Stronghold: journaux de l'auteur du jeu

Ignacy Trzewiczek : Le journal du concepteur de jeu #5 - Jouer avec des piliers

Je me rappelle que j'ai appris il y a plusieurs années, que mon auteur préféré de Fantasy, Feliks W. Kres, ne lit aucun livre de Fantasy. Aucun. Il n'est pas intéressé par ce que les autres écrivent ; il n'aime pas le genre et n'a aucune intention de commencer à en lire. Dans notre domaine des jeux Reiner Knizia m'a choqué pour la même raison. J'ai appris de l'excellent article de Jacek Nowak, imprimé dans Swiat Gier Planszowych (le monde des jeux de société), que le docteur Knizia ne joue pas aux jeux d'autres auteurs.

Tandis que Machina (machine) et Zombiaki (zombies) ont été créés exactement comme les livres de Kres, car je n'avais eu aucune autre expérience de jeu de société à l'époque, Witchcraft et Stronghold sont des titres créés par un Trzewik conscient, un auteur avec une certaine expérience du jeu qui connaît beaucoup de solutions utilisées dans les jeux, un auteur qui peut trouver dans d'autres jeux des solutions toutes faites et les mettre en application dans son propre prototype afin de réaliser un résultat particulier.

J'ai écrit précédemment sur l'influence de la piste de Prinz, et aujourd'hui nous y ajouterons les cartes d'artisans des Piliers de la Terre. J'ai aussi essayé d'emprunter celles-ci, et de les utiliser dans Stronghold comme un outil dans les mains de l'envahisseur.

Le joueur attaquant le château doit prendre diverses actions. Certaines sont standard, comme la construction d'un engin de siège, la collecte des ressources, ou le mouvement de troupes. Certaines sont spéciales, comme envoyer un saboteur ou appeler des renforts. Cette division des actions m'a rapidement fait penser aux Piliers de la Terre, vu que ce jeu inclut des cartes d'artisans, avec des joueurs sélectionnant quelques cartes standard et ajoutant deux spéciales en plus. Cela m'a semblé être une piste intéressante.

J'ai créé huit cartes standard et un certain nombre de cartes spéciales, ne restait plus qu'à les essayer. Parmi les cartes standard il y avait la « collecte de ressources, » la « construction d'engins de siège », « déplacer les armées vers les murailles » et l' « assaut des murailles » ; parmi les cartes spéciales il y avait des choses vicieuses telles que « empoisonnement de l'eau » et « fureur sur les murs. » Parmi ces huit le joueur devait en sélectionner cinq au hasard, en ajoutant une speciale, et ceci constituerait son jeu d'actions pour ce tour. Il saurait ce qu'il pourrait faire en regardant son jeu.

Les avantages ? C'était rapide. Simple. Le jeu de cartes indiquait directement au joueur quelles actions il pourrait faire pendant ce tour. Il y avait de l'aléatoire, mais c'était potentiellement intéressant. Vous savez, parfois il serait sans construction d'engins, parfois sans ressources. Sa vie ne serait pas facile. Il devrait faire son choix, en négociant la meilleure manière d'utiliser les cartes qu'il a juste pioché de manière à se protéger contre une possible mauvaise pioche dans le futur. Cette méthode était très tentante, car elle forçait le joueur à planifier pour le futur - « j'ai besoin de beaucoup de bois pour commencer sérieusement la construction d'engins de siège à partir du tour 3 » - plutôt que de lui permettre de faire des plans à court terme : « Au prochain tour je collecte du bois et je construis une catapulte. »

Malheureusement non. Le système ne fonctionnait pas. L'attaquant prenait ses cartes et ne prévoyait rien, mais faisait juste ce que les cartes lui dictaient. L'aspect aléatoire était extrême. Quand le nombre de cartes standard était réduit, l'aspect aléatoire disparaissait, mais le jeu deviendrait ennuyeux (à cause du petit choix des actions). Quand la variété de cartes était augmentée, le jeu devenait plus intéressant parce qu'il donnait plus de possibilités de jeu, mais il devenait également extrêmement aléatoire. Nous exécutions les actions que nous avions piochées, pas ce que nous avions planifié. Nous ne prenions pas de décisions. Le destin décidait de ce que nous avions et de ce que nous jouions.

La transformation des cartes d'artisans en cartes d'actions dans Stronghold ne fonctionnait pas. L'idée d'employer six cartes standard et quelques cartes d'actions spéciales n'a pas fourni ce que nous avions prévu. Aucune planification n'était possible, et il n'y avait aucune satisfaction dans la multitude d'actions disponibles. Avec un coeur douloureux j'ai rangé les cartes dans un dossier d'« archives » et ai commencé à penser à une autre solution. De manière complètement inattendue j'ai alors inventé quelque chose qui est devenu l'un des moteurs principaux de la mécanique de Stronghold. Et elle n'a été empruntée à aucun autre jeu. Ou bien peut-être légèrement…

Cette série est vraiment excellente. Ca serait bien que d'autres auteurs de jeu s'y mettent.

Désolé, entre la sortie des règles du jeu et un autre truc pour tric-trac sur lequel je travaille, je n'ai pas eu le temps de faire de nouvelles traductions. J'essaierai de me rattraper demain...

Ne t'inquiètes pas, personne ne t'en tiendra rigueur ;) C'est déjà bonus que tu acceptes de te farcir la traduction.

Vieux chat dit:Ne t'inquiètes pas, personne ne t'en tiendra rigueur ;) C'est déjà bonus que tu acceptes de te farcir la traduction.


+1

c'est clair, ce matin j'ai foncé vers les autres rapports en anglais,
j'arrive a comprendre mais je ne peux me permettre de traduire, ça serait rempli de fautes.

j'ai jamais attendu un jeu comme celui ci :)

J'avais commencé la même démarche à mon modeste niveau sur un blog sous Overblog pour parler du développement de mon proto.

J'ai arrêté depuis mais je trouve ça effectivement intéressant de voir le processus de création de A à Z.

Ce qui m'a le plus marqué dans le récit de Ignacy Trzewiczek, c'est que tout part pour lui de la visualisation des joueurs en train de jouer à son jeu. C'est un début d'approche que je n'avais jamais envisagé mais qui me semble pertinent.

Vivement la suite :wink:

Désolé pour l'attente: voici la suite ! 8)

Ignacy Trzewiczek : Le journal du concepteur de jeu #6 - les choix apparaissent

Les cartes d'action inspirées par les cartes d'artisans des Piliers de la Terre ne fonctionnaient pas dans Stronghold, du coup elles sont allées aux archives et j'ai recommencé à zéro. J'ai pris une feuille de papier et ai énuméré toutes les actions disponibles. J'ai listé les ressources, la catapulte, l'engin de siège, les saboteurs, le siège…

J'ai regardé les ressources et ai pensé : « OK, le joueur peut aller collecter des ressources. » J'étais à un pas d'une bonne solution, mais je ne le savais pas encore. L'idée s'approchait lentement, avec élégance. Cela a donc pris quelques bonnes secondes avant que je dessine quatre carrés près de la liste des "ressources", chacune d'entres elles avec un indicateur et un sablier. Ainsi, si un joueur veut obtenir une ressource, il mettra un soldat sur ce carré, et le défenseur recevra un sablier, qui comme j'ai expliqué précédemment, est un point à dépenser pour la défense de château. Si le joueur veut deux ressources, il mettra deux soldats sur les carrés et le défenseur recevra deux sabliers… Quelque chose de si simple. Le joueur consacre autant de de ses troupes qu'il veut et obtient exactement ce nombre de ressources, donnant au Défenseur ce même nombre en Sabliers.

La bonne idée était proche, juste au coin.

J'ai dessiné trois carrés et les ai colorés en rouge, bleu et blanc. Le premier représentait un troll avec une force de 3, le deuxième représentait un orc avec une force de 2, et le troisième était un gobelin avec une force de 1. La bonne idée était déjà assise à côté de moi et se laissait faire remarquer. Si le joueur consacre un troll et l'envoie à la forêt, il obtiendra trois ressources ; s'il envoie un orc, il obtiendra deux ressources ; et un gobelin rapportera seulement un morceau de bois.

« C'est bon, » j'ai pensé. Cette idée m'étonnait beaucoup.

Elle était bonne parce qu'elle générait des choix. Elle forçait l'envahisseur à prendre des décisions. Le joueur devait réfléchir à si il allait consacrer son meilleur guerrier (un troll) pour obtenir beaucoup de bois, tout en donnant au défenseur un seul sablier, ou s'il allait envoyer un combattant faible (un gobelin) et recevoir seulement une seule pièce de bois. Il pouvait aussi envoyer trois gobelins faibles pour obtenir trois morceaux de bois, mais en même temps il donnait au défenseur trois sabliers.

Ce procédé ne concernait apparemment que les ressource - censément rien de très important - mais elle était digne d'être considérée pleinement.

Cette idée exposait et supportait bien la fondation première de Stronghold : L'envahisseur a l'initiative et décide du nombre de choses qu'il permet au défenseur de faire. Le joueur attaquant peut envoyer un troll dans la forêt, obtenant beaucoup de bois, et le défenseur obtient seulement un Sablier, une action pour préparer la défense du château. Le joueur attaquant peut à la place envoyer trois gobelins dans la forêt. Il obtiendra beaucoup de bois, et il gardera le troll (qui sera disponible pour attaquer les murs), mais le défenseur obtiendra trois Sabliers. Trois sabliers est énorme ; cela permet de construire un chaudron d'huile bouillante. L'attaquant peut décider d'envoyer un gobelin dans la forêt. Il aura un seul morceau de bois, presque rien, mais le défenseur n'obtient pas beaucoup non plus. Ou mieux alors, l'envahisseur peut dire qu'il passe et n'envoyer personne. Le défenseur ne reçoit aucun point de Sablier pour sa défense.

L'initiative est du côté de l'envahisseur. Des choix et des décisions. Le désespoir est de celui du Défenseur. Je me dirigeais dans la bonne direction. J'ai suivi cette piste…

excellente initiative, j'adore, vraiment merci pour la trad

Ignacy Trzewiczek : Le journal du concepteur de jeu #7 - le camp des envahisseurs

La règle que j'ai créée pour la collecte des ressources me semblait très intéressante. J'ai suivi cette piste et ai planifié toutes les actions de l'envahisseur, chacune d'entre elles en différentes versions, sur une grande feuille de papier.

Des exemples ?

La catapulte pouvait être construite en utilisant un troll, ou deux orcs, ou trois gobelins. La tour de siège ? Construite par deux trolls, trois orcs ou six gobelins. L'un d'entre eux irait à l'intérieur et commencerait à saboter les plans du Défenseur, alors que le reste mourrait en essayant de rentrer dans le château.

Il y avait des choix à chaque étape du jeu de l'Envahisseur. À chaque étape le joueur devait décider s'il allait perdre un bon guerrier sur la construction pour que le défenseur souffre du manque de Sabliers, ou construire en utilisant ces faiblards, les gobelins ; le défenseur obtiendra un bon nombre de Sabliers, mais je lui enverrai une unité des trolls sur les murs. Cela fera du grabuge.

Nous avons joué deux ou trois parties courtes et la solution fonctionnait. Salou, mon co-joueur de Stronghold depuis le commencement qui m'aidait à tester le jeu, choisissait et décidait à quel tour et à quelle étape il consacrait des trolls ou des gobelins ; il calculait et décidait. Le jeu ne fonctionnait pas encore - c'était encore un abri de fortune, un grand chantier de construction avec de la poussière dans l'air - mais cet élément, l'idée de consacrer des troupes différentes pour produire un nombre différent de sabliers, marchait.

