Sur la quatrième de couverture il y dit: Le succès tout à fait hors norme des Bienveillantes de Jonathan Littell constitue un véritable phénomène de société. Deux prix et des éloges innombrables ont été décernés à une oeuvre littérairement médiocre et historiquement datée, dont le seul ressort est le voyeurisme permanent. Ce qui fait des Bienveillantes un roman insoutenable, c’est qu’il propose une esthétisation insupportable de la violence nazie qui s’inscrit, de Sade à Jünger, dans une longue filiation intellectuelle et littéraire. Il exclut de l’humanité les victimes de la barbarie, en livrant leur cadavre en pâture au regard des lecteurs, sans rien nous faire comprendre des facteurs qui ont conduit les bourreaux SS à participer à l’extermination de six millions de Juifs européens. Un philosophe et un historien unissent leurs voix pour dénoncer énergiquement les complaisances qui ont permis le succès de ce livre. Ils incitent, par la même occasion, à lire ou relire d’autres oeuvres littéraires, documents ou récits d’une importance majeure, qui apportent un tout autre regard sur l’écriture du mal.
Avec du recul, ceux qui ont lu Les Bienveillantes, vous en pensez quoi ?
Je suis dedans, 1/3 de lu environ. C’est violent, c’est cru. On peut effectivement trouver une complaisance dans certaines descriptions mais ce n’est pas le 1er bouquin à raconter crument la violence (n’importe quel thriller récent, les Grangé, Chattam et cie) et par ailleurs il y aurait eu esthétisation si la violence était narré par ellipse. Ce n’est pas le cas. C’est clair qu’il n’y a pas de regard sur les victimes en tant qu’individu ou très peu. Mais je pense que c’est précisemment le propos du livre. Un peu compliqué de livrer des impressions sans l’avoir fini mais je trouve intéressant les descriptions des ressentis des allemands plongés plus ou moins selon leur gré dans le nazisme et contraints de pratiquer des atrocités. Certains s’y complaisent d’autres tentent des justifications idéologiques, d’autres encore obéissent simplement, d’autres encore subissent des contrecoups physiques à leurs actes… Par contre il est clair que ce livre est à fuir si l’on souhaite (re)découvrir ce qu’a pu être la politique raciale nazie. Je pense qu’il faut une connaissance historique préalable relativement solide à cette lecture.
Jopajulu dit:Je suis dedans, 1/3 de lu environ. C'est violent, c'est cru.
Moi aussi, je suis dedans. Et je dois dire que pour l'instant cela me fait furieusement penser à Robert Merle : la mort est mon métier. Au contraire de ce qui est dit dans la 4e de couverture, plutôt bien écrit mais (pour l'instant) avec un point de vue pas si novateur que ça.
Maintenant est-ce que ce roman servira de piqure de rappel anti-nazie ou bien de catalogue malsain pour lecteur psychopathe, honnêtement, je ne sais pas ????????
Il y a effectivement pas mal de choses à dire sur “Les Bienveillantes”. Sur le coup, j’avais trouvé ça très fort, à la limite de l’insoutenable quand Littell décrit les exactions nazies, très documenté dans l’ensemble, mais un peu lourd quand l’auteur s’attarde sur des dizaines de pages à décrire l’état d’esprit de son personnage reclus dans le domaine familial. La “complaisance” a décrire des scènes affreuses peut se discuter. Quand il s’agit d’un témoignage, ça ne pose pas de problème. Mais là c’est de la fiction : je ne sais pas à quel point Littell a repris les témoignages d’époque, mais c’est lui qui écrit, lui qui donne sa version d’événements qu’il n’a pas vécu. D’autre part, j’ai du mal avec les auteurs qui s’étalent sur plusieurs pages pour décrire un meurtre horrible. Je trouve ça malsain. L’horreur c’est pas une chose qu’on a envie de regarder dans les yeux, sauf si on est taré ou si ça sert à poser d’autres question. Dans un travail historique sur le nazisme, je comprends qu’on s’attarde sur les crimes nazis. Dans un roman, un peu moins. Or le livre de Littell est clairement un roman drapé dans un costume historique. Mais l’ampleur du sujet et la précision de certains chapitres, le détail apporté aux discussions entre nazis (Aue et Eichmann, par exemple) donnaient l’impression de se retrouver au coeur de l’Histoire.
