J’ai fait les deux jours, dans la joie et la bonne humeur. Ai pas réussi à essayer tout ce que j’avais en tête, mais c’est le jeu. Débriefing :
- Indian Summer (oui, j’ai plusieurs trains de retard) : je n’avais pas prévu d’y jouer, mais l’occasion se présentant… je voulais savoir depuis un moment s’il était mieux que Patchwork. Nous y avons joué à quatre, avec ma moitié, un joueur et le démonstrateur. J’aurais tendance à dire : c’est plus beau et c’est aussi bien que Patchwork. L’interaction et la réflexion se déplacent de la “rivière” de pièces à l’observation de la réserve de pièces des adversaires et de l’état de remplissage de leurs différentes zones de terrain. Patchwork me semble plus “purement” centré sur l’aspect Tétris, alors qu’Indian Summer m’a semblé plus mettre l’accent sur la gestion des effets (noisettes, baies, champignons, plume, qui permettent vraiment de se refaire - j’étais à la traîne pendant les deux tiers de la partie pour finir finalement 2ème, merci les écureuils !). Très agréable. J’y rejouerai avec plaisir. Mais crainte de m’en lasser vite, donc pas d’achat.
- Codenames Duo : faute de pouvoir jouer à Decrypto, nous nous sommes rabattu sur cette version à deux que je n’avais pas encore essayée. Vlaada garde le compte à rebours mais supprime l’asymétrie fixe des rôles et donc le temps d’attente pour celui qui doit deviner, avec cette idée évidente : chacun fait deviner et devine à tour de rôle des mots différents, dont certains se recoupent. On passe de 7 à 9 tours, de 8 mots à faire deviner à 15 ! La tension n’est pas plus forte que dans le jeu original à deux, mais le plaisir/effort intellectuel est mieux réparti à l’échelle d’une partie entre les deux joueurs. Mais bon… pas sûr d’avoir très envie de jouer à ça à deux ; il manque l’excitation de coiffer au poteau des adversaires réels. Codenames Duo est une variation intelligente d’un jeu intelligent, mais qui achève de faire perdre toute “ambiance” à ce jeu. Et puis c’est quand même fort laid.
- Upstream : petit jeu que j’avais repéré en amont (haha !), grâce à son identité visuelle tranchée, son matos sympa et son thème original. Nous sommes des saumons qui affrontons les dangers de la chaîne alimentaire pour remonter une rivière où frayer tranquillement. On se déplace en nageant ou en sautant par-dessus les obstacles (rochers, tourbillons, hérons, ours, aigles qui se “servent au passage”, chacun à des conditions différentes, faisant passer nos pions saumons de 2 à 1 à 0 spécimens !), en utilisant ses 5 points d’action. À chaque fin de tour, on pioche trois tuiles rivières qu’on place en amont et on enlève les 3 tuiles d’aval. Si des pions saumons sont encore sur ces tuiles, ils sont perdus. Il faut donc avancer. Or, il ne peut y avoir plus de deux pions par tuile (quelle que soit leur couleur). Vous voyez le topo ? Du blocage, de la course (arriver le premier a une incidence sur le scoring), de la concision, du fun. Excellent petit jeu ! Pixie n’en vendait pas sur son stand, mais il se trouvait sur ceux des boutiques. Très recommandable.
- US Telegraph : ne connaissant pas Attika dont ce jeu est la rethématisation, adorant Taluva du même auteur, je me devais d’essayer. Jeu de placement tactique et de blocage, ainsi que de chaînage. Le thème, on s’en fout un peu, mais disons qu’il se tient. Double condition de victoire : être le premier à relier 2 villes ou le premier à poser tous ses bâtiments, contre ressources. Deux possibilités par tour : ou on pioche des jetons bâtiments dans sa réserve perso et si on peut on les place immédiatement sur le plateau modulaire commun (un jeton posé bénéficie des ressources visibles adjacentes), sinon on les stocke sur son plateau personnel. Ou bien on construit jusqu’à 3 bâtiments stockés, en défaussant des cartes ressources de sa main, qu’on peut par ailleurs piocher si on renonce à ses actions, etc. Y a des “familles” de bâtiments et en les posant dans un certain ordre, on obtient des réductions. Prime à la contiguïté. Quand une pioche de jetons d’un joueur est finie, on rajoute une tuile au plateau commun, offrant des opportunités de déblocage…
C’est remarquablement simple et malin ; il faut tenir l’équilibre entre prendre position à bas coût sur le plateau commun, temporiser et piocher en vue d’accélérer ensuite, et savoir sacrifier temporairement son développement pour bloquer un joueur trop pressé de relier deux villes. Un jeu élégant, assurément. Mais je n’ai pas trouvé ça supérieur à Suprême Taluva.
Les plateaux individuels m’ont paru un peu chargés visuellement ; il est difficile de ce fait de bien lire les coups en préparation chez les autres joueurs. Enfin, le hasard est assez présent. Dans Taluva, la nature des tuiles volcan piochées n’a pas de gros impact sur le développement de son jeu, alors qu’ici, une mauvaise main de cartes ou des bâtiments piochés dans un ordre défavorable vont nous mettre dedans. Après, ça crée de l’incertitude, ça a son charme…
Le deuxième jour en fin de journée, on cherchait à quoi jouer avant la fin avec des copains, une table était dispo ; on y a rejoué. Partie torchée (2 villes reliées) sans blocage, et donc inintéressante. Cela me conforte dans l’idée que ce jeu révèle tout son sel quand la partie s’installe. Il faut donc bloquer très vite les joueurs fonceurs et viser le long terme en trouvant la bonne séquence d’action pour prendre les autres de vitesse, et là, la présence des ouvriers bonus prend tout son sens. Pas le coup de cœur attendu, mais rien que d’en parler me donne envie d’y rejouer, alors qui sait ?
- Décrocher la lune : le jeu du festival qui a eu l’effet wahou pour moi. Comme quoi, on cherche des gros machins complexes, et il suffit parfois de si peu. Il m’avait accroché l’œil l’année dernière, j’avais trouvé ça chouette à regarder, mais je ne m’étais pas attablé et puis je n’y ai plus repensé. La direction artistique échappe miraculeusement au kawaï familialo-débilosse en vigueur partout ailleurs dans les jeux de ce registre/format ; c’est beau, suggestif et sobre à la fois (thème universellement évocateur, échelles et larmes en bois, boîtage recouvert de velours noir…). Ma moitié insiste pour que nous l’essayions. Et là, plaisir immédiat.
Au fond, c’est le mikado réinventé, mais de quelle manière ! Le fait de bâtir une structure ascensionnelle aux formes erratiques, magnifiques d’absurdité, d’avoir des consignes de pose aléatoires et parfois peu arrangeantes, et de jouer l’un contre l’autre (on choppe une larme de Lune chaque fois que ça se casse la gueule quand on pose. Le premier à 3 larmes perd.), tout cela aboutit à un jeu simplissime mais immersif, sensoriel et tendu. On souhaite à la fois voir jusqu’où cette construction impossible peut aller (c’est Icare, Babel et l’Échelle de Jacob réinventés par un Magritte mâtiné d’Escher…!), et en même temps on essaye de miner le terrain pour celui qui doit poser après soi, en étant instable mais pas trop. Et quand l’autre parvient à trouver un endroit où se poser malgré tout sans que rien ne s’effondre, on est sincèrement esbaudi.
Les jeux qui nous renvoient, adultes que nous sommes, à une sensation proche de celle que l’on pouvait avoir en jouant enfant, sont RARISSIMES. Même Dixit ne m’avait pas fait cet effet (trop de langage !), c’est dire ! C’est chaleureux, c’est doux, c’est touchant (oui) ! Achat immédiat.
- Suspend : jeu d’équilibre avec des tiges métalliques crochetées aux embouts de couleurs. La pose est déterminée par un dé qui annonce la couleur. A côté de Décrocher la lune, c’est sacrément dépourvu d’esprit, c’est-à-dire d’esthétique et d’imaginaire, de piment et de rejouabilité. Un jeu sans âme.
- Museum : la partie confirme mon intuition, j’ai bien fait de pledger ce jeu ! Le thème, la réalisation, la mécanique, le feeling général : tout est séduisant. J’aime quand un jeu cache une vraie profondeur et des dilemmes sous une procédure de jeu simple. C’est le cas ici : se développer ou bloquer l’autre ? L’idée des fonds communs, qui permettent la circulation des cartes entre les joueurs est excellente. Cela induit une interaction forte, sans être agressive pour autant.
Le thème ici donne au principe de collection sa cohérence optimale et définitive, jusqu’à introduire en toute logique une dimension de spatialisation des cartes dans notre musée. Cet aspect puzzle des cartes (qui me fait tant aimer Arboretum) achève pour moi de placer Museum au-dessus des autres jeux de collection (du moins ceux que je connais). Aucun des joueurs n’a pu remplir sa grande galerie en version simple, comme quoi, y a de la marge de progression !
Par ailleurs, ce sera un détail pour certains mais j’ai apprécié le fait que le jeu prenne au sérieux son sujet/thème en proposant un petit texte historico-explicatif sur chaque carte objet.
Je ne vois qu’un seul défaut pour le moment : le temps d’attente entre ses tours, qui peut être un peu longuet. Je pense que le nombre de joueurs est optimal à deux ou trois. J’ai bien fait de ne pas prendre l’add-on cinquième joueur ! ^^
- DomiNations : eh oui, j’ai réussi le doublé. 
Putôt que de proposer un dérivé édulcoré de TTA comme Nations, les auteurs ouvrent ici une véritable voie nouvelle au jeu de civ. C’est très excitant !
Ai aimé la dimension de casse-tête spatial lié à la pose de tuiles triangulaires (faire des triplettes de couleurs, où placer ses villes, créer des possibilités de “locus”, etc.), redoublée par la connexion des “nodus” présents sur les cartes Science. Je n’ai pas eu le temps de bien analyser les possibilité de l’arborescence technologique… Nous n’avons joué qu’un âge, ce qui nous a privé de la sensation de montée en puissance des jeux de civ, et nous n’avons pas tenu compte des objectifs de fin de partie relatifs à tel ou tel peuple. J’ai donc un peu joué à l’aveuglette, sans vision de long terme. Mon plaisir a été quelque peu amoindri par des défauts de visibilité (jetons villes, merveilles, couleurs de gemmes/nodus trop proches) et une absence d’illustrations immersives, mais j’ai bien conscience qu’il s’agissait d’une version de travail.
Conceptuellement, je suis séduit par les parti-pris des auteurs : temps long mesurable (une tuile = 200 ans. 15 tours = 3000 ans, bim !), absence de brutalité martiale (qui apporte à TTA toute sa saveur, il faut bien l’admettre !), choix de développements accessibles à tous les joueurs (pas de privations de cartes possibles), semi-collaboration dans la construction des Merveilles, rebond positif lors des passages d’un âge à l’autre (si on est majo dans un domaine, on prend la tuile “rôle” afférente et bénéficie d’un bonus pour le nouvel Âge. Tout le contraire de TTA, qui accentue la pression sur les joueurs à la fin de chaque Âge, de façon soustractive). En fait c’est ça : la plus grande originalité de DomiNations pour moi pour l’instant c’est de proposer un jeu de civilisation totalement exempt d’agressivité et de contraintes punitives. De ce point de vue, les auteurs ont réussi leur coup : proposer un anti-TTA qui semble pouvoir rivaliser en terme de variété des chemins vers la victoire.
Ne manquent pour l’heure que les leaders. Mais je ne doute pas que les auteurs ont travaillé là-dessus… alors rendez-vous sur KS !
- Capital : je ne suis pas fan des jeux de construction de ville (je trouve Beetwen two cities terne et sans grand intérêt par exemple) mais je me suis laissé entraîner par un copain amateur de la Polish touch (et puis j’aime beaucoup K2 et Race to the Rhine, dont j’ai loupé l’auteur, présent sur le festival ; deux excellents jeux polonais trop sous-estimés). Et je dois dire que j’ai été séduit. Le jeu prend à rebours les habitudes de ce genre de jeu, type “plus grosse est ta zone, plus tu vas marquer des points”, en privilégiant justement un scoring à base de diversité (une zone d’une case ou de dix case score pareil - sauf exception). Le draft de tuiles fonctionne bien, avec des mini-objectifs de majo pour remporter une tuile avec un petit pouvoir à la fin de chaque manche, ce qui donne d’agréables rebonds à la partie. C’est nerveux, et contrairement à tous les jeux de construction de villes, c’est intelligemment ancré thématiquement (on construit Varsovie, du XVIIe siècle à aujourd’hui, avec des bâtiments réels). L’équilibre entre contraintes et moyens de marquer des points a maintenu mon intérêt tout du long. Introuvable en France. L’équipe de l’Institut Culturel de Pologne est très sympa. On est étonné qu’il n’y ait pas plus de pays étrangers pour suivre leur exemple.
- Inis (+extension) : alors que mes copains voulaient essayer Aeon’s End sur le stand de Matagot (moi, les deckbuilders et le medfan m’emmerdent, alors…), je suis allé lorgner du côté d’Inis, jeu que je possède et que j’adore, afin de voir si je pouvais glaner des infos sur l’extension en préparation. On me dit qu’elle est montrable mais pas jouable. Je jette un œil sur le nouveau principe de saisonnalité (version anglaise, allez savoir pourquoi !), les 4 nouvelles cartes actions liées à l’ajout d’un cinquième joueur (couleur noire - peut-être non-définitive) ainsi que quelques nouvelles cartes “récit épique”. Je papote avec un joueur de Rising Sun qui veut essayer ce jeu. Je ne me fais pas prier ; la table se libère, je plonge.
Partie à quatre, avec le démonstrateur et deux novices. J’insiste pour intégrer l’extension. Je l’emporte grâce à une bonne coordination autour d’un récit épique issu de l’extension, bien fun à jouer (j’ajoute un territoire vide où je veux, sans intervention du Brenn, je désigne un territoire occupé, tous les joueurs qui s’y trouvent, en commençant par celui après moi peuvent déplacer un clan vers le territoire nouvellement révélé, moi y compris, en dernier, sans provoquer de conflit. Cela me fait passer à six territoires, me permettant d’avoir une 2ème condition de victoire, contre le Brenn qui n’en avait qu’une).
Je n’ai quasiment pas utilisé les effets et possibilités des quatre saisons propres à l’extension ; ils m’ont paru être surtout là pour apporter encore plus de souplesse au jeu (échanger une carte saison contre une carte récit épique, par exemple), introduire de petites contraintes (et donc un certain timing - par exemple oubliez l’hiver pour lancer une grosse invasion !) et permettre des rééquilibrages pour les joueurs en mauvaise posture (piocher une carte récit épique si on est le joueur avec le moins de cartes Avantage en fin d’Assemblée…).
Une des cartes Action à cinq joueurs va encore augmenter l’importance des jetons Exploit, ce qui va réduire drastiquement le temps de jeu. Du moins, on peut le supposer. À ce titre, il y a un ajout de règle qui va sans doute pas mal changer la physionomie des fins de partie : quand une égalité entre prétendants n’est pas résolue à l’Assemblée et que le jeu continue, chacun des deux prend un jeton exploit. Ça va accélérer les fins de parties, où les joueurs en tête ont parfois tendance à se tenir par la barbichette, pendant que les retardataires les rattrapent, le chaos s’installant alors en maître, chacun pouvant gagner, chacun étant suspendu au hasard de la donne. Cela va-t-il avoir pour effet négatif de rendre les fins de parties plus linéaires, plus win-to-win ?
Difficile de se faire un avis arrêté ; les choses ont encore l’air d’être en travaux.
Je voulais essayer aussi Black Angel (mais la vue du plateau over-criard m’a découragé), Decrypto (qui semble réussir l’exploit de détrôner Codenames, paraît-il…), Rising Sun, Shadows Amsterdam, HOPE, l’extension de M. Jack Pocket (mais en la regardant de près, j’ai plus eu envie), A fake artist goes to New York et quelques autres découverts sur place comme Sagrada, Turbulences, Orbis, ou Ganymède, mais on ne peut pas tout faire. Next time.