Je suis le compte @thomas-cloue.bsky.social sur Bluesky et je me fais à ces deux évidences :
- Je n’y connais rien en BD
- C’est un secteur culturel d’une énorme richesse de propositions.
C’est un des exemples sur lesquels je m’appuie pour argumenter que, vu de loin et en surface, toute production culturelle a l’air superficielle et limitée à des produits formatés et sans prise de risques. Mais que vu de l’intérieur et en explorant avec passion, c’est toujours tout autrement.
JV et JDS ne font pas exceptions. Même si les deux sont en crise. Comme l’est la BD et tout autre secteur de production culturel.
Et pour les quelques sceptiques concernant le jeu video, j’illustre mon propos de quelques exemples.
Sinon si j’ai posté ça en HS c’est que je ne suis pas sur Trictrac pour parler jeu video, je fais déjà partie de communautés ailleurs pour ça. Toute l’année je ne parle quasiment que de ça… L’idée c’était vraiment de faire un parallèle qui puisse nous parler. Parce que c’est évident que sous la surface la créativité existe toujours.
Chants of Sennaar (Pc, Switch, Xbox, Ps5) sorti en septembre 2023 est un jeu video français sorti de nulle part et fait avec peu de moyens (2 personnes) qui se hisse au niveau des jeux video les plus influents créativement parlant. En terme d’influence on rivalise avec Return of the Obra Dinn dont il s’inspire d’ailleurs sans s’en cacher.
Direction artistique économe assumée, le jeu marque principalement par son concept central : déchiffrer des langages hermétiques.
Notre personnage évolue dans les différents étages de la tour de Babel, parmi des peuples qui ont chacun leur langage hermétique, rendant la communication entre les peuples impossibles. Sauf que nous sommes un vecteur parce que nous allons littéralement apprendre les différentes langues, à force d’observations de gestes universels, d’énigmes textuelles mettant en scène des objets communs ou des actions communes.
C’est brillant et intellectuellement très stimulant.
Cocoon (Pc, Switch, Xbox, Ps5) sorti en octobre 2023, il a fait sensation dans le milieu du jeu video indépendant. Pensez-donc, à la tête du petit studio responsable de ce jeu on trouve 2 personnes qui étaient déjà responsables de Limbo et Inside. Rien que ça, ça pose un évènement. Le jeu se présente comme un jeu d’exploration vu du dessus, dans un monde mêlant viscéralement de l’organique et du mécanique. Alors oui c’est en faible nombre de polygone, sans textures, mais ça ne l’empêche pas d’avoir une direction artistique. Moi je le trouve très beau.
Mais ce qui compte le plus c’est qu’il est brillant. Sous une apparence de Zelda-like en top-down (le jv ça jargonne à mort… je suis désolé d’avance mais pour faire rapide faut emprunter le jargon), Cocoon cache en fait un puzzle-game (un jeu d’énigme) avec une science de la conception de niveau extrêmement maîtrisée (je dirais level-design par la suite).
Notre personnage se déplace de mondes en mondes avec la faculté d’emporter ces mondes sur son dos, à l’intérieur d’autres mondes. Oui. Mises en abîmes et effets garantis.
Jusant (PC, Xbox, PS5) sorti en novembre 2023 (si je me souviens bien…) est plus simple. Moins ambitieux intellectuellement mais il lui aussi son concept fort : il s’agit d’un jeu d’escalade où le joueur utilise les gâchettes de la manette pour actionner soit la main gauche du grimpeur, soit la main droite. On avance de prises en prises en lisant bien la falaise pour trouver son chemin, on pose des pitons pour sauvegarder sa progression sinon gare à la chute. Le tout dans un univers visuel dépouillé mais inspiré, tantôt baigné de lumière, tantôt illuminé par une faune fluorescente. C’est un jeu d’exploration verticale assez court avec une nouvelle idée par niveau, magnifique et dans lequel l’immersion du joueur se fait par le gameplay plus que par l’histoire. C’est très fort.
Pour l’anecdote : ce jeu, développé et édité par le studio responsable de jeux assez fameux comme la licence Life is Strange, a eu un beau succès d’estime et critique mais jugé trop faible commercialement en ces temps difficiles. L’équipe a été démantelée.
Minishoot Adventure (PC) sorti en avril 2024 est lui aussi un sorti de nulle part. Conçu par deux français (frangins) passionnés, on est pas loin esthétiquement du jeu flash. Et conceptuellement, on n’est pas loin des meilleurs Zelda en 2D. Je n’exagère rien. En terme de plaisir de jeu, on est de toute façon bien au-dessus.
On déplace un vaisseau spatial dans un shoot-em-up vu du dessus, avec une maniabilité exemplaire et addictive, un joystick pour se déplacer, un joystick pour diriger le canon et tirer (twin-stick shooter, pour les connaisseurs). Le tout dans un monde pensé comme un Zelda, avec des donjons, des boss, des quarts de coeur à trouver, ainsi que des nouveaux pouvoirs.