Puis il y a eu un article du Monde dans lequel un historien démontait la reconstitution historique en disant, en gros, que les nazis de Littell montraient les caractéristiques de Français de l’entre-deux guerre plutôt que celles de véritables auxiliaires de Hitler. Il pointait des erreurs que seuls des spécialistes pouvaient déceler. S’il faut avoir fait un doctorat sur l’Allemagne nazie pour lire “Les Bienveillantes”, je ne vois pas trop l’intérêt. Du coup, avis mitigé avec un peu l’impression d’avoir cédé à un mouvement de foule qui voyait dans “Les Bienveillantes”, LE livre sur le nazisme vu de l’intérieur.
Certains ont aussi dénoncé le fait que ce soit un juif qui se mette dans la peau d’un nazi pour décrire la Shoah. Une victime qui prend la place du bourreau, c’est un peu dérangeant. Tout comme l’est la personnalité du héros, nazi homosexuel, amoureux de sa soeur, un gros taré finalement, alors que la grande masse des nazis étaient des gens comme vous et moi, parfaitement normaux.
Par ailleurs j’ai lu d’autres livres parlant de l’Allemagne nazie et de la guerre à l’Est. En lisant “Vie et destin” de Vassili Grossman je me suis rendu compte de la différence qu’il pouvait y avoir entre un romancier, même bien documenté, et un témoin direct des événements. Là où Littell se repose sur des livres et des témoignages de seconde main pour écrire son livre (même s’il a effectivement été dans le Caucase et en Europe de l’Est, à ce que j’ai compris, il n’y a été qu’au XXIe siècle), Grossman se base sur ce qu’il a vécu pour écrire. Stalingrad, il y a été. Les camps de la mort, il a été un des premiers soviétiques à les voir. Il y a par ailleurs chez Grossman un humanisme permanent qu’on ne trouve pas chez Littell, dont le style reste froid et détaché.
Bref, si j’avais bien aimé “Les Bienveillantes”, j’ai vite relativisé son impact après avoir lu “Vie et destin”. On peut lire “Les Bienveillantes”, mais il ne faut pas tout prendre pour argent comptant. C’est dommage vu l’importance et la gravité du sujet qu’il traite.
P.S. : il faudrait que je lise “La Mort est mon métier” pour comparer.
J’ai été très gêné en lisant les bienveillantes. Je pensais lire un livre qui décortiquait l’évolution d’un homme vers un rôle de bourreau. Ce n’est rien de cela.
L’auteur nous fait croire finalement que les bourreaux sont soit : des bouchers, beaufs, stupides (les autres bourreaux) des malades sexuels incestueux (le héros)
Bref, des gens “pas comme nous”, des “tarés à la base”. Cela me semble très dangereux et pas forcement conforme à la réalité. Cela flatte le lecteur (qui peut penser :“je ne suis pas comme ça”) et le rassure.
Ce n’est pas un livre sur la barbarie nazi, c’est une fiction sur un homosexuel violent matricide incestueux. La barbarie nazie sert de décor wagnérien et nauséabond à la chose.
Suivre, comme personnage principal, le copain du héros (le carriériste qui “fourni” le vêtement de STO) m’aurait semblé plus intéressant.
Bref, je suis tout à fait d’accord avec ce texte. Et pourtant j’ai dévoré le livre. Facination malsaine ? Probable.
PS : je ne dis pas que les homosexuels sont des malades, mais le héros, lui, l’est.
Si vous souhaitez lire des livres sur le sujet écrits par des gens de l’est, qui l’ont vécu de l’intérieur, qui y étaient vraiment, je ne peux que vous conseiller deux auteurs polonais dont les oeuvres ont été traduites en français :
- K.Moczarski - Entretien avec un bourreau. L’auteur a passé deux ans dans la même cellule qu’un certain Jurgen Stroop, pacificateur de l’insurrection de Varsovie (l’auteur était enfermé par le régime communiste en tant que membre actif de l’armée polonaise indépendante). Il a scrupuleusement noté les confidences de Stroop. C’est saisissant.
- T.Borowski - le Monde de Pierre. Il a sejourné dans trois camps de la mort durant la guerre, notamment Auchwitz. Ses livres sont très crus. Ames sensibles s’abstenir. De lui, j’avais lu “chez nous à Auchwitz…” (je ne sais pas si c’est traduit en français). J’avais jamais rien lu de tel, ça m’a vraiement boulversé.
Enfin, mais là aussi, je ne sais pas si ça a été traduit, “Medaliony” (les Médaillons) de Z.Nalkowska, un recueil de souvenirs apportés par des anonymes sur la IInde guerre, recueillis lorsque l’auteur travaillait pour la comission internationale sur les crimes nazi. C’est également renversant.