Epopée urbaine - épisode 5

Un soir orageux du mois de mai.
L’azur se teinte d’orangé tandis que le soleil tente invariablement de rejoindre la lune … derrière l’immeuble du coin de la rue.

Je stationne ma berline (j’aime bien ce mot surtout quand je circule au volant de ma R19) et mets fin au calvaire de ma fille en ouvrant la portière pour la laisser s’égayer dans les prés et effaroucher les abeilles qui butinent, elles !

Ma mère, telle une éminence pourpre ou blanc-vatican (page 303 du catalogue Renault), secoue sa main à nos attentions, depuis son balcon moins solennel que le blanc précédemment évoqué.

Les yeux de ma fille s’écarquillent, elle laisse échapper un cri de joie “Mamie Eyane” ! (Ma mère ne s’appelle pas Chantal, contrairement à ma belle-mère qui, elle, ne s’appelle pas Eliane).

Et là ! Une petite fée passe. Un joli brin de femme, que je devine espiègle avec ses cheveux longs ondulés aux tons blonds vénitiens (c’est con, mais je crois n’avoir jamais vu de blonds à Venise) et ses tâches de rousseur. Elle se déhanche en direction de l’immeuble de ma mère, qui s’érige là, lui aussi.

Nous rentrons, ma fille les bras chargés des jolies fleurs municipales (pleines de leur pistil, elles aussi).

Je vous passe les embrassades familiales dignes d’un raout chez l’ambassadeur du Japon en Tanzanie.
Et ma mère de guetter à la fenêtre telle une Emma flauberienne et moi de lui dire: Maman, Maman ?! Nous voilà" (beaucoup plus approprié que “la garde meurt, mais ne se rend pas”, notez).

Elle m’entretient au sujet des misères animalières de son quartier, usant d’arguments à mi-chemin entre la militantisme de Brigitte Bardot et l’engagement charitable de l’abbé Pierre. A grands renforts d’épithètes usés jusqu’à la corde par les scénaristes de la petite maison dans la prairie, elle m’apprend qu’une petite voisine s’est prise de pitié pour un petit chat errant, roux, lui aussi.
Ma mère, qui nourrit la pauvre bête (bah oui, il est roux…soyez un peu compatissant) depuis une semaine, s’interroge et se demande si mes mains agiles seraient capable de capturer cet être immonde et cruel.

Mère et courage écoutés, je forme mon équipe: moi devant, le beau père derrière muni d’une cage ergonomique dont l’aérodynamisme aurait pu être testé en soufflerie, mais nous n’en saurons rien: la notice est écrite en chinois.

Nous lançons notre cri de guerre: “Maman, tu sers l’apéro” et sortons affronter les dangers de la jungle.

Quelques danses tribales et invocations célestes plus tard, nous nous trouvons nez à nez avec la bête. Elle se cambre sur ses pattes arrière, elle en a deux, la bougresse ! Que cela ne tienne, j’en ai deux aussi, et la toisant du regard fier du chasseur, je les fléchis, faisant saillir mes muscles que seuls mes pantalons réussissent à dissimuler.

Des secondes durant, une vie pour un éphémère qui passait par là, nous nous fixons et feulons simultanément.

“Attention Monsieur”.

Quoi, il parle ? Il me nargue, le félon.

Que nenni. Cette douceur acidulée qui est moins rousse qu’au soleil couchant, vient de réapparaître. Ses yeux papillonnent, l’éphémère meurt.

Je réagis promptement. Je râcle ma gorge, bombe mon torse et me lance dans un long monologue censé rassurer cette frêle demoiselle: “les chats, ça me connaît” (fin du monologue)

Elle rougit. Elle sait reconnaître un héros lorsqu’elle en a un devant les yeux. Je la veux.

La bête, sournoise, rit sous cape et, à force de reptations subtiles et flagorneuses, vient roucouler aux pieds de la gente dame.

Viles manoeuvres que je mets à profit. Je bondis, la saisis, l’enlace (le chat, pas la demoiselle, chaque chose en son temps).

