Ce matin est tombée l’annonce des nommés pour l’As d’Or. J’ai été pris un peu au dépourvu parce que j’avais zappé l’heure de mise en ligne. Alors j’ai fait vite. Très vite. Du coup, je me dis que je pourrais prendre une petite heure pour dire certaines choses. Parce qu’il y en a des choses à dire. Alors je me colle devant mon clavier et je laisse courir mes doigts sur les touches. J’écris les mots comme ils viennent. Sans recul.
Ne fais pas ci, ne fais pas ça…
Depuis quelques années, le prix organisé par le festival des jeux de Cannes, l’As d’Or/Jeu de l’année est victime de polémiques. De discussions sans fin. Trop de ça. Pas assez de ça. Il faudrait faire comme ceci. Puis comme cela. Ce serait mieux si…
Alors l’équipe organisatrice, et les membres du jury essayent de faire au mieux. Je sais de quoi je parle, je suis dans ce jury depuis 2003. Oui, cela fait 15 ans cette année. Ce n’est pas rien. Et même cela a été critiqué, discuté. « Il faut renouveler le jury ! », « il faut éviter les gens qui s’accrochent comme une moule à un rocher ». Je suis d’accord. Tellement d’accord que ce jury a été renouvelé quasi tous les 2 ans depuis que j’y suis. Mais j’y suis encore. Il se trouve que - par affection sans doute, car je n’ai pas de très beaux yeux - les organisateurs veulent que je reste. J’ai beau dire que le « boulot » que l’on m’a demandé au début a été fait, ils me demandent chaque année de rester. Ce « boulot » consistait à faire en sorte que les « joueurs », vous, moi, nous, s’intéressent à ce prix et s’y reconnaissent. Histoire que le secteur se développe et prenne de plus en plus de place dans les loisirs des Français. Je crois que si l’on compare l’impact du prix il y a 15 ans et maintenant, on peut dire que l’équipe organisatrice de ce festival et de ce prix n’ont pas à rougir du travail accompli.
Les lignes bougent.
Être membre d’un jury de ce calibre n’est pas facile. Il faut à la fois se faire confiance et se mettre en doute. Il faut écouter son âme de joueur, mais aussi être ouvert à ce qui ne nous touche pas forcément. Et surtout à ce que chacun de nous a à dire. Nous avons une mission, nous devons nous adresser aux autres, à un public qu’il faut définir chaque année. Parce que les attentes ludiques, la culture ludique évaluées à un moment M ne sont plus les mêmes à un moment M+1. Ce qui était expert il y a 15 ans peut l’être moins maintenant. Ou le contraire. Les lignes bougent.
Mais les lignes du public ne sont pas les seules à bouger. Le secteur aussi change. Il n’est plus le même qu’il y a 15 ans. Les plus attentifs m’ont déjà entendu le verbaliser, nous sommes en ce moment même au milieu d’une mutation. Et on peut le voir avec la sélection de cette année. Avec les jeux qui sont nommés et ceux qui ne le sont pas.
7 membres du jury à Bordeaux !
Le règlement.
La question qui se pose, va faire polémique, concerne les jeux qui ne passent pas par la case boutique. Elle l’est aussi avec les jeux qui sont disponibles, après des efforts considérables des éditeurs, à l’ouverture du salon des jeux de Cannes, mais qui ne sont pas sélectionnés. Pourquoi « 7th Continent » qui est le Tric Trac d’Or 2017, qui est l’un des jeux marquant de ces dernières années n’est pas nommé ! Pourquoi des jeux comme « Décrypto », « Welcome to » ou « Château Aventures » ne sont pas nommé ! Pourquoi « Oliver Twist », « Kingdom Bunny » ne sont pas nommés !
J’ai la réponse. Parce qu’il y a un règlement. Que ce règlement a été bougé à chaque fois que nécessaire, et qu’a chaque fois cela fait monter au créneau des gens qui ne font rien si ce n’est critiquer. Qui ne font surtout aucun effort pour envisager, imaginer ce qui est en train de se produire dans le secteur. Ou socialement, culturellement. Parce qu’il y a une industrie, un public et un monde qui se transforment.
Prenons le cas « 7th continent ». Si le jury le nomme, si le jury le prime, comment vont faire les visiteurs du festival pour se le procurer ? Ils ne peuvent pas. Tout simplement. L’organisation pourrait faire un prix spécial. Certes. Mais l’industrie veut de la simplicité, de la clarté. Pour les médias généralistes. Trop de catégories, trop de prix et tout le monde est perdu. Il y a 10 ans nous avions une liste de 10 finalistes. Il a fallu faire des catégories. Parce que les éditeurs trouvaient ça plus clair. Nous avons fait un prix du jury, pour éviter la frustration. Mais cela n’a pas été spécialement bien « compris », « accepté ». Alors plus de prix spécial du jury.
Et puis il y a les boutiques. Elles veulent que les jeux nommés soient disponibles. L’année dernière, avec « Scythe » la pénurie était là. Quelques années avant, c’est « Skull » qui a posé soucis. « Skull » étant disponible dans les boutiques 1h avant l’ouverture du salon. Alors en 2018 plus de risque. Les jeux qui n’ont pas au moins quelques semaines d’existence en commerce ne peuvent pas prétendre. L’année prochaine leur tend les bras. Peut-être…
Et il y a les catégories. Ces fameuses catégories. Éliminant de fait tous ceux qui sont en bordure. Trop ou pas assez. Ces jeux dans une zone de flou quant au public cible. « Mais ce n’est pas expert ça ! » « Mais ce n’est pas grand public ça ! ». « Expert », « Grand public », ces termes n’ont que le sens qu’on leur donne au moment où on leur donne. Valable uniquement durant une courte période. Qu’est-ce qu’un « expert » du jeu ? Perso j’en sais rien. En vérité. J’ai commencé dans le ludique par des jeux que l’on pouvait nommer « expert » et pourtant je n’y connaissais rien à l'époque.
Pour comprendre
La vraie question qui se pose est donc de savoir pourquoi et pour qui un prix est organisé. Quels sont ses motivations, son but. Celui de Cannes a toujours été clair. Il est attaché au salon. Un salon qui permet au plus grand nombre de découvrir le monde du jeu. Un salon pour les gens de la région, mais pas seulement. Pour les joueurs, mais pas seulement. Un salon dans lequel les professionnels doivent se reconnaitre. Aussi. Donc les jeux doivent être disponibles à l’achat. Maintenant. Là. Tout de suite. Ce prix doit répondre aux exigences du public et des professionnels. Les uns essayant de séduire les autres, tandis que les autres essayent d’expliquer aux uns par quoi ils veulent être séduits. Et au milieu il y a un jury et des organisateurs. Des gens qui essayent de faire au mieux et qui ne gagnent rien. Keud. Nib.
Le problème, c’est qu’il y a de plus en plus de jeux, de plus en plus d’attentes, de demandes, de propositions. Et chacun, légitimement, se sent prioritaire. Pense qu’il a raison. Mais nous ne sommes pas un. Nous sommes pleins. Multiples. Et nous essayons tous de composer. Industriels, public, jury, organisateurs. Et c’est de moins en moins facile.
Question
La question qui est interessante, pour moi, est de savoir pourquoi tout cela a autant d'importance. Finalement. Pourquoi autant de monde s'exprime. Pourquoi autant de monde donne son avis. En bien. En mal. Qu'est ce qui fait qu'un truc qui n'existe pas, que des êtres humains mettent en place, dans l'anonymat le plus total au départ se retrouvent sources d'autant de remarques et de critiques alors même que si on en est là c'est bien que ces gens "qui font" ont "fait" et qu'ils ont essayé de faire au mieux. Comme il fallait... Cette réflexion chez moi est d'autant plus forte que Tric Trac est souvent victime de ce phénomène, en ce moment même sur les réseau sociaux, et que par la même je prends aussi au passage, grand méchant que je suis. Mais rassurez-vous, je le vis plutôt bien. C'est juste philosophique. C'est juste mon intérêt pour les sciences sociales et tout ce bazar qui va avec...
Relecture
Bon, je ne savais pas où j’allais aller en posant mes mains sur le clavier. Cela fait 1h que je tape. Je ne me suis pas relu. Je ne sais pas si cela sert à quelque chose. Si cela est intéressant. Clair. Mais j’ai envie de dire que depuis 15 ans que je suis dans ce jury, je n’ai vu que de la bienveillance chez les autres membres du jury et les organisateurs. Je ne sais pas si je serais encore membre l’année prochaine, parce que je vais encore leur dire que je veux arrêter. Et je pense qu’ils vont me faire ce regard qui me fait croire que je suis « important ». Alors mon égo va craquer. Et je vais signer pour une année de plus. Mais si ce n’est pas le cas, je voudrais juste dire que vraiment, les organisateurs de ce prix font leur maximum pour faire un truc bien. Oui. Faire un truc bien. C’est leur seul moteur. Le secteur se transforme, le public aussi, il va donc falloir encore se poser des questions… Ce que nous avons commencé à faire.
Je vais m'arrêter là. J'ai le sentiment d'avoir encore 1000 trucs à dire du coup. Je reviendrais plus tard... Peut-être...
Quoi qu'il en soit, on se voit à Cannes... Pour les résultats !
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