[Politique] De l'abstentionnisme

Pour éviter de polluer plus longtemps le sujet “Elections régionales” avec l’éternel débat sur l’abstentionnisme et le vote blanc (un maronier politique ttcien), j’ouvre un sujet

En effet, je ne suis pas un abstentionniste convaincu, je suis persuadé qu’on cautionne au moins autant en ne votant pas qu’en votant (puisque qui ne dit mot consent) mais je suis tombé au hasard d’une lecture sur le passage suivant qui, je trouve, fait réfléchir.

Celui qui, dans notre société se tient sur la réserve, ne participe pas aux élections, tient les débats politiques et les changements de constitution pour superficiels et sans véritable prise sur les véritables problèmes de l’homme, celui qui sait bien que la guerre d’Algérie l’atteint dans sa chair ou celle de ses enfants, mais ne croit pas que déclarations, motions et votes y changeront quoi que ce soit, celui-là sera jugé le plus sévèrement par tous. C’est le véritable hérétique de nos jours. Et la société l’excommunie comme l’Eglise médiévale le sorcier. Il est un pessimiste, un stupide (car il ne voit pas les relations très profondes et secrètes du jeu politique), un défaitiste qui se courbe devant la fatalité, un mauvais citoyen : assurément si tout va mal, c’est à cause de lui, car s’il faisait preuve de civisme, le vote serait revaloriser (il ne suffit pas de 80% des votants, non, il faut 80%) et la démocratie serait effective ! Les jugements pleuvent sur lui, autant jugement d’efficacité que jugements moraux, et même un peu psychologique (car l’apolitique est forcément un peu paranoïaque et schizophrène). Enfin, condamnation dernière en notre temps : ce ne peut être qu’un réactionnaire.
Nous pressentons par là que le tout de l’homme est aujourd’hui jugé en fonction du politique, qui se trouve investi d’une valeur dernière. Tout est devenu politique dans notre jugement, mais en plus le politique est affecté d’un signe ultime. Il reçoit un contenu global, et en plus, au-delà, il n’y a rien. Le politique ne peut être jugé que par le politique. On peut dire sans doute que la politique doit être au service de l’homme ou de l’économie, il n’en reste pas moins que c’est la grandeur de l’Etat, sa capacité à organiser, et la participation de l’homme à la collectivité par la voie politique qui sont les symboles derniers de notre temps, substitués aux symboles religieux.

Ca date de 1977, c’est de Jacques Ellul dans L’illusion politique.

Moi, j’avoue que j’ai un mal fou à comprendre le dernier paragraphe … :shock:
C’est quoi une “valeur dernière” ? ca veut dire quoi “Il reçoit un contenu global” … Chuis peut-être pas réveillé, mais vraiment je comprends rien au dernier paragraphe…

J’aurai du zapper le dernier paragraphe qui est une conclusion plus générale. Je crois que Ellul veut poser que le politique (la sphère des intérêts publics gérés et représentés par l’Etat, pour reprendre sa définition) a pris,depuis le XIX° siècle) une place absolument prépondérante dans notre échelle de valeur : on ne peut juger le politique que par le politique et on juge tous les aspects de la vie ou de l’homme par le politique.

J’ai pris un risque en citant ce texte, je viens de commencer le bouquin, mais c’est vrai que ça a fait tilt par rapport au débat “régionnales”

Je ne connaissais pas ce texte d’Ellul, ayant d’autres références sur ce sujet, comme par exemple “Le cens caché” de Daniel Gaxie.

