A nos amis Belges.

Il faut maintenant faire une parenthèse expliquant un élément typiquement belge. Beaucoup de lois régissant l’organisation structurelle du pays sont inscrites dans la constitution belge. Pour les changer, il faut entre autre une majorité des 2/3 au parlement (et au moins une majorité simple dans chacun des rôles linguistiques).

Après les élections, vu que la plupart des partis ne voulaient pas d’une tripartite au gouvernement (qui est en fait une hexapartite, vu les deux rôles linguistiques), vu que traditionnellement, les gouvernements belges sont symétriques (on va au gouvernement avec son parti frère, par exemple le MR (droite wallonne) ne va pas aller au pouvoir sans le Open VLD (droite flamande)) et, vu la place très importante de l’extrême droite flamande (le Vlaams Belang a reçu à peu près 1/4 des voies des flamands), il n’y avait que l’association des 4 partis suivants qui avait une majorité simple au gouvernement: les libéraux flamands et wallons (Open VLD et MR) et les “Centristes” à savoir les Chrétiens-démocrates flamand (CD&V) et les centristes wallons, anciennement Chrétiens-démocrates (CDH).

Le roi a désigné tout d’abord un informateur qui prépare le terrain pour faire un gouvernement, puis un formateur qui est souvent le futur premier ministre qui fut Yves Leterme (CD&V).

Et les négociations houleuses ont commencé. Le CD&V ayant fait sa campagne sur des revendications séparatistes voulait placer beaucoup de revendications flamandes que les wallons ne veulent pas (ils ne sont pas demandeurs de transférer encore des compétences supplémentaires aux régions et de transformer l’état fédéral en une coquille vide.)

Les libéraux flamands, seul parti dans la future coalition à avoir perdu les élections, montrent les dents sur le terrain séparatiste puisqu’ a priori, cela leur permettrait de regagner les voies perdues aux élections. Ils n’ont pas intérêt à entrer dans un gouvernement où ils ne parviendraient pas à mettre leur vraie empreinte.

Les libéraux wallons, fiers de leur place de premier parti wallon en nombre de voix suite à la chute des socialistes wallons, se montrent exigeants sur leur revendications (classique pour la droite: baisse des impôts, sécurité accrue, etc) et ne sont pas demandeurs de donner des pouvoirs supplémentaires aux régions. Il faut ici préciser que les élections ne sont pas couplées en Belgique et qu’aux dernières élections régionales il y a plusieurs années, les socialistes wallons les ont mis dehors du gouvernement wallon en les remplaçant par les centristes wallons (CDH).

Quant au CDH, il est le plus petit parti à être appelé au gouvernement. Il doit montrer ses idées dans le gouvernement et se méfie de servir de punching-ball (“c’est todi le p’tit qu’on sprotche”). Il faut aussi ajouter qu’il y a 8 ans, les écologistes au pouvoir, plus petits partis du gouvernement, avaient hérité des casseroles et les autres partis lui rejetaient l’ensemble des fautes, ce qui avait provoqué leur chute aux élections suivantes. D’autre part, il faut aussi dire que le CDH gouverne aussi la région wallonne avec les socialistes et qu’il devra ménager les chèvres et les choux (gouverner avec un parti de gauche à la région et un parti de droite au fédéral, tout en étant chaque fois la plus petite composante). Enfin, tout en étant centriste, il sera le parti le plus à gauche de la future coalition et sera donc le seul à défendre des idées plus traditionnellement à gauche (par exemple: maintien de l’allocation de chômage sur le long terme).

Précisons enfin que certains partis de la future majorité ont, pour gagner plus de voix, formé des cartels avant les élections avec des partis séparatistes qui imposent plusieurs idées séparatistes. Citons ainsi la NVA, aiguillon séparatiste au sein du CD&V.

Après deux mois, où en sont les discussions? Yves Leterme a sollicité une pause dans les négociations auprès du roi. Il dit que les divergences sont actuellement trop fortes. Les hommes politiques de tout bord sont en train de faire des discussions informelles.

Pour expliciter cette volonté des flamands d’augmenter les pouvoirs aux régions citons certaines revendications: (Je ne suis évidemment pas pour ces revendications, le commentaire en italique étant strictement personnel).
- Sécurité routière (On aura bientôt deux codes de la route en Belgique. Ainsi, sur une route qui longe la frontière linguistiques, on devra rouler à 70 km/ h en Flandre et à 90 km/h en Wallonie. :| )
- Soins de santé. Transfert des normes de remboursement des médicaments. (ta boite de pilule, en Flandre te sera remboursée 15 euros, en Wallonie, 8 euros :| )
- Politique familiale. Communautarisation des allocations familiales (Un enfant né à Brugge de parents Brugeois recevra plus d’argent qu’un enfant né à Liège. Et un enfant de père flamand et de mère wallonne? :| )
- Justice. Défédéralisation des poursuites pénales pour certains délits (Et toi, le dealers de Bruxelles, va vendre ta beuh en Flandre, tu ne seras plus poursuivi. :| )
- Immigration. Défédéralisation de l’acquisition de la nationalité et statut des étrangers (ça, je n’ose même pas penser ce que ça pourrait être… Des relents de politique d’extrême droite? :| )
- Secours. Défédéralisation du statut des services de secours. (Avant de tomber, regarde dans quelle région tu te trouves avant de choisir ton numéro d’appel d’urgence. Et attention, pas question de parler français à l’ambulancier flamand :| )
- Fiscalité. Régionalisation de la fiscalité sur l’impôt des personnes physiques et des sociétés. (Tu paieras moins d’impôts si tu t’installes en Flandre… A l’heure de l’unification européenne, c’est pas gagné).