Mon sherpa se réveille et court à ma rencontre avec la boîte chinoise dans laquelle j’enfourne la tête de l’animal, du monstre assoiffé de sang.

(…)

J’ouvre mes yeux. Ma mère, éplorée, penchée à mon chevet, m’apprend entre deux sanglots que mon beau-père s’en est sorti lui-aussi. Tant mieux !.. Je n’envisageais pas de prendre l’apéro tout seul.

Nous pansons nos blessures. Mon beau-père s’en tire avec deux paumes lacérées ; je suis plus salement touché: un pouce éventré, une paume mordue jusqu’à l’os et des griffures qui ne doivent rien à l’enthousiasme sexuel d’une quelconque partenaire, sur le dessus des mains.

La bête s’est enfuie, la chienne (c’est un chat en fait, pour ceux qui ont pu abandonner l’espoir de se figurer le monstre).

Le lendemain, profitant de mon absence plus par peur de tombée éperdument amoureuse que par hasard ou par toutatis, la voisine viendra prendre de mes nouvelles, et de celles de mon acolyte par politesse.

Deux semaines plus tard, elle offrait une poupée Barbie à ma mère pour amadouer ma fille et me conquérir… résolument.

Dois-je aujourd’hui, que nos routes vont à nouveau se rencontrer, feindre l’indifférence, me pavaner sous ses fenêtres à l’affût des chats errants, ou lui offrir une poupée Ken en retour ?

Je me tâte, elle pas encore.

PS: En ce qui concerne le chat, il fut capturé le lendemain, sans bobo.

J’adore +++. Surtout les commentaires et donc le style en général.

EPISODE 6: rateau sur mer calme

Fourbu après mon long périple, au cours duquel mille de mes marins périrent, j’accostais, voiles affalées, et bittais mes amarres, sous les yeux humides de la madre qui exécutait, pour célébrer l’occasion, une hola digne d’un Camp Neu un soir de finale de Champion’s league.

Ma princesse s’extasia de pouvoir enfin assouvir ses besoins les plus sanitaires et retrouver, tout oing cessant, la merveilleuse femme qui m’enfanta quelques vingt-cinq ans plus tôt (et quelques mois pour les historiens les plus tatillons).

(…)

Plusieurs cris de guerre plus tard, le barde ligoté au plus vieux chêne, les agapes expédiées, la queue brossée, la crinière lustrée et vice-versa, je me décidais.

Je dévalais les quelques marches qui me séparaient de l’éventualité de brouettes plus libidineuses que japonaises ou du ridicule que seuls peuvent connaître les ostrogoths qui cherchent du caviar estampillé Petrossian au Lidl du coin de la rue.

Je sonna.

Elle ouvrit.


Rateau:

Trahi par ma myopie, je demandais à être annoncé à la maîtresse de maison. Confuse, mon hôte se présentait comme telle ! (Admirez ce départ admirable !!!)
En quête de miséricorde, je balbutiais mes remerciements en mode crooner 5.1.

Récupérant mes yeux négligemment tombés dans son décolleté duquel deux jolis seins, comprimés sans concession, tentaient de jaillir, je fus pris d’un émoi des plus disgracieux que je ne pus masquer qu’à grands renforts de petits pas chassés rotatifs, offrant alors à cette délicieuse créature mon profil sevranesque.

Je me lançais derechef (je ne vous avais pas annoncé la nouvelle: je suis monté en grade, et oui !) et lui proposais ma fille, ma voiture, mes chats, ma brosse à dent, mon oreiller et un verre à titre de prologue.

Elle me servait un remake du “désolé, je dois me laver les cheveux” anglais, en prétextant devoir se rendre à une fête anniversaire.
Je rentrais ma queue, ma langue et mon hardiesse et excusais l’audace d’avoir pu lui être importun.
Polie comme un galet, elle ajoutait cette tirade (qui restera célèbre dans les annales du syndic de l’immeuble): “…ravie, … dommage …mais bon un anniversaire c’est un anniversaire” aussi sincère que les larmes d’un présentateur de JT qui vous annonce que le prix du timbre vient d’augmenter.
Ses mots sonnaient le glas de ma flibuste.

