terrain, qui détermine aussi les rencontres qu’on peut faire. Ce que j’aime bien dans les jeux type Time Stories, c’est qu’on perçoit plus ou moins rapidement l’impact qu’on a sur l’histoire et sa cohérence.
Dans une vidéo de “just write”, le youtubeur parle du découpage d’une histoire en actes. A la fin de chaque acte, le personnage principal prend une décision importante qui va changer la suite ou ce qu’il est.
Ça me semblerait intéressant de concevoir un système un peu sur la même idée. Le jeu serait alors presque un jeu de déduction/soustraction, un peu comme Tobago. Chaque décision exclue des possibilités.
Tu as entendu parler de Tragedy Looper ?
Pas essayé, mais son principe m’avait grandement intéressé.