Je me dirigeais dans la bonne direction.

Après quelques parties j'ai commencé à jouer avec le scénario. J'essayais de trouver un moyen de donner à cette idée pour les ressources du potentiel scénaristique, en plus d'être juste une mécanique élégante. Des artilleurs sont apparus sur la feuille. Le joueur pouvait former un orc pour devenir un artilleur. Il n'y avait aucun choix ici. Les trolls et les gobelins sont trop stupides pour être formés. J'ai ajouté les rituels des shamans, pour lesquels seuls des gobelins pourraient être sacrifiés ; les orcs et les trolls refuseraient de donner leur sang pour les rituels. Ces petites touches ont forcé Salou à mieux planifier ses mouvements. Il a dû faire attention aux nombresde gobelins envoyés en forêt, de peur de n'avoir personne à sacrifier rituellement. Il a dû mettre de côté ces orcs entraînés à être artilleurs.

Je n'ai ajouté aucune nouvelle règle. Tout était basé sur une seule phrase - « pour faire une action, placer un certain nombre de marqueurs de troupes sur le plateau et donner à l'adversaire un nombre égal de Sabliers » - mais cette phrase donnait des possibilités énormes. Il forçait le joueur à prendre des décisions à chaque phase du tour.

Je ne le cacherai pas, je suis obsédé par les décisions. J'ai créé des jeux depuis pas mal d'années. Cette obsession a été là depuis 2001, depuis que nous avons commencé à concevoir le jeu de rôle Neuroshima avec Michal Oracz. Nous avions analysé des dizaines de jeux de rôle, puis nous avons créé le système de création de personnage de Neuroshima - un outil puissant, qui a fait le succès du jeu et a donné aux joueurs beaucoup d'amusement. Je sais que les fans de jeu de société ne s'interessent pas nécessairement aux jeux de rôle, donc ne craignez rien, je ne vous ennuierai pas. J'énoncerai juste quelques chiffres. Quand un joueur crée un personnage dans Neuroshima, il a le choix entre 12 races différentes, chacune avec trois sous-catégories. Ce qui fait 36 options. Puis il sélectionne une des 26 professions, avec une ou deux capacités spéciales pour chacune d'entre elles. Cela fait 52 options multipliées par 36 options. Puis il sélectionne une des cinq spécialisations…

L'obession des choix. Des décisions. Pour inciter le joueur à réfléchir et à concevoir.

La feuille avec les actions de l'envahisseur listées se transformait lentement en camp militaire des envahisseurs. Des soldats pouvaient être envoyés dans une forêt voisine pour fournir des ressources. Des engins de siège étaient construits dans les ateliers. Les guerriers les plus capables, qui pouvaient modifier l'équilibre en faveur de l'envahisseur, étaient formés dans des tentes. Des espions, des saboteurs et des artilleurs quittaient ces tentes. À côté de eux, dans une chapelle, un shaman gardait des gobelins dans des cages pour les utilisés dans de sombres rituels. Au centre il y avait la tente du commandant, pleine de cartes et de plans. Des ordres de marche et d'aussaut des murailles était donnés là.

Stronghold prenait vie étape par étape. Les rêves et les visions étaient forgés pour devenir une réalité.

le temps parait très long depuis que j'ai commence à lire ce journal

plus le temps passe, plus je me dis qe ce jeu doit être génial
mais aussi plus je me rends compte que sa sortie n'est pas pour aujourd'hui

je me sens un peu comme dans le rôle de l'assiégé, je n'ai pas bcp de sablier pour agir.


au final, qqn sait si le jeu sort entièrement sans texte ou s'il y aura une version vf?