Comme on peut le constater, derrière beaucoup de revendications flamandes se cache une affaire de gros sous (dixit « il faut arrêter de donner de l’argent à ces chômeurs wallons socialistes. ») Par exemple, la Flandre veut scinder l’impôt sur les personnes (il y a plus de flamands riches que de wallons riches); par contre, elle ne veut pas scinder les pensions (il y a plus de personnes âgées en Flandre qu’en Wallonie).

De plus, la plupart de ces réformes demanderaient une majorité des 2/3 (modification de la constitution), ce que la future coalition n’a pas. Elle devra donc trouver des partis de l’opposition qui seraient pour ces réformes. Mais les socialistes flamands et Wallons et les écologistes flamands et wallons ne vont pas aider la formation du gouvernement sans contrepartie importante, ce qui fait dire aux partenaires wallons du futur gouvernement qu’il est idiot de négocier ce genre d’accord de réformes avant d’avoir l’accord des futurs partis d’opposition.

Après ces revendications, les wallons, au départ, demandeurs de rien ont fini par proposer d’autres revendications à relent communautaire en “échange” des revendications flamandes.
- Organisation d’une consultation populaire pour connaître l’appartenance linguistique des habitants de certaines communes. (Actuellement, on suppose que certaines communes près de Bruxelles ont plus d’habitants francophones que de néerlandophones, mais il est interdit de faire un sondage, de peur que certaines communes flamandes à majorité de francophone demanderaient de devenir communes bruxelloises bilingue.)
- Fins de la double majorité au parlement bruxellois qui offre actuellement aux flamands de Bruxelles un levier permettant de bloquer certaines décisions malgré qu’ils soient très peu nombreux.

Et mon avis pour le futur…


Je suis d’avis que ça va se tasser. Chaque parti va mettre de l’eau dans son vin et on finira par avoir un gouvernement de centre-droite. Les flamands n’iront pas jusqu’à la séparation puisqu’ils perdraient Bruxelles et le statut européen que la Belgique a actuellement. D’autre part, ils n’ont pas envie de faire revoter. En effet, ils auraient peur que l’échec des négociations gouvernementales profite à l’extrême droite (Vlaams Belang) qui finira par être premier parti flamand et profite aux socialistes wallon, symbole pour les flamands du déclin économique wallon et du syndrome « chômeur carolo se complaisant dans son état de profiteurs des aides fédérales payés par les impôts flamands. »

Et mon souhait du futur de la Belgique…

C’est utopique mais je suis pour une refédéralisation totale des compétences régionales (L’union fait la force, devise de la Belgique). On est un si petit pays. Je serai aussi pour un bilinguisme total partout en Belgique (même à Arlon, on pourrait faire une demande administrative en Néerlandais). Et je serai pour des élections fédérales dans lesquels les wallons et les flamands pourraient voter pour des politiciens flamands et wallons, ce qui épargnerait des excès séparatistes pour aussi plaire aux habitants de l’autre communauté.



En vous remerciant d’avoir lu mon (très) long avis,

François “Flapy” Lapy

:pouicbravo:
merci pour la synthèse.

Après une pareille lecture, je me sens tout flapi, si je puis dire…

Je ne suis pas entièrement d’accord avec Flapy, même si j’aimerais partager son optimisme… Jusqu’il y a quelques mois, le séparatisme était un truc de flamands. Aucun Wallon n’y pensait, et même si des négociations post-électorales ont déjà été houleuses, du côté wallon en tous cas, personne ne pensait au séparatisme. De plus, les francophones avaient des demandes précises qui étaient satisfaites grâce au transfert de compétences, ce qui n’est pas le cas cette fois-ci. Dans la mentalité des gens aussi, tout a changé. Le 13 décembre, notre chaine de TV, la rtbf, diffusait un docu fiction sur la séparation de la belgique. Certains ont cru que c’était vrai et cela a fait l’effet d’une bombe. Depuis, les gens voient le séparatisme comme une possibilité, voire même y sont résignés. Ainsi, il n’est plus du tout tabou ici de parler d’un possible rattachement de la wallonie à la France ou d’une confédération avec le luxembourg, par exemple.