La perception de l’abstentionniste décrite par J. Ellul me paraît très exagérée, et d’ailleurs, qui voit réellement les abstentionnistes ainsi ? Certes, dans les micro-trotoires post-électoraux, on entend des gens dire qu’il est scandaleux de pas aller voter, que nos “ancêtres” se sont battus pour cela, qu’encore aujourd’hui, des gens se font encore tuer pour pouvoir voter, etc…mais dans le milieu “intellectuel” et politique, l’abstentionnisme ne suscite (en tout cas publiquement) pas de telles critiques. Des interrogations, oui, mais souvent assorties d’explication qui exonèrent en grande partie les non-votants de leur responsabilités de citoyens.
A ce sujet, il me semble qu’il y a 3 aspects qui sont souvent avancés pour expliquer l’abstention :

- Une certaine défiance vis à vis du personnel politique (“Pfff ! de toutes manières, ils sont tous pareils : Une fois élus “ils” font ce qu’ils veulent, ne demandent plus notre avis, ne viennent plus nous voir, tiennent pas leurs promesses, profitent du pouvoir et c’est pas eux qui me feront bouffer…, ah ! d’ailleurs la soupe doit être bonne tient, si ils se battent comme ça pour les places ! la gauche, la droite, c’est pareil, etc…”

- Un problème de “compétence” : “Oh moi, j’y comprend rien à tout ça, la différence entre la gauche, la droite, département, région, l’Europe, qui fait quoi, c’est compliqué, j’ai pas l’temps de m’occuper de tout ça”…

- Une perte de confiance dans l’efficacité de l’action politique : "mais qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent tes politiques là ? Tout est affaire de gros sous maintenant "…bref, l’idée que le politique a perdu le contrôle de l’économique, donc que les responsables politiques ne servent plus à grand chose finalement. (et c’est, je crois, une idée qui prédomine aujourd’hui chez beaucoup d’abstentionnistes).

Certains, cyniques, pourraient même dire que c’est très bien comme cela : moins les citoyens s’interessent aux affaires publiques, mieux c’est pour l’ensemble des “compétiteurs” du champs politique.
Par rapport à ce court extrait, je suis d’accord toutefois sur un point : en effet, tout peut être considéré comme politique, même des choix anodins de la vie courante, et donc on pourrait soutenir que l’apolitisme, parfois avancé par des abstentionnistes, n’existe pas. Mais c’est là une perception des choses parmi d’autres.

Dans le discours public, on voit parfois ressortir une forme de culpabilisation des responsables politiques : “Les français ne sont pas venus voter dimanche, parce que l’on a pas su les mobiliser. Trop de querelles de personnes, et pendant ce temps, on parle pas des programmes, alors les citoyens nous le font savoir en préférant aller à la pêche”…Un mea culpa sincère ? j’ai la faiblesse de penser que non, mais il est vrai aussi que ce n’est pas en stigmatisant les abstentionnistes qu’on les fera venir aux urnes.
Et c’est la raison pour laquelle, à la différence d’Ellul, je ne vois pas (dans le discours public encore une fois) une condammation de l’abstentionnisme comme nous la présente l’auteur.

Le dernier paragraphe, à moi aussi, me semble un peu obscur…enfin, j’en saisis mal la signification quoi.

attention quand même, le texte date de 1977. Je l’ai repris ici à la lumière de la discussion avec Adel10

Et pour tout dire, il me semble pointer quelque chose qui est assez vrai pour moi et pour ma vision de l’abstention

Eric dit:[...]
Jacques Ellul dit:[...]On peut dire sans doute que la politique doit être au service de l'homme ou de l'économie, il n'en reste pas moins que c'est la grandeur de l'Etat, sa capacité à organiser, et la participation de l'homme à la collectivité par la voie politique qui sont les symboles derniers de notre temps, substitués aux symboles religieux.

[...]

à ce propos, Rousseau n'y va pas par 4 chemins dans sa quasi conclusion de "Du contrat social"
http://lyc-sevres.ac-versailles.fr/p_ro ... ligion.pdf
JJ Rousseau dit:Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’Etat quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois.
Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois : voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul, c’est l’intolérance : elle rentre dans les cultes que nous avons exclus. (comprendre ici : l'intolérance est un dogme, et ce dogme sert à exclure des cultes)
Ceux qui distinguent l’intolérance civile et l’intolérance théologique se trompent, à mon avis. Ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés ; les aimer serait haïr Dieu qui les punit : il faut absolument qu’on les ramène ou qu’on les tourmente.
Partout ou l’intolérance théologique est admise, il est impossible qu’elle n’ait pas quelque effet civil ; et sitôt qu’elle en a, le Souverain n’est plus Souverain, même au temporel ; dès lors les Prêtres sont les vrais maîtres ; les Rois ne sont que leurs officiers.
Maintenant qu’il n’y a plus et qu’il ne peut plus y avoir de Religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n’ont rien de contraire aux devoirs du Citoyen. Mais quiconque ose dire : "Hors de l’Eglise, point de Salut", doit être chassé de l’Etat, à moins que l’Etat ne soit l’Eglise, et que le Prince ne soit le Pontife. Un tel dogme n’est bon que dans un Gouvernement Théocratique ; dans tout autre il est pernicieux. La raison sur laquelle on dit qu’Henri IV embrassa la Religion romaine la devrait faire quitter à tout honnête homme, et surtout à tout Prince qui saurait raisonner.

En bref, la religion civile nous impose de nous comporter en bon citoyen, être un bon citoyen nous impose de voter comme un devoir, même si l'on oublie souvent :

- que c'est en France, Napoléon le troisieme, qui institua vraiment le suffrage "universel" (moins les femmes :evil: )

- que si le peuple s'est effectivement battu pour le "droit de vote", c'est avant tout qu'il réclamait le droit à l'expression libre après la révolution de 1848.

- que cette demande était loin de figurer en tête des revendications de l'époque.

- que par la suite "napo 3" se servit du suffrage "universel" pour se faire plébisciter à 99% jusqu'à ......................

- la commune de Paris en 1871, ou le peuple une fois de plus à pris de force le droit de s'exprimer autrement que par les urnes (hommes et femmes).

- que la troisième république et son premier président (A. Thiers) écrasa dans le sang ce désir (entre 30.000 et 100.000 morts, hommes, femmes, enfants, soit environ 10% de la population Parisienne).

Déjà, rien qu'avec ça, on peut commencer à comprendre certains types d'abstentionnisme.

Merci Kaklou pour l’extrait de Rousseau.
Cette fumisterie des “lumières” est un en réalité une forme assez perverse d’obscurantisme dont nous ne sommes pas encore sortis, loin s’en faut…

Sinon, oui, la Commune est probablement la seule vraie révolution que la France ait connue : spontanée, sincère, brutale et incontrôlable jusqu’à son écrasement. Les trois précédentes s’appuient, pour une grande part, du point de vue de leur instrumentalisation sinon de leur déclenchement, sur l’exploitation de la colère du peuple par des réseaux bourgeois ou monarchistes convoitant une meilleure position de pouvoir.

Ted Lapinus & Phoenix dit:[...]Cette fumisterie des "lumières" est un en réalité une forme assez perverse d'obscurantisme dont nous ne sommes pas encore sortis, loin s'en faut...[...]

Tu vas un peu loin là quand même :?
Eric dit:attention quand même, le texte date de 1977. Je l'ai repris ici à la lumière de la discussion avec Adel10
Et pour tout dire, il me semble pointer quelque chose qui est assez vrai pour moi et pour ma vision de l'abstention


je vais quand même précisé quelque chose, je ne suis abstentionniste que parce que mon vote blanc n'est pas comptabilisé, si le vote blanc était décompté je serais le premier à me battre contre l'abstention.
je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse voter pour quelqu'un par défaut , pour moi c'est la base de la dictature.

edit : Ok, post pour rien, je viens seulement de voir que MrGirafe avait tout rassemblé dans cet autre fil :
http://www.trictrac.net/jeux/forum/view … &start=150

1977…
Je crois que nous sommes très loin dans l’histoire de la conscience politique. Il me semble que les choses ont beaucoup changées depuis lors à moins que ce ne soit moi ^^
Ne pas voter était alors vraiment mal vu. Aujourd’hui l’abstention est banalisée alors qu’elle était très politisée jusqu’au début des années 80 (je dois encore avoir quelques affiches anars dans mon grenier ^^).

Pour répondre à Adel, je dirais que si les bulletins blancs sont comptabilisés. Ils ne sont pas médiatisés mais crois moi, les femmes et les hommes qui se présentent en prennent connaissance.
S’il y avait 50% de bulletins blancs, on en entendrait parler.

Il est clair que le point de vue de M. Ellul est daté. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que la critique c’est inversée et c’est le politique qui est globalement perçu de manière négative même par beaucoup de ceux qui votent. Avec une certaine mauvaise foi parfois d’ailleurs (“ils sont tous mauvais, corrompus sauf celui que je soutiens”).

Concernant le vote absentioniste je trouve l’analyse de Le Zeptien très pertinente mais je voudrais aller un peu plus loin. L’absence d’espoir dans une solution politique aux problèmes quotidiens c’est développé, c’est vrai mais pour quelles raisons ?

Les défauts du capitalisme, et notamment du capitalisme libéral, sont aujourd’hui criants. Le système favorise les personnes déjà riches et abandonne les moins nantis, les enfonçant dans une précarité qui devient de plus en plus la règle. Le sentiment général tend vers l’idée que le gros entrepreneur est soutenu mais le petit employé, lui, doit de se rendre flexible pour s’adapter à cette société nouvelle (et ça jusqu’à la rupture). En résumé, l’individu a l’impression d’être pris pour un élastique.

Quant au socialisme, il ne fait plus rêver personne. Il ne se présente plus maintenant que par des aides financières diverses et variées censés être une rustine aux mauvais côtés du capitalisme et un coup de pouce à l’ascenseur social. Aujourd’hui ces aides sont perçues comme insuffisantes lorsqu’il s’agit de soi-même et trop importantes pour les autres (les féniasses). L’impôt n’est, en règle générale, pas considèré comme un effort collectif au bien-être de tous mais comme une perte d’argent qui finit dans les abysses d’une bureaucratie kafkaiennes ou dans les poches de profiteurs.

Reste l’écologie qui est perçue, là encore, plus comme une contrainte inévitable que comme un véritable projet de société.

En conclusion, s’il est vrai que les politiques eux-même sont dénigrés s’est aussi LA politique dans sa globalité qui ne fait plus (pardonnez moi l’expression) bander grand monde. Les deux grands courants schématisés par la droite et la gauche semblent avoir épuisés leurs cartouches, tandis que la troisième voie, si s’en est une, ne tient pas vraiment toutes ses promesses en terme d’espérance.

Et bien sachez que malgré ce tableau plutôt pessimiste, je continue à voter. Pire, j’ai la carte d’un parti et je tente de militer à mon niveau. Pourquoi ? Parce que je crois, comme une évidence, qu’un autre monde est possible. Ce n’est pas parce que seul deux types de fonctionnement économique ont été tenté à notre échelle qu’une autre façon n’est pas envisageable. Certes la société s’est mondialisée et l’évolution se fera du coup forcément plus lentement mais ça me ferait ch*** malgré tout que ça se fasse sans moi. Ma puissance politique n’est peut-être que celle d’une goutte d’eau dans l’océan mais je préfère néanmoins être une goutte d’eau qui tente tant bien que mal d’emmener l’océan ou je veux (pas tout seul si possible) que de me laisser bêtement porter par le courant sans réagir.

Docteur Mops dit:1977...
Je crois que nous sommes très loin dans l'histoire de la conscience politique. Il me semble que les choses ont beaucoup changées depuis lors à moins que ce ne soit moi ^^
Ne pas voter était alors vraiment mal vu. Aujourd'hui l'abstention est banalisée alors qu'elle était très politisée jusqu'au début des années 80 (je dois encore avoir quelques affiches anars dans mon grenier ^^).
Pour répondre à Adel, je dirais que si les bulletins blancs sont comptabilisés. Ils ne sont pas médiatisés mais crois moi, les femmes et les hommes qui se présentent en prennent connaissance.
S'il y avait 50% de bulletins blancs, on en entendrait parler.

peut être ( certainement même) mais le but est quand même que les élu ne fasse pas 1 cent pour cent
Docteur Mops dit:[...](je dois encore avoir quelques affiches anars dans mon grenier ^^)[...]

Désolé ............ j'ai pas pu résister .... :oops:



et ici le petit pamphlet de 1888 :
http://www.homme-moderne.org/textes/cla ... greve.html