Le jeu ne contient aucun texte, seules les règles ont besoin d'être traduites.
Par ailleurs, Iello a déjà signé pour sortir la version française.
Sur le site de Iello il est indiqué avec une date de sortie du 22/10/09.
Je ne sais pas dans quelle mesure le gros retard de Space Alert ou le fait que ce jeu n'est pas du tout mis en avant sur le site de Iello pourrait avoir une influence sur cette date. :?

ces notes sont épiques! moi je m'y croirait presque :)

:pouicbravo:

PASSIONNANT

Davidof

spardaa dit:et si on souhaite l'acheter en versions non française on a une possibilité autre que essen ?


On peut le précommander directement à Portal, ils seront expédiés après la fin du salon d'Essen, et tu auras en bonus le CD avec la chanson que le jeu a inspiré. Par contre, cela coûte 24 euros en frais d'envois (que tu peux réduire si tu commandes plusieurs exemplaires à la fois)

Par contre, pour ne pas trop polluer ce sujet dédié aux journaux du créateur. Peut-être vaudrait-il mieux poser ce genre de questions sur l'autre sujet dédié au jeu...

Merci beaucoup pour ce travail de traduction :pouicok:
Super intéressant de découvrir ce qu'il se passe dans la tête d'un auteur pendant la création d'un jeu! Et en plus le jeu à l'air vraiment génial :P

Merci pour la trad :pouicbravo:

Ignacy Trzewiczek : Le journal du concepteur du jeu #8 - Merci

Les testeurs - s'ils sont chanceux - verront leurs noms mentionnés vers la fin du manuel. En petits caractères. Quelque part à côté du copyright. Personne ne lit cela.

C'est franchement injuste. Pour commencer à produire un jeu vous avez besoin d'un homme qui l'invente, et de personnes qui le testent. Avant qu'il atteigne les magasins, d'innombrables tours devront être joués, des tours ennuyeux, bancals, frustrants, qui - soyons honnêtes - sont une perte de temps pour le testeur. Ce type pourrait jouer à Race for the Galaxy. Il pourrait jouer à Neuroshima Hex. Il pourrait jouer à Tikal. Mais non. Pendant 1 heure et demie il se disputera avec des règles en temps réel et s'assiéra à côté d'un plateau griffonné qui changera trois fois pendant le tour. Au lieu du matériel de jeu, il aura des morceaux de papier, trois versions des règles, des feuilles avec des règles des versions précedentes de prototypes qui sont retravaillées avec des nouvelles règles pas encore écrites. Et s'il parvient à gagner et a la chance de sentir une tout petite fraction de satisfaction, il entendra toujours : « Ouais, le jeu n'est pas équilibré. Je dois affaiblir l'effet de tes actions… »

C'est un travail terrible, mais il n'y aurait pas de jeux sans testeurs.

Ainsi si ce journal est censé être un rapport sur la création du jeu, sur la façon dont Stronghold est venu à l'existence - et un indicateur plus ou moins utile à d'autres auteurs - je dois mentionner les personnes qui ont accepté de jouer à Stronghold avec moi, les gens qui ont consacré beaucoup d'heures à étudier à fond ce jeu disjoint qui fonctionnait mal ; à s'ennuyer ; et à voir comment je recréais les règles en permanence.

Je ne peux pas imaginer comment je pourrais commencer à travailler à un jeu sans quelqu'un qui s'assiérait avec moi, jouant patiemment et acceptant avec indulgence tous les inconvénients. Sans quelqu'un qui m'inonderait avec des idées de génie à chaque étape, quelqu'un qui ne tirerait pas le jeu dans sa propre direction, mais se contenterait d'observer comment le jeu fonctionne ou se plante - tout en attendant mes mouvements, mes corrections. C'est un travail de saint.

En ce qui concerne Stronghold, ma plus grande reconnaissance va à Salou, le type qui a joué beaucoup de tours du jeu dans son état le pire et le moins gratifiant : quand il n'existait pas, ne fonctionnait pas, quand je venais le voir avec quelques fragments de règle et lui demandais de jouer. Nous avons joué beaucoup de tours et avons beaucoup parlé. Son influence a été grande, car même si j'ai rejeté la plupart de ses conclusions et idées, j'ai également pris beaucoup de ses remarques à coeur et ai essayé de les mettre en application dans le jeu.