Dépité, j’allais déambuler sur les quais embrumés où je cherchais vainement un caillou dans lequel donner un coup de pied, pour ne pas déroger aux canons du genre.

Rompu, je rentrais, sans manquer de shooter un chat qui passait par là (ce n’est pas le caillou qui va s’en plaindre).

Après avoir longtemps négocié avec Morphée en lui expliquant que je ne me sentais pas encore prêt à verser dans la bisexualité et après lui avoir refilé l’adresse d’un voisin moins timoré, lové dans ma couchette tel un foetus orphelin, je m’endormis.

(…)

Retour de manivelle:

Debout sur le pont depuis l’aube (10h30, heure de Greenwich), accoudé aux bastingages, à humer l’amertume de mon café, je fus rappelé au débarcadère.

Affublé d’une coiffure digne du Lieutenant Columbo pris dans une tempête, les yeux hagards du lapin qui compte les moucherons collés sur un pare-choc une nuit sans lune, je fus entremis sans concession à cette délicate créature.

Cruellement nimbée d’un voile de soie fleurie, qui peinait à dissimuler la perfection d’un corps, promesse de doux plaisirs, cette intrigante venait-elle récupérer le sabre fiché dans mon dos ?

Il n’en fut rien.

Elle me remit une requête frappée de son sceau. J’opinais (pour le reste on verra plus tard), conscient que lui proposer une lambada enfièvrée aurait pu lui paraître saugrenu.

La donzelle évanouie, je déliais les liens de cette missive et me plongeais dans une lecture des plus rafraîchissantes:
“Anne-Sophie. Tél: 06 32 54 87 95. Au plaisir de se revoir très bientôt.”

Aujourd’hui, mon équipe d’experts cherche encore à décoder ce curieux message. Je vous ferais part de l’avancée de nos recherches, dès lors que le trésor nous sera promis.





EDIT: le numéro de téléphone a volontairement été changé. Désolé.

Je viens de me rendre compte que la place de mon petit délire aurait dû être “la cage”.
Si un modérateur charitable aurait l’amabilité de l’y déplacer, je lui en saurais gré. :china:

Hey, mais c’est que c’est très agréable à lire ces épopées urbaines! A quand la suite ?

La suite, si j’arrive à me défaire de ma paresse congénitale, devrait nous conduire dans les méandres du Kamasutra, avec le retour de la gente damoiselle des premiers épisodes.

Merci pour les encouragements en tout cas. :china:

La suite, la suite!

Faute d’une suite, je me décide à poster les épisodes précédents qui furent écrits par une autre main que la mienne.
Je ne vous tiendrais pas rigueur de les préférer aux miennes, dans la mesure ou moi-même, je les trouve bien meilleures.
Notez que les personnages existent bel et bien et ont fait partie de l’entourage de l’inventeur de ces historiettes ainsi que du mien. Je peux donc garantir que les traits dont ils sont ici affublés sont conformes à la réalité à quelques infimes détails près.


Episode 2: incongruités touristiques

Addenda: dans ce récit, vous pourrez reconnaître Francis, minable fonctionnaire de banlieue dont le reflet ne brille que dans l’oeil du cloporte, et Pierre Alain dit Pierre-Alain, richissime rentier, tour-de-mondiste nautique et amateur, deux amis, enfin deux relations, disons plutôt deux personnages de mon entourage… ouais, bref deux pauv’ types qui partagent parfois mes aventures.


Paris. Septembre 2006. Un troquet improbable du 9ème arrondissement.

Huit euros quatre vingt.

'culé ! Je paie la mort dans l’âme et le porte-monnaie dans la main droite, en me jurant de coller l’addition du prochain resto sur le dos de Francis, c’te hyène puante !

D’autant que le patron a décidé de fermer son bistrot alors que je n’avais pas fini de violer sauvagement les deux superbes blondes qui buvaient un café derrière nous. J’enrage.