C’est un des meilleurs jeux de 2024 et qui en a entendu parler ?
Non seulement cet alliage improbable fonctionne (mélanger du Zelda et du shoot-em-up) mais en plus chaque facette s’en trouve sublimée, améliorée.
Lorelei and the laser eyes (PC, Switch, PS5) sorti lui aussi cette année, est un projet fou du studio suédois Simogo qui avait déjà fait parler de lui par le passé notamment grâce au jeu musical Sayonara Wild Hearts. Ici, il s’agit d’un jeu qui questionne le rapport à l’art et à la création, qui adapte le film d’Alain Resnais “L’année dernière à Marienbad” en empruntant les codes du jeu du survival horreur à la Alone in the Dark ou les deux premiers Resident Evil. Mais sous ce vernis le jeu n’est qu’une immmense compilation d’énigmes (comme un professeur Layton torturé et excentrique). Des énigmes partout, enchâssées, dissimulées, ou à l’inverse exposée comme autant d’installations d’une exposition artistique.
Ça a l’air pompeux ? Oui. Ça l’est. Mais aussi et surtout ça n’oublie jamais d’être du jeu video.
Animal Well (PC, Switch, Xbox, PS5) sorti en mai 2024, est le projet d’un seul homme mais il n’est pas du tout passé inaperçu celui-ci. Il s’est même confronté aux énormes productions lors des cérémonies gavées de thunes de fin d’année. Un jeu d’exploration et plateforme vu de côté, dans le genre initié par les vieux Metroid (on dit Metroidvania pour aller vite) mais sans aucun combat. Tout n’est qu’énigmes environnementales, secrets, objets cachés sous plusieurs couches de metajeu. C’est énorme, original et boursouflé. Mais c’est incroyablement impressionnant. Ce jeu est un monstre. Comme FEZ l’était en 2013. Comme Tunic l’a été en 2022.
The Operator (PC/Mac) sorti cet été a l’intelligence de faire les bons choix la hauteur de ses moyens (projet porté par un seul auteur français) tout en se concentrant sur son ambition bien définie : plonger le joueur dans le rôle d’un opérateur du FBI. C’est à dire la personne qui reste dans les bureaux derrière son ordinateur et que les agents sur le terrain appellent pour faire des manipulations sur les images de videosurveillance, des recoupements d’indices dans les bases de données, zoomer sur une plaque d’immatriculation, ce genre de choses finalement très ludiques. Ce qui fonctionne, outre un travail irréprochable sur le son et les doublages, c’est précisément cette adéquation entre le rôle qu’on incarne (celui d’une interface) et justement l’interface qu’on manipule nous-même en tant que joueur. C’est diablement efficace. Le tout dans un contexte de conspiration d’état, à la X-Files.
The Rise of the Golden Idol (PC/Mac, Switch, Xbox, PS5, Mobiles) sorti en octobre 2024, la suite tant attendue du projet letton mochissime et géniallissime qu’était The Case of the Golden Idol, jeu d’enquête où l’on collectait des mots clefs sur des scènes de crime afin d’essayer d’identifier des coupables, des mobiles et un sens à toute cette histoire qui s’étalait sur des décennies de péripéties occultes. La suite reproduit l’exploit du premier, à savoir faire presqu’aussi bien que l’inspiration qu’était Return of the Obra Dinn tout en renouvelant le genre jusqu’à en définir les bases nouvelles. La résolution complexe progresse par petites touches de compréhension qui s’imbriquent dans un level design bâti en temps réel directement dans votre cerveau.
Je ne sais pas combien d’entre vous connaissent déjà combien de jeux de cette liste. Mais dites vous que ceux-là ne sont pas underground du tout. Si on s’intéresse à la production indé ce sont même des jeux très connus. Ce sont des équivalents* Terraforming Mars, Wingspan, Clank ou Marco Polo (= bien connus des spécialistes mais pas du tout du grand public). Pas du tout des Splotter (les jv underground ça existe aussi). Si par exemple vous n’avez jamais entendu parler d’aucuns d’entre eux, que ça vous aide à relativiser.
*Sauf que ces jeux video ont à peu près 1 an. Je ne réussirai pas à trouver autant de jds marquants sortis cette année. Et encore je n’ai cité que les plus marquants, mais j’ai eu bien d’autres coups de coeur tout aussi forts cette année mais de goûts disons plus personnels. Et je ne compte plus si je m’étais autorisé à piocher dans les 5 dernières années… dans les 10 dernières années…
Donc décidément non, le jeu vidéo n’est pas mort. C’est l’industrie qui est moribonde.
Toute ressemblance avec… blablabla