Mon nom sera sur la boîte, et pourtant beaucoup d'idées contenues dans Stronghold ne sont pas miennes. Je pense que c'est le cas pour chaque jeu. Et bien, laissez-moi au moins faire un geste envers tous ces amis qui ont consacré leur temps à ce jeu, et leur montrer mon respect.

Salou ? À un certain point vous pouviez donner trois ordres de marche dans le jeu. Pendant plusieurs années, je me rappellerai le visage de Silent quand il a perdu à Stronghold au premier (!!) tour. Salou est entré dans le château comme une voiture de combat lancée à toute vitesse. Après ce tour, le nombre de marches est passé à deux. À un certain point le défenseur obtenait autant de sabliers que ce que l'envahisseur produisait. Et bien, je me rappellerai longtemps ma frustration quand Salou a dit "je passe", » n'a produit aucun sablier, et est entré dans le château. Après ce tour le défenseur a obtenu deux sabliers, même si l'envahisseur n'avait rien fait.

Silent ? Il a co-écrit la règle des catapultes. Vous devez savoir qu'elle est l'une des règles les plus cruciales du jeu. Nous nous sommes assis au MDK et avons discuté parce que les règles des catapultes ne fonctionnaient pas de la manière que je voulais, les machines étions trop puissantes ou trop faibles. Une minute ou deux de conversation, et bang, la solution est apparue. Silent n'a pas créé les catapultes ; Silent est les catapultes.

Obi ? Il a corrigé les règles des personnages parce qu'elles étaient bancales. Il a joué, attendu une heure, puis est venu vers moi avec un ensemble de règles prêtes à être utilisées pour l'officier et le guerrier. Aussi simple que cela. Elles ont été inclues dans dans le jeu inchangées. Elles étaient parfaites.

Michal Oracz et Multi, deux personnes de Portal, ont mis un nombre innombrable d'idées dans le jeu. Il est difficile de les mentionner. Les remarques des testeurs, leurs plaintes, leurs indications, leurs informations, comme quoi ils n'avaent aucune chance, que leur adversaire était trop puissant… Des dizaines de notes, de résultats notés, vérifiant à quel tour le jeu finissait.

J'essaie de me rappeler si j'ai oublié quelqu'un. (C'est possible.) Il y avait 25 personnes participant aux tests de Stronghold. Je n'ai pas envoyé le prototype tout autour de la Pologne ; ce jeu n'a pas été testé « théoriquement » « supposémment, » ou rapidement par des personnes que je ne connais pas. J'étais là à chaque partie. J'ai observé comment ils ont joué, surveillant leurs réactions. J'ai vu comment ils ont appris les règles, comment ils ont utilisé le potentiel du jeu, comment ils ont utilisé des stratégies pour essayer de surprendre et de défaire leur adversaire.

Et j'ai écouté. J'ai continué à écouter ce qu'ils disaient. J'ai mis mes émotions de côté, ai moyenné les opinions, et ai vérifié si elles se répétaient. Si elles revenaient souvent, je corrigeais la règle en question comme suggéré.

Ici je voudrais remercier toutes ces personnes pour avoir consacré des centaines d'heures de leur temps à moi, s'asseyant et jouant avec moi un jeu qui n'était pas terrible à ce moment là. Grâce à leur sacrifice Stronghold a été créé. Et c'est un bon jeu aujourd'hui…

Ignacy Trzewiczek : Journal du concepteur du jeu #9 - murailles surpeuplées

Dans un des premiers articles de cette série j'ai mentionné comment j'avais au début imaginé le Stronghold : Du côté de l'envahisseur une vague d'armées, une ligne d'adversaires anonymes; et sur les murs quelques défenseurs, un groupe extraordinaire, doués de qualités variées. Mon rêve était de faire défendre le chateau par la communauté de l'Anneau.

C'est comme cela que nous avons commencé les tests. Il y avait des pions sur les murs marqués « Héros », «Officier», « Sorcier», et je me demandais si cela ne serait pas suffisant car j'avais encore « l'Eclaireur » et « l'Ingénieur » dans mon esprit. Chacun d'eux a reçu une capacité unique, qui permettait au Défenseur de résister à l'Envahisseur :



Le Héros tuait l'unité la plus forte de l'adversaire sur une section des murailles donnée.
L'Officier pouvait faire un discours et augmenter la force des troupes sur une section des murailles donnée.
Le Sorcier pouvait jeter un sort pour renforcer une partie donnée du mur.
Le Prêtre pouvait guérir les blessés.
L'Eclaireur pouvait détruire les engins de siège.
L'Ingénieur pouvait réparer les murs détruits et construire des chaudrons d'huile.

Une vague d'armées s'approcherait depuis le camps l'Envahisseur, inonderait les murs essayant de les franchir, pour défaire la poignée de soldats se tenant sur les remparts, luttant pour le futur du château. Il y avait des héros parmi eux. Il y aurait un problème quelque part, et le Défenseur enverrait y l'Officier. L'Officier ferait un discours et les troupes résisteraient à l'Envahisseur. Il y aurait un problème ailleurs, le Héros s'y précipiterait, achevant un troll et les choses sembleraient meilleures. Il y aurait des blessés quelque part, et le joueur enverrait le Prêtre et les soldats seraient à nouveau en état de se battre. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Le joueur a douze sections du mur et quatre ou cinq héros et il doit se débrouiller d'une manière ou d'une autre. C'était le concept initial.

Cela paraissait bien - du moins jusqu'à ce que nous avons commencé à jouer. Il y avait les pions des héros positionnés sur les murs, à côté des soldats ordinaires, et les murs étaient surpeuplés ; il a été rapidement clair que cet entassement était inutile. Le déplacement de ces pions le long des murs était laborieux, coûteux (beaucoup de sabliers étaient gaspillés a marcher le long des murs), et dans beaucoup de cas complètement inutile. Au lieu de me concentrer sur quelles actions faire, je me concentrais sur où je devais déplacer un pion, où il devrait se trouver, et combien il allait me coûter. Le coût de déplacement d'un héros était si élevé qu'il n'en valait presque pas la peine. Quand j'ai réduit le coût du déplacement sur les murs une question s'est posée : « Pourquoi représenter où ils se trouvent, si les déplacer ailleurs ne coûte presque rien ? »

Ca ne marchait pas. Si l'Ingénieur se tenait de l'aile gauche de la forteresse, l'Envahisseur utilisait la catapulte pour attaquer le côté droit. Cela n'en valait pas la peine pour l'Ingénieur de courir jusque là pour réparer le mur. Le Prêtre courrait le long des murs pour guérir des personnes, alors qu'il pourrait être dans un hôpital pour cela. De même le sorcier - pourquoi courir s'il pouvait réparer n'importe quelle section avec sa magie… ?

J'ai fait un mini test, un tout petit essai. Malheureusement pour le concept des héros courant le long des murs, l'épreuve était réussie. J'ai dessiné un hôpital, une tour du Sorcier, un atelier sur le plateau, à l'intérieur des murs. Pour deux Sabliers vous pouviez guérir dans l'hôpital, pour quatre sabliers vous pouviez comme par magie renforcer le mur depuis la tour du sorcier ; vous pouviez construire des chaudrons d'huile dans l'atelier. J'avais les actions disponibles, j'avais la variété des actions, et je n'avais pas besoin de devoir me battre avec des pions courant sur les murs. Malheureusement pour la Communauté de l'Anneau, cela tout fonctionnait plutôt bien.

Sans doute je n'ai pas trop aimé cette étape, sans doute je m'éloignais d'un pas de la voie que j'avais imaginée et dont j'avais rêvé, mais je savais que je me dirigeais la bonne direction, que cela me plaise ou pas. Un travail sérieux sur la révolution à l'intérieur des murs avait commencé…