Le nain chafouin (Francis. Je précise pour ceux qui ne le connaissent pas), qui a décidé de me pourrir la vie en m’emboîtant le pas, me contraint à un exercice physique violent… consistant à nous déplacer à pied depuis ce bouge jusqu’au resto à Saint Lazare.

Avisant la distance qui paraît réservée aux meilleurs marathoniens éthiopiens, je fais un rapide inventaire de mes chances de survie, cale mon téléphone sur le numéro du Samu (le 15… le 14 c’est Superbe du Gazon, faut le jouer dans la 3ème à Vincennes) et écris furtivement mes dernières volontés sur un fond de paquet de clopes.

Evidemment, quelques heures plus tard, nous sommes perdus dans la jungle urbaine.

Un nom m’attire irrémédiablement: Lancôme.

Tant pis. Au péril de ma vie, et de celle de Francis dont personne ne se soucie guère, je traverse crânement la rue et entre dans le temple du shopping, la mecque de la touriste de plus de 50 ans, j’ai nommé le Très Immense et Vénéré Magasin du Printemps.

Un ladre asiatique se rue sur moi furieusement.

Francis, la main sur son Bic 38 spécial, était déjà prêt à défourailler et refroidir l’envoyé des triades.

Mais non ! C’est simplement un vendeur du rayon « spécial touriste japonaise de plus de 50 ans ».

Je lui indique que je souhaite une crème de nuit anti-âge, ce qu’il cherche prestement avec forces courbettes fourbes qui ne me laissent rien présager de bon.

J’en profite pour mater une nana, plus suédoise que quinquagénaire, lui trousse ses jupes et la viole sauvagement sur le présentoir à rouges à lèvres.

Un « Aiiiiiiii » puissant me fait sursauter.

Hey, Hirohito-san, ça te dérangerait de calmer ta joie au contact de tes congénères ?

Je me sens mal à l’aise au contact de mon vendeur venu du pays du soleil levant.

D’autant que je pressens qu’il n’aura pas d’échantillons à me filer.

Cette carence échantillonesque ainsi que la perspective peu reluisante de ne pas pouvoir repartir avec cette crème, certes inutile mais désirée, me fait envisager de pratiquer à son endroit des expérimentations à base de sabre de samouraï rouillé.

Compte tenu les risques d’émeute, je renonce à souiller les comptoirs avec les viscères de son cadavre et décide de foncer vers un autre stand parfumé.

Le vigile tente de nous dissuader d’effectuer la traversée du magasin, prétextant que des groupuscules viet-cong ont été aperçus récemment au-delà du rayon cravates.

Tant pis. Faisant fi de cette alarme. Nous fonçons.

Francis surveille nos arrières, je fends la foule.(ne voyez là aucune volonté de contrepéter)

Nous arrivons finalement dans une clairière, bordée au Sud par des sacs à main, peut-être la marque d’un avant-poste ennemi.

Au diable la couardise ! Entrevoyant une trouée, la caisse, je me précipite, carte bleue chargée à la main.

Hélàs, cent fois hélàs, mille fois hélàs… je suis intercepté par une femme aussi somptueuse que brune qui visiblement ne me laissera pas vivant, je le subodore…

Elle me propose sournoisement d’emballer mes achats, et se penche, croupe en diversion, pour récupérer une paire de ciseaux cachée sous son plan de travail. La bougresse cherche donc à attenter à ma avie. Je décide, en guise de représailles, de la violer sauvagement sur le comptoir, sous le regard placide de milliers de touristes japonais, qui trouvent décidément nos moeurs charmantes.

Finalement, les paquets ensachetés, nous sortons dans l’air pur et radieux de notre belle et réjouissante capitale (j’aurais pu y aller moins fort, le comité olympique a déjà choisi pour 2012, non ?).
Vivants.
Au rebours de ce que j’imaginais, cette épreuve difficile a eu le mérite de renforcer les liens qui m’unissent au gnome abject qui m’accompagne.
Chienne de vie.

Encombré de sa présence, je poursuis l’aventure.
…/…