Je ne sais pas où tout ça va mener. Le constat des flamands que la wallonie est mal gérée n’est pas entièrement faux. Je comprends bien qu’ils ne veulent plus de transfert d’argent dans ces conditions, mais outre le fait que de 1830 à il y a 25 ans, le transfert allait dans l’autre sens et que ce n’est pas très éthique de refuser la solidarité lorsque ce n’est plus eux qui en bénéficient, ils pourraient préférer remettre des compéteces au fédéral pour avoir un droit de regard sur notre gestion. C’est donc une fausse excuse. Pourra-t-on rester fédérés contre 60% de la population? (proportion de flamands en belgique)

edit:

flapy dit:plein de trucs


j’ignore la pertinence de cette intervention flapy, mais c’est en tout cas bigrement interressant comme lecture… merci pour cette petite synthese.

donc si j’ai bien compris, et pas trop lu en diagonale, c’est des gros sous, et politiciens qui veulent le devant de la scene…

rien de bien neuf dans ce monde finalement…

[HS]
caramba, Madame Phal, Cookie, épouse de Flapy… Ca tourne mal TT… :)
[/HS]

El comandante dit:[HS]
caramba, Madame Phal, Cookie, épouse de Flapy... Ca tourne mal TT... :)
[/HS]

non, ca tourne female

Une synthèse claire et assez concise vu la situation embrouillée, merci flapy :pouicbravo:

Et dire que pendant ce temps là, on essaie de construire l’Europe…

scand1sk dit:Et dire que pendant ce temps là, on essaie de construire l'Europe...


J'avoue que c'est un peu le genre de reflexion que je me suis fait en lisant l'intervention de Flapy.

Etant expatrié, mais en milieu etudiant, j'ai l'occasion de rencontrer pas mal de nationalités...

Je regarde dans mon entourage mes collegues/amis:

une portugaise
un ecossais
un couple d'allemands
un irlandais
une polonnaise
(entre autres)

Eh bien, mine de rien, on se sent plutot proche l'un de l'autre pour une raison simple: au dela de nos nationalités respectives, nous sommes europeens avant tous.
Donc paradoxalement, je me sens bien plus proche d'eux que d'un alsacien,un breton, un basque ou un savoyard qui veut crier à la France entiere son identitée et sa volontée independentiste ( je sais que c'est assez caricaturale, mais bon...).

La crise identitaire belge me laisse donc perplexe... mais il est vrai qu'a la relecture de ce qui à été dit ci-dessus, on se rend compte que le probleme n'est pas aussi simple que cela, et ce n'est pas en disant "je suis europeen" que ca va arranger les problemes et les conflits d'interets locaux...

Il ne faut pas oublier que pour garder le pouvoir politique, médiatique et économique, l’oligarchie est souvent prête à user de tous les recours. S’il s’agit de faire monter la sauce entre communautés pour provoquer un resserrement autour de leur personne/parti/slogan, no problemo. Regardez à la fin des années 80 comment Milosevic est passé en quelques semaines de l’apparatchik communiste convaincu au nationaliste exalté.
Après, la réaction doit se chercher du côté de la société civile, qui va mettre des garde-fous autour de ces responsables politiques et chercher à démonter son discours. Mais la tâche est rude car il n’y a rien de plus mobilisateur que le narcissisme des petites différences, surtout lorsqu’il y a des difficultés économiques. Et je crois qu’aucun pays n’est à l’abri de ce genre de dérive.

ce qui n’arrange rien c’est que la montée des nationalistes en Autriche a valu une levée de boucliers alors que la montée du nationalisme flamand n’a pas reçu de réponse adéquate pour la simple raison que la capitale de l’Europe étant en Belgique personne n’a voulu faire de vagues.

Il faut quand même savoir que la Belgique n’a jamais ratifié le traité international sur le respect des minorités parce que la politique menée par les Flamands va a l’encontre de ce traité.

AFP dit:La Belgique s'est enfoncée jeudi dans la crise politique qui la guettait depuis plusieurs jours avec la décision du plus populaire des hommes politiques flamands, Yves Leterme, de renoncer à forger une coalition avec des francophones opposés à son projet de réforme de l'Etat.
Après cinq semaines de vains efforts pour amener les libéraux et les chrétiens-démocrates, tant flamands que francophones, à s'entendre sur une nouvelle répartition des pouvoirs entre l'Etat fédéral et les trois régions du pays (Flandre, Wallonie, Bruxelles), Yves Leterme a arrêté les frais en demandant au roi de le décharger de sa mission.


Il se passe quoi alors maintenant? :?

boarf après tout la Belgique …

tom-le-termite dit: Il se passe quoi alors maintenant? :?


Le Roi va à nouveau consulter les présidents de partis et désigner un nouveau formateur chargé de mettre sur pied une majorité gouvernementale. Reste à espérer qu'il aura plus de chance qu'Yves Leterme.

Une question importante à se poser pour l’avenir de la Belgique est aussi celle de la succession d’Albert II. Comment les flamands vont-ils accepter le prince Philippe ? Le moins que l’on puisse dire est qu’ils semblent n’avoir aucune estime pour lui.

Je crois vraiment que les choses risquent vraiment de bouger à ce moment-là… :?