Vision et jeux abstraits

ben dis donc, il parle super bien budnic :pouiclove:

je te laisse écrire, c’est super agréable à lire :pouicok:

Bonjour à tous ! Merci pour cette intéressante conversation…

Cette année, j’ai franchi le pas ! Depuis des années, je m’intéressais au go. J’avais acheté mon premier jeu en classe de cinquième sans savoir y jouer du tout, à l’occasion d’un voyage de classe en Allemagne. J’avais 12 ans, j’en ai 33… Depuis, j’avais pratiqué un peu les échecs en collège-lycée, mais sans plus. Ensuite, alors que je jouais aux jeux de guerre et aux jeux de rôle, la fascination pour le jeu pur et simple m’a ramené vers le go. Mais, pratiquant d’autres activités, je lisais des livres de go et je pratiquais surtout contre un logiciel. Une fois, je suis allé au club de go d’Orsay, mais je n’ai pas donné suite ; deux ou trois ans après, rebelote : je viens, et ce soir-là, ma voiture tombe en panne. Ma malédiction ?

Mais voici que je me suis inscrit et que j’ai pratiqué régulièrement cette année. C’était plus sérieux ! J’ai fait de vrais progrès, trop lents à mon goût, mais il faut dire que j’avais pris des plis venant de mes années à praticoter de manière désordonnée.

Ce qui m’a attiré vers le go, et qui me plaît aussi dans les autres jeux abstraits, c’est le fait que l’on n’a que l’essentiel absolu. Pas de “packaging”, si l’on peut dire. Le résultat est intellectuellement satisfaisant et très esthétique. Cependant, je note que dans mon club, lorsque je parle de cet aspect esthétique, il n’est pas partagé par la plupart des joueurs. Indépendament de la beauté de l’objet (le jeu de go et ses pierres), il y a pourtant des coups qui sont beau. D’autres coups sont qualifiés de vulgaires dans les ouvrages de go : disons “bourrins” ! Ils peuvent se révéler efficaces, mais les meilleurs coups sont souvent beaux, c’est ainsi. Kalos kagathos…

Il y a des styles de jeu très différents, pour répondre à Ivy. Il y a des lutteurs, des combattants farouches qui s’accrochent à vous comme de vrais bouledogues. En luttant contre eux, on transpire, on a le souffle court. D’autres ont un jeu élégant et aérien. Ils jouent avec des formes légères qui, discrètement, les amènent à la victoire. Certains font des formes solides, “terrestres”, de vraies forteresses. Pour continuer mon analogie avec les éléments, je dirai ensuite qu’il y a des joueurs pleins de feu, qui, après avoir posé quelques pierres, se lancent dans des offensives audacieuses, sabre au clair ! Mais au go, on se bat pour l’empire tout entier, pas pour une bataille seulement, donc il faut garder la tête froide, savoir concéder à l’autre… tant que l’on garde 51% pour nous ! C’était une de mes difficultés cette année : ne pas vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Alors, oui, la vision est capitale. On voit à deux ou trois échelles. On voit des séquences. On voit la valeur offensive, défensive, d’une pierre. On voit ou non si on est en avance… Et l’aspect psychologique est capital aussi : je termine souvent une partie en ayant l’impression d’avoir perdu deux kilos à cause de la tension ! Cela ne m’arrivera jamais à Carcassonne, je crois pouvoir l’affirmer… Un ouvrage de go célèbre s’appelle d’ailleurs “How to win a won game” : en effet, la sensation grisante d’être en tête largement amène souvent les joueurs à jouer dangereusement, à vouloir enfoncer l’autre, alors qu’il faudrait au contraire jouer avec prudence.

Ceci dit, malgré mon enthousiasme, je ne suis pas monomaniaque ; regardez ma ludothèque si vous en doutez (au pseudo “Maurice la Grammaire”).

Obtenir la vision d’un jeu abstrait, sortir du néant qui caractérise nos repères quand on l’aborde la toute première fois, c’est finalement être capable de caractériser par une série d’attributs.
Qualifier en la voyant la position d’une pièce comme une pierre, vivante ou morte, dangeureuse ou inoffensive, connectable ou isolée, radiante ou sous-exploitée …
Qualifier en le prévoyant les implications premières d’un coup, offensif ou défensif (les deux ?), contraignant ou non, prophylactique ou tendu …
Qualifier en la voyant une zone du plateau, que celui-ci soit fixé ou modifiable, amie ou adverse, contrôlée ou débattue, stable ou déséquilibrée …
Et enfin qualifier en la voyant une position entière, avec les attributs qui caractérisent le jeu pratiqué.

Je ne pense pas que ces attributs soient personnels à chaque joueur, ils relèvent du jeu lui-même et être capable d’acquérir sa vision c’est découvrir suffisamment d’attributs, en devenir familier afin que de notre oeil (quid du jeu à l’aveugle ?) à notre cerveau la position se traduise naturellement en caractéristiques qui seulement alors mènent notre réflexion. C’est sans doute là qu’interviennent l’expérience et les schémas mémorisés, comme une banque de données de caractéristiques pré-établies.

Et il y a alors en cette familiarité des attributs une possible explication de notre capacité à voir dans un jeu et non dans un autre. Que sait, individuellement, chacun de nous de ces attributs et quelle en est sa propre vision. Les jeux abstraits nous diraient donc, selon notre aptitude à les pratiquer, quelle vision du monde (imaginaire mais aussi réel) nous avons forgée au fil des ans. Qu’acceptons-nous finalement de remettre en cause ?

Tout cela bien sûr à la condition expresse que je n’ai pas trop tiré sur le … :^:

Tout cela est très vrai.

Ecoutez cet homme.

:china: