Si je suis d’accord avec le début de ton post (loïc), à savoir que la violence engendre la violence, je m’inscris en revanche totalement en faux avec cela :
La plupart des manifestations dégénèrent suite à des provocations des FO. J’ai longtemps été sceptique à ce sujet, mais les reportages, les témoignages (de journalistes, de policiers,…), ma propre expérience, montrent que les FO sont quasi systématiquement à l’origine des débordements. Si tu provoques une foule, ça dégénère.
Message également relayé par Saxgard sur lequel je n’ai pas rebondis tant ce discours émane selon moi de personnes (là je pense à certains journalistes, pas à vous en particulier) n’ayant aucune notion de maintien de l’ordre.
Je ne connais pas un CRS (et j’en fréquente au quotidien) qui se lève le matin en se disant : “chouette, aujourd’hui y’a manif, on va défoncer du manifestant !”. Je ne connais pas un “moblo” (le petit nom des gendarmes mobiles) qui se lève le matin en se disant : “chouette, aujourd’hui je vais éborgner un GJ !”. Je ne connais pas un membre des FSI qui a envie d’aller se bagarrer avec des pompiers, des infirmiers, ou simplement des citoyens qui, comme beaucoup de monde, peinent à boucler leur fin de mois.
En revanche, qu’il y ait des stratégies mises en place en amont qui soient plus ou moins oppressives pour les manifestants, c’est un fait ; on peut penser à la nasse plus ou moins relâchée.
La doctrine employée au début des années 2000 était à ce titre principalement un déploiement dans les rues parallèles au cortège, avec barrage en retrait pour éviter les débords du cortège dans les axes voisins. L’avantage était d’invisibilisé au maximum la présence des FOs mais avait pour inconvénient de ralentir leur action si nécessité d’intervenir. Je l’ai encore vu pratiquer à Nantes l’année dernière (preuve qu’elle est encore possible à appliquer), et personnellement, c’est une stratégie qui, je pense, doit être utilisée prioritairement. Cependant, elle était aussi rendue possible à l’époque (donc début des années 2000) car les manifestations étaient moins “mouvementées” et souvent encadrées par des tiers avec lesquels il était possible de dialoguer (les syndicats notamment, les leaders des mouvements ultras dans le cadre des manifestation sportive, etc.).
Mais la nature des rassemblements a évolué depuis. Typiquement, dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes ou de la Manif’ pour tous (pour prendre deux extrêmes sur l’échiquier politique, mais les deux ayant engendré des critiques à l’égard de la réaction des forces de maintien de l’ordre), ce qui a désarçonné les autorités, c’est l’absence de meneurs clairement identifiés avec lesquels se réunir pour définir les contours de l’évènement. Car oui, une manifestation, qui je le rappelle doit être déclarée, se prépare bien avant le jour J. A cela sont venus s’ajouter des mouvements autonomes, souvent sans rapport avec les manifestants, et ayant des objectifs autres que de simplement faire entendre leurs revendications. Pour tenter de faire face à cela, la stratégie a évolué vers un encadrement plus resserré des cortèges (donc plus oppressif) afin de mieux le contrôler et un déploiement plus important d’effectifs pour essayer de contrer les groupes mobiles venus pour en découdre. Forcément, du point de vue du “simple” manifestant, il en ressort un sentiment malaisant de déploiement de force inutile…
En d’autres termes, préparer une manifestation aujourd’hui (dans la plupart des cas) revient à préparer un repas sans connaître le nombre de convives, leur préférence alimentaire, et si ils resteront dormir à la maison, et avec la certitude que de toute façon, il y aura des mécontents. Le dilemme n’est pas simple pour les Préfets, que je suis loin de porter dans mon coeur je vous l’assure, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une manifestation dégénère mais qui n’ont aucun intérêt non plus à voir des images de leur ville saccagée au 20h d’une grande chaine.
Concernant maintenant ce qui se passe le jour J, et les soit-disant provocations des forces de l’ordre, et hors les cadres d’usage des armes (létales et non létales prévues par la légitime défense (122-5 du Code Pénal) et par l’article L435-1 du Code de la Sécurité Intérieure), analysons la chaine de commandement. L’ordre d’intervenir qui entraine généralement l’usage des gaz lacrymogènes ou des LBD est pris par l’autorité administrative (donc le Préfet ou son représentant) qui expose le but à atteindre (disperser la manifestation, interpeller un groupe de casseurs, etc.). Cet ordre est relayé au(x) chef(s) du dispositif (souvent un Commissaire) qui lui même le relaie aux chefs de section (commandant, capitaine et/ou lieutenant). Ce sont ces derniers (qui sont sur le terrain) qui vont décider des tactiques et des moyens employés pour parvenir à l’objectif à atteindre ; une fois le mode opératoire définit, ce dernier est communiqué aux chefs de peloton qui vont ensuite déployer et faire agir leurs hommes en fonction de la tactique définie.
J’ai dû mal à croire que si à l’un des échelons de cette chaine, quelqu’un décidait, par le plus grand des hasards, qu’il est plus que temps de “casser du manifestants”, il n’y ait pas d’autres voix pour s’opposer à ce qui serait manifestement un ordre illégal. Comme je l’ai dit, que ce soit au plus haut sommet de la chaine (le Préfet qui joue son poste) ou au plus bas (les hommes et les femmes qui “vont au charbon”), personne n’a véritablement un intérêt à voir la manif’ partir en sucette.
J’entends déjà les voix qui me diront ; “oui, mais le gouvernement, il a un intérêt à voir la manif’ dégénérer pour décrédibiliser le mouvement !”. La manoeuvre politique est connue mais quand bien même une consigne (plutôt qu’un ordre) serait donnée en ce sens, ni le Préfet (premier fusible à sauter en cas de “grosse cagade”) ni les exécutants (des officiers qui jouent leur grade au “troufion” de base qui lui joue sa santé) n’y ont un quelconque intérêt. Après, on peut sombrer dans les théories complotistes les plus farfelues.
Reste les cas individuels une fois que la situation a dégénéré. Les manifestations ont lieu la plupart du temps en environnement urbain, milieu extrêmement difficile à maitriser (je vous renvoie aux ouvrages stratégiques consacrés à ce sujet), et dans un contexte fortement dégradé (bruit, fumée, formations dispersées, voir mêlées les unes aux autres, etc.). Ce n’est pas une bataille napoléonienne, avec des unités constituées qui se font face. Croire qu’il est possible dans ces conditions d’ajuster un tir de LBD en plein visage d’une cible volontairement choisie, je n’y crois pas. Attention, je ne nie aucunement les mutilations engendrées par l’usage de ces armes, mais je nie en revanche l’aspect volontaire de la chose. De la même façon qu’il est totalement stupide de penser qu’il est possible de lancer une GLI en pleine nuit dans le sac à dos d’un manifestant. Ceux qui prétendent cela a des fins politiques n’ont probablement jamais connu le chaos du champ de bataille.
Est-ce à dire que tout va bien dans le meilleur des mondes ? Loin de moi cette idée ! Personne ne devrait revenir d’une manifestation avec un oeil ou une main en moins, c’est une évidence. Mais croire qu’il y a une volonté des FSI a mutiler volontairement leurs concitoyens, voir des ordres qui seraient donnés en ce sens, c’est à mon sens faire insulte à la grande majorité de la profession.
Reste après cela quelques brebis galeuses (je repense à ce CRS faisant un croc-en-jambe volontaire à une manifestante en train de courir) qui n’ont bien évidemment rien à faire dans les rangs des FSI. Mais puisqu’il est de bon ton lorsqu’il s’agit des mouvances extrémistes de désigner de tels individus comme des moutons noirs desservant “la cause”, je crois que l’on doit pouvoir dire dans le cas des FOs qu’il s’agit là encore de l’exception plutôt que de la norme.
… quand tu détruis méthodiquement les services de l’Etat, le résultat est toujours le même : ça explose.
C’est un point sur lequel je suis tout à fait d’accord avec toi.