La Cour ne rend pas content, elle empêche qu’on ne le soit ailleurs.
L’on remarque dans les cours des hommes avides, qui se revêtent de toutes les conditions pour en avoir les avantages ; gouvernement, charge, bénéfice, tout leur convient ; ils se sont si bien ajustés, que par leur état ils deviennent capables de toutes les grâces ; ils sont amphibies ; ils vivent de l’Eglise et de l’épée, et auront le secret d’y joindre la robe : si vous demandez que font ces gens à la cour ; ils reçoivent, et envient tous ceux à qui l’on donne.
Il faut des fripons à la Cour auprès des Grands, et des ministres, même les mieux intentionnés ; mais l’usage en est délicat, et il faut savoir les mettre en œuvre : il y a des temps et des occasions où ils ne peuvent être suppléés par d’autres. Honneur, vertu, conscience, qualités toujours respectables, souvent inutiles : que voulez-vous quelquefois que l’on fasse d’un homme de bien ?
De tous ceux qui s’empressent auprès des Grands et qui leur font la cour, un petit nombre les honore dans le cœur, un grand nombre les recherche par des vues d’ambition et d’intérêt, et un plus grand nombre par ridicule vanité, ou par une sotte impatience de se faire voir.
Un homme qui a vécu dans l’intrigue un certain temps, ne peut plus s’en passer ; toute autre vie pour lui est languissante.
~De La Cour, Les caractères, Jean de La Bruyère, 1688