[Escape from Colditz - 75th anniversary]
Chaque jeu a son histoire. Mais parmi toutes ces histoires, il y a de grandes histoires et parmi celles-ci de grandes histoires dans l’Histoire. Escape from Colditz est de ceux-ci. S’il est possible d’y jouer sans trop s’occuper de son histoire et de l’Histoire, s’y intéresser d’un peu plus près vous fait entrer dans un monde étonnant rempli de dangers, d’hommes au courage incroyable, aux tentatives d’évasions audacieuses, aux relations étranges qui se tissent entre gardiens et prisonniers de guerres, le tout cristallisé autour d’une forteresse imposante sur son piton de granit : Le Château de Colditz.
La version de 1973 avec, pour certains, l'effrayante svastika,
pourtant historique, remplacée par la suite par l'aigle impérial
Crédit Photo : Graham Dean
Découvrir son histoire, c'est découvrir le jeu !
Colditz est une forteresse dont l'origine remonte au 11ème siècle. Lorsqu'éclate la deuxième guerre mondiale, le château devient le Oflag IV-C (Offizier Lager) et les autorités y emprisonnent les officiers alliés dont la plupart se sont déjà rendu "coupables" d'une tentative d'évasion. Le Haut-Commandement Allemand pensaient l'endroit à l'épreuve des évasions. Pensez donc : une garnison bien plus nombreuse que les prisonniers, une enfilade de portes et postes de gardes pour sortir par le chemin "officiel", un ensemble de bâtiments où logent les prisonniers qui donne sur une cour intérieur fermée et des fenêtres à barreaux de fer à près de 30 mètres de haut pour certaines. Ajoutez-y un éclairage massif de nuit, des palissades avec des barbelés, des rondes avec des chiens et encore quelques précipices de hauteurs variables... et quasiment 650 kilomètres minimum avant de passer dans un pays qui n'est pas sous le joug nazi. Pourtant, les tentatives d'évasions étaient envisagées dés le départ : les soldats et officiers, gardiens des lieux, lisaient, affiché dans la salle des gardes, qu'il était du devoir des prisonniers de tenter de s'évader et qu'il était de leur devoir à eux de les en empêcher.
Colditz : Les prisonniers étaient retenus dans la partie la plus à gauche où l'on devine la cour intérieur
Cependant, conséquence de cette décision, Colditz, de fait, devient l'un des plus grands rassemblement d'officiers, dotés de solides bagages intellectuels dans divers domaines par leur origine social et leur parcours, couronnée, ne serait-ce que pour conserver leur santé mentale, d'un caractère pugnace : Une sorte d'Académie de l'évasion. Il en résultera un incroyable déploiement de tentatives d'évasions, toutes plus variées, et parfois folles, les unes que les autres. À tel point que, suite à la rencontre inopinée, souterraine et néanmoins désagréable de deux groupes de prisonniers de nationalités différentes creusant chacune un tunnel, les prisonniers montèrent une organisation hiérarchique pour gérer ces tentatives. Les officiers "d'évasion", communiquant avec leurs homologues d'autres nationalités, retardaient parfois telle tentative pour laisser plus de chances à une autre d'aboutir... et de fait, certaines réussiront : un peu plus d'une 30 sur les 330 tentatives pendant les quatre années et demi de service de la prison jusqu'à sa prise par les troupes américaines en avril 1945.
Le faux prisonnier qui permettait de cacher l'absence d'un prisonnier lors du comptage à l'appel
Contrebandes, marchés noirs, récupérations de tout ce qui leur passaient sous la main, tout est bon pour mettre en action les différentes étapes d'un plan d'évasion : le linoléum se transforme en tampon pour les faux papiers ; les couvertures deviennent des uniformes allemands, y compris les casquettes ; les taies d'oreillers sont débitées et tressées pour obtenir des cordes ; boussoles cachées dans des noix de colis ; reproduction des clés, d'armes en bois et de holsters en carton ; voir même deutsch marks caché dans des plateaux de jeu ou dans des paquets de cartes à jouer...
Départ en promenade par l'entrée principale
ou Départ en draps par la fenêtre arrière ?
Les éléments photographiques du livret écrit par le major Reid dans la boite du jeu
Toutes les manières de s'évader sont envisagées : déguisement en femme (qui ratera à cause d'une montre perdue et des autres prisonniers ignorants de la tentative qui la sifflent), en ouvrier, en officier allemand ; tunnel avec dérivation du circuit électrique de la chapelle pour éclairer ce dernier ; draps accrochés pour filer le long du mur ; "saute-mouton acrobatique" au dessus des barbelés ; caché sous une toile représentant des feuilles lors d'une sortie au parc... et même la fabrication d'un planeur bi-place, le "Colditz Cock Glider", qui servira finalement plus d'occupations à l'approche des armées alliées.
1973, le jeu chez Parker !
Le Major Pat Reid fait partie de ces prisonniers de guerre qui a réussi son évasion de Colditz. Il en a tiré deux livres "The Colditz Story" et "Latter Days at Colditz". Non content d'avoir travaillé sur la série "Colditz" avec Brian Degas, le réalisateur, ils en tirent également un jeu de société. Celui qui nous occupe aujourd'hui.
Partie en cours... et pour l'instant dans la cour
La plupart des joueurs devront bien sûr s'évader de l'imposante forteresse en prenant en main la destinée d'un groupe de prisonniers d'une nationalité (une couleur) parmi celles historiquement présentes à Coldtiz : Anglais, Français, Hollandais, Polonais et Américains. Le dernier joueur gérera les gardiens allemands, nombreux, partout présent et devant gérer les multiples tentatives d'évasions, réelles ou factices, coordonnées ou non, des prisonniers.
Dans la boite, un plateau énorme avec les différentes parties du château, les emplacements des tunnels, les hauteurs des dénivelés, les zones des faisceaux lumineux... et même la voiture de l'officier qui peut, elle-aussi, être détournée pour s'évader. Les 40 pions de couleurs permettront de mettre en place les différentes configurations pouvant aller jusqu'à 5 joueurs. Les 16 pions noirs permettront à celui qui joue l'officier allemand de mettre en place ses contres-stratégies.
Un livret historique avec les faux papiers du Major reproduit
et la reproduction des colis de la Croix-Rouge
La reproduction d'un colis de la Croix-Rouge contient les différentes cartes utilisées pendant une partie. Les Kits d'évasion pré-requis à toute tentative, les Équipements à rassembler pour les rendre possible (pinces, clés, cordes et fausses autorisations de sorties), les cartes Opportunité pour les prisonniers ("corruption à la cigarette", "coup de chance", "cachette rapide"...) et les cartes Sécurité pour les gardiens (le célèbre "Appel" qui oblige tous les joueurs à se rassembler dans la cour, "Tunnel détecté"...). Pour terminer deux dés à 6 faces pour les déplacements.
Oui, parce que pour faire tout ça, nous allons jouer à coup de classique "roll & move". Chaque joueur, à son tour, lance les deux dés pour obtenir ses points de déplacement qu'il pourra ensuite distribuer entre ses différents prisonniers ou gardes. Les résultats de 3, 7, 11 permettront de piocher une carte Opportunité/Sécurité. Les doubles se relancent et s'additionne. Tout ceci vous permettra d'aller récupérer ce dont vous avez besoin pour vous évader. Pour ce faire placez deux POW dans un endroit avec la même icône (par exemple la corde) pour en récupérer la carte. Le Kