[Next War : Korea]
N’ayant pas trouvé trace de cette excellente série, je me permets une présentation de ces jeux pour les amateurs de conflits contemporains à l’échelle opérationnelle. Cette fiche est également disponible sur le forum Strategikon.
MàJ au 17.11.2020.
The time is… tomorrow !
Plutôt que de rejouer les guerres et les batailles connues de l’histoire, la série Next War propose de simuler, à l’échelle opérationnelle, un hypothétique conflit conventionnel contemporain basé sur des “what if” inspirés par la géopolitique de notre XXIème siècle. Et si la Chine décidait de s’emparer de Taïwan ? Et si les escarmouches entre l’Inde et le Pakistan dégénéraient en un conflit global ? Et si les russes souhaitaient envahir la Pologne ? Ce sont, entre autres, les divers scénarios explorés par les jeux de la série, héritière de Crisis: Korea 1995, jeu sorti en 1992 déjà chez GMT. Le système est l’oeuvre de Gene Billingsley (déjà auteur de Crisis) et de Mitchell Land, deux créatifs ayant une bonne expérience du wargame (et un passé militaire pour Land), et s’inscrit dans la lignée des “gros” wargames, avec une complexité allant de moyenne (5 sur 9 sur l’échelle GMT) pour le jeu standard à haute (8 sur 9 sur l’échelle GMT) pour les règles avancées. De quoi effrayer de prime abord…
Pour rassurer toutefois ceux désireux de se lancer, je ne suis ni un grand joueur de wargame, ni un anglophone accompli; les règles de base sont accessibles dès lors que l’on n’est pas complètement étranger aux “jeux de guerre” et l’anglais employé ne pose pas de problème majeur. Bien qu’épaisses, les règles sont bien écrites et accompagnées de nombreuses notes de conception expliquant les partis pris des auteurs sur tel ou tel mécanisme. Une lecture plutôt agréable donc…
Inside the box…
Chaque jeu de la série se présente sous la forme d’une boite de taille moyenne (on peut y mettre deux casiers de rangement de la marque) et le matériel est dans les standards qualitatifs de GMT (donc plutôt bons selon mes critères), sans fioriture particulière; les habitués des jeux de cet éditeur seront en terrain connu ! Le code couleur des boites est un ocre brun un peu flashy (j’aurais préféré un peu plus sobre), et la couverture opte pour des vignettes présentant des photographies des troupes et matériels employés par les belligérants.
A l’intérieur, on retrouve invariablement deux livrets de règles (l’un contenant les règles standards et avancées, l’autre les règles spécifiques au conflit simulé), une dizaine d’aides de jeux (papier cartonné et glacé) en couleur (le nombre de tableaux fait peur la première fois mais à l’usage, ces aides se révèlent très pratiques et exhaustives), des “pistes” supplémentaires (pour gérer par exemple les forces aériennes ou la réaction de l’ONU), des sachets en plastique pour faciliter le rangement (j’aime ce genre d’attention !), un dé à dix faces, et bien entendu une carte et des pions.
Les cartes sont de bonne facture, agréables au toucher (là encore, c’est glacé), et les hexagones relativement grands (les pions ne débordent pas sur leurs voisins). Avis personnel, les couleurs sont un peu “ternes”, mais en revanche la lisibilité est optimale, et ce malgré un grand nombre d’informations portées dessus; villes (de différentes tailles), routes et autoroutes, fleuves et autres cours d’eau, frontières, bases aériennes (de l’aérodrome à l’aéroport international), usines de production d’armes, dénivelés, forêts, etc… l’iconographie est parfaitement pensée et on se repère très facilement.
Côté pions (environ 700 par jeu), on adopte les symboles OTAN pour les troupes terrestres. Le fond coloré du pion indique son pays d’appartenance (à noter que le code couleur reste le même pour toute la série, les américains seront ainsi toujours en vert olive par exemple), et la couleur sous le symbole de type indique quant à elle la formation d’origine (il est ainsi très aisé de repérer une attaque réunissant des unités de deux Corps différents par exemple). Les unités aériennes, les hélicoptères de combat, ou encore les navires bénéficient d’une silhouette noire sur fond à la couleur de leur pays. Là encore, même sur les pions les plus “chargés”, aucun soucis de lecture.
Une base très classique…
La base du système Next War est d’un classicisme éprouvé. Le tour de jeu se compose grosso modo de trois phases; une phase “administrative” (détermination de la météo, de la domination aérienne, du ravitaillement des unités, etc.), une phase “d’action” de type “mon tour / ton tour”, et une phase d’entretien. Les unités terrestres disposent de trois valeurs principales (Attaque-Défense-Mouvement), auxquelles viennent s’ajouter une valeur d’empilement et une valeur d’efficacité. Les déplacements coûtent un certain nombre de points de mouvement selon la nature du terrain traversé, et sont bien entendu limités par le “stacking” et les zones de contrôle des unités ennemies.
Les combats sont tout aussi classiques; on établit le ratio valeur d’attaque / valeur de défense (arrondi en faveur du défenseur), et l’on va croiser le score du jet d’1d10 avec le ratio calculé et la nature du terrain où l’on attaque sur la table adéquate; les résultats se traduisent par des pas de perte pour l’attaquant et / ou le défenseur, et une éventuelle obligation de retraiter pour ce dernier. Bien entendu, il y a de nombreux paramètres à prendre en compte et qui vont influer sur les valeurs d’attaque ou de défense (attaquer à travers un fleuve, défendre en zone urbaine, etc.), sur la colonne de lecture du résultat (la qualité des unités engagées, une éventuelle surprise, etc.), ou encore sur le score du dé (soutien aérien, attaque à plusieurs formations, etc.). Toutefois, grâce à l’aide de jeu contenant la table de combat et récapitulant tous les modificateurs, même les cas les plus complexes prendront moins d’une minute pour être résolus (le plus difficile étant encore de faire une division !).
Il est à noter qu’aucun engagement n’est à prendre à la légère, les combats étant particulièrement létaux à Next War. En effet, les auteurs estiment qu’une guerre moderne serait forcément courte et dévastatrice du fait des technologies militaires avancées, de la qualité des soldats, et de la puissance de destruction des armements actuels. En pratique, cela se traduit sur la table de combat par très peu de résultats “neutres”; les unités subiront quasi systématiquement des pertes !
… renforcée par des mécanismes originaux !
Au delà de ces “fondations” communes à de nombreux wargames, Next War propose également des originalités bien trouvées et qui lui donnent tout son charme. Je ne vais en détailler que quelques unes, mais il y en a d’autres…
- L’Initiative: les tours de jeu peuvent être contestés (auquel cas on joue une séquence de jeu “classique”), ou l’un des camps peut avoir pris l’initiative. Si tel est le cas, la séquence de jeu s’enrichit d’une phase “d’initiative” où le camp qui la possède va pouvoir effectuer des mouvements et des combats supplémentaires. Cet avantage a pour but de simuler le “momentum”; ce “truc” difficile à définir mais qui peut faire qu’une armée va aller de succès en succès, poussée par un formidable élan. Toutefois, pour conserver l’initiative (ou pour la (re)prendre), il faudra marquer un certain nombre de points de victoire durant son tour, obligeant ainsi chaque joueur à prendre des risques pour ne pas laisser la main à l’adversaire. En jeu, cela oblige à une guerre de mouvement pour toujours essayer de prendre l’avantage, et force à réfléchir à chaque offensive pour capturer les objectifs importants, tout en protégeant ceux acquis. Le rendu est vraiment excellent, autant dans la dynamique produite lorsque les événements favorables s’enchainent que lorsque le conflit s’enlise !
- Les opérations de nettoyage: lorsque l’un des belligérants s’empare d’une installation ou d’une ville ennemie, ses troupes doivent procéder à une opération de nettoyage afin de définitivement sécuriser la zone. Concrètement, les unités dédiées à cette tâche se voient attribuer un pion “cleaning” dont la valeur est masquée jusqu’à la fin du tour; ainsi, le joueur ne peut savoir si les forces engagées seront suffisantes pour vaincre les dernières poches de résistance. “Sacrifier” ses meilleures unités pour assurer le contrôle d’une zone, c’est s’en priver pour les offensives à venir. Mais a contrario, laisser une trop faible force sur un territoire fraichement conquis, c’est prendre le risque de subir des pertes et d’y rester coincé pendant plusieurs jours, voir de devoir détourner des troupes supplémentaires pour définitivement vaincre les derniers insurgés. A cette échelle de jeu, je crois que c’est la première fois que je vois cela simulé.
- Les forces spéciales: qui dit conflit contemporain dit forces spéciales, mais ici, pas de pion aux caractéristiques indécentes pour représenter ces soldats d’élite. Au contraire, à chaque tour de jeu, les joueurs disposent d’un certain nombre de pions “SOF” (Special Operation Forces) qu’ils vont pouvoir dépenser pour réaliser des opérations précises comme neutraliser les communications adverses, couper le ravitaillement, éliminer les défenses anti-aériennes, diminuer la résistance sur un objectif, etc. Leur action pourra désorganiser une offensive adverse ou au contraire favoriser la progression de leurs alliés. Une belle idée de game design qui rend ainsi à ces hommes leur rôle premier; agir loin derrière les lignes ennemies.
Un peu plus de chrome…
Bien entendu, Next War a pour ambition de simuler tous les aspects d’un conflit contemporain; cela se fait au prix d’une complexité assez élevée lorsque on utilise l’intégralité des règles, mais le plaisir de jeu est bel et bien présent une fois les mécanismes acquis (et encore une fois, les nombreux tableaux récapitulatifs sont des modèles d’exhaustivité; un simple coup d’oeil permet bien souvent de se remémorer la règle).
Ainsi, toutes les formes de déplacement (de la simple marche au transport aérien, en passant par les troupes aéroportées, les parachutistes, ou encore les assauts amphibies) sont possibles. Si la domination des cieux, essentielle dans un conflit moderne, est gérée de manière abstraite dans les règles standards (chaque camp bénéficiant d’un pool de “air points” à chaque tour à assigner pour escorter ses missions aériennes ou pour soutenir les combats au sol), elle fait l’objet d’une phase de jeu (voir même d’un jeu dans le jeu) avec les règles avancées; il faudra assigner ses avions disponibles aux différentes missions (interdiction, interception, soutien au sol, etc.) en tenant compte de leurs caractéristiques et de la météo (les avions les plus anciens ne pouvant voler par “gros” temps). Il en est de même pour la marine, simplement représentée par des points dans le jeu de base, et totalement “jouable” avec les règles complètes.
Que dire, si ce n’est qu’il sera également possible de tirer des missiles balistiques, de livrer une guerre électronique à l’adversaire, et même dans certains scénarios de faire exploser une charge nucléaire. Difficile de faire plus complet !
En conclusion:
Vous l’aurez compris, je suis assez fan de cette série qui aborde des thèmes que l’amateur de techno-thrillers que je suis affectionne. Le matériel est à la hauteur de ce que produit habituellement GMT (donc plutôt dans le haut du panier), et les règles standards sont vraiment accessibles. La courbe d’apprentissage est toutefois élevée pour en maitriser tous les aspects, mais cet effort sera récompensé par des sensations uniques en matière de simulation, et l’impression d’assister en direct à un conflit du XXIème siècle.
La série actuellement:
Korea: Premier jeu de la série, et donc (ré)édition améliorée de l’ancêtre de 1992, il met en scène l’invasion de la Corée du Sud par son voisin du Nord. Pas forcément l’opus le plus équilibré, le coréen du nord étant largement dominateur en début de partie, avant que la tendance ne s’inverse avec l’intervention des américains. A noter que le livret spécifique remit au goût du jour en 2017, et disponible gratuitement (voir les liens ci-dessous), propose pas moins d’une dizaine de scénarios (à la complexité et à l’ampleur croissante).
Taïwan: Peut être l’opus le plus complet de la série car donnant une importance égale à toutes les armes, notamment les forces navales (difficile en effet d’envahir une île sans le contrôle des mers), il a pour thématique la conquête militaire de Taïwan par la République Populaire de Chine. Toute la difficulté pour le joueur chinois sera de prendre pied sur les côtes taïwanaises et d’y établir une solide tête de pont avant que la réaction internationale ne se traduise par l’envoi d’une force d’opposition, principalement conduite par les américains (avec lesquels les chinois trouveront à qui parler).
India-Pakistan: D’une offensive très localisée pour le contrôle du Cachemire à une guerre totale conduisant les indiens aux portes d’Islamabad, en passant par une opération internationale pour sécuriser l’arsenal nucléaire pakistanais tombé aux mains d’extrémistes, le troisième jeu de la série est peut être le plus facile pour débuter. Il ôte en effet toute la composante navale, et offre un théâtre d’opération relativement plat sur une grande partie de la carte (la région du Cachemire étant l’exception). Qui plus est, les forces françaises y font leur (timide) apparition.
Poland: Et si les pires scénarios de la Guerre Froide se concrétisaient demain ? Premier jeu de la série à quitter l’Asie pour nous emmener vers des contrées plus connues, la carte nous offre un aperçu de l’Europe de l’Est et des forces “alliées” plus proches de nous; américains (bien sûr !), mais surtout français, italiens, espagnols, anglais… tout cela face à la puissante armée russe. Il ne sera pas simple de coordonner toutes ces unités de nationalité différente pour résister à l’invasion !
Vietnam: Retour en Asie pour le cinquième jeu de la série. On retrouve dans le rôle des belligérants les forces chinoises, déjà mises à l’honneur dans Taïwan. Cette fois ci, l’Empire du Milieu cherche à étendre son hégémonie vers le sud en s’en prenant militairement à son voisin vietnamien pour s’ouvrir les portes de la mer de Chine méridionale. Les chinois parviendront ils à remplir leurs objectifs ou la jungle nord-vietnamienne se révèlera t’elle à nouveau un piège mortel pour les soldats étrangers ? A noter que cet opus pourra se combiner avec Taïwan et Korea pour former ce qui pourrait être le front du Pacifique dans une hypothétique troisième guerre mondiale.
Note: Les suppléments suivants (qui contiennent des règles nouvelles et alternatives, de nouveaux pions, etc.) ne sont pas des jeux à part entière et sont disponibles gratuitement sur l’excellent OneDrive (voir les liens ci-dessous). Toutefois, GMT propose pour une somme modique (une vingtaine de $) le supplément (et notamment les pions) en qualité “pro”.
Supplement #1: Ce premier supplément introduit les règles pour la guerre électronique (qui se gère un peu comme les forces spéciales, avec un certain nombre de marqueurs à attribuer chaque tour), et des règles alternatives pour la gestion des forces aériennes et des sous-marins (un peu sous évalués selon l’auteur). Sont également présents des événements aléatoires pour Taïwan et des règles optionnelles.
Supplement #2: Ce supplément se consacre aux mouvements insurrectionnels dans un pays fraichement conquis. En plus des règles pour gérer ces oppositions asymétriques, le supplément contient quatre scénarios jouables sur les opus Korea, Taïwan et Poland. Des règles alternatives sont également proposées pour prendre en compte les dernières évolutions en terme de matériel militaire, et ce pour tous les jeux de la série.
Liens utiles:
La page consacrée à la série sur le site de GMT
Le OneDrive contenant de très nombreuses ressources
Next War Series – Règles en VF
Aide aux missions aériennes - VF par Vince Eagle (nécessite un compte BBG)
CR de parties:
Piège en haute montagne (scénario Kashmir -India-Pakistan-, mécanismes standards détaillés)