Les hommes de la «présidente»
De notre correspondant à Paris, Antoine Clause
· Pourquoi Ségolène a loupé sa campagne
· La candidate socialiste conserve néanmoins toujours ses chances
· 25% de Français ne savent pas pour qui ils vont voter
Ségolène Royal s’est trompée sur la manière de mener une campagne présidentielle. Mais, celle que la droite a décidément tort de prendre pour une bécassine, en train de tout réorganiser avant que ses ennemis intimes, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, lui fassent payer ses erreurs avant même le premier tour de l’élection présidentielle.
L’erreur de fond de Ségolène Royal? Elle n’a pas de numéro 2, personne sur qui s’appuyer en toute confiance. Elle a gardé la même équipe autour d’elle depuis qu’elle a été élue présidente de la région Poitou-Charentes.
Or ses conseillers-amis n’ont jamais fait de la politique à ce niveau. Elle a donc dû leur adjoindre deux directeurs de campagne venus du parti socialiste. Mais le premier, François Rebsamen, ne s’occupe que de l’organisation technique. Quand au second, Jean-Louis Bianco, il est chargé avec Christophe Chantepy, le directeur de cabinet de Ségolène Royal, de centraliser toutes les idées, contributions et thèmes de campagne. Mais si les deux hommes sont d’excellents gestionnaires, ils ont souvent de la peine à faire, seuls, des choix politiques seuls. Cela a donc donné quelques couacs dans la campagne, en particulier en matière de politique étrangère dont ni l’un ni l’autre ne maîtrisent vraiment toutes les arcanes. Enfin il y a Julien Dray, le porte-parole en chef de la candidate.
Dray est un polémiste hargneux, pas vraiment le responsable politique sympathique que l’on peut envoyer sur les plateaux de télévision. Mais il a surtout une vision paranoïaque de la politique et son passe temps est de débusquer les ennemis politiques en interne, ce qui ne met pas franchement une bonne ambiance chez les socialistes.
· Dette de l’Etat
Avec cette organisation bancale, Ségolène Royal s’est donc assez retrouvée à court d’idées et d’argumentaires. Et, malheureusement, elle a fait alors une deuxième erreur en demandant à quelques éléphants du parti socialiste des notes sur les grands thèmes de réforme. C’est celle qu’elle a demandé à Dominique Strauss-Kahn sur les réformes de la fiscalité qui a tout fait exploser. Au grand étonnement de DSK, Ségolène Royal ne lui a donné aucun cahier des charges: «Dominique c’est toi le spécialiste, je n’ai pas à donner d’ordre, tu proposes ce qui te semble bien». DSK l’a mal pris, un peu comme si on lui disait: «Ecris ce que tu veux, de toute façon je n’en tiendrai pas compte». Donc DSK n’a pas rendu une note qui passera à la postérité.
Mais un autre élu l’a mal pris: Eric Besson, qui au PS est chargé de l’économie et de la fiscalité. Un homme peu chaleureux mais un gros bosseur qui se retrouve courcircuité. Et il est d’autant plus mal dans sa peau que juste avant de prononcer son discours programmatique à Villepinte, il y a 8 jours, Ségolène Royal demande conseil à Pierre Mauroy qui lui recommande de parler d’entrée de jeu de la dette de l’Etat.
Ces incohérences et les engueulades qu’elles ont générées sont à l’origine de la démission d’Eric Besson deux jours après. Personne n’a cherché à le retenir car Julien Dray, depuis des semaines, le soupçonnait publiquement d’être resté trop proche de Lionel Jospin pour être digne de confiance!
Tout cela peut prêter à sourire, mais, malheureusement, c’est l’ambiance chez les socialistes depuis le mois de janvier. Dans certains cas, sur les questions de défense par exemple, Ségolène Royal est très en retard parce que personne ne maîtrise vraiment le sujet autour d’elle. Sur les questions économiques aussi où Pierre-Alain Muet, un économiste très costaud et responsable de la réflexion au PS, n’est pratiquement jamais consulté.
· Reconquête du parti
Tout n’est pourtant pas de la faute de Ségolène Royal. Laurent Fabius, Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn ne jouent pas le jeu. Fabius et DSK, chacun de leur côté, ont réuni la semaine dernière leurs lieutenants. L’analyse et le message ont été les mêmes: «Ségolène a été plébiscitée par les militants. Si jamais ceux-ci ont le sentiment qu’on ne l’aide pas à gagner, ils nous le feront payer. Donc on range les couteaux et on attend les résultats du premier tour».
Pour la suite, les analyses divergent: chez Fabius, en cas d’échec de Royal, tout le monde est prêt à partir à la reconquête du parti. Chez DSK ils sont quelques-uns à envisager sérieusement de quitter le PS pour aller fonder un parti officiellement social-démocrate. De toute façon, si Ségolène Royal gagne, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn savent qu’ils ont tout perdu.
Car contrairement à ce qu’il se dit, Ségolène Royal a encore de grandes chances. Tous les sondages actuellement révèlent la même chose : 25% des Français ne savent pas pour qui ils vont voter et 20% disent qu’ils peuvent encore tout à fait changer d’avis. La marge est donc énorme. D’autant qu’elle est actuellement sur des intentions de vote très supérieures à celles de Lionel Jospin en 1995 et 2002.
Le seul problème, c’est le report au second tour : la réserve des voix à sa gauche n’est pas assez importante pour lui permettre de passer. Elle a tout à fait intérêt à ce que José Bové, Dominique Voynet, Arlette Laguillier et Marie Georges Buffet progressent pour lui ramener leurs électeurs au second tour. Mais là, vu l’état de décomposition des Verts et des communistes, c’est pas gagné!
dans
L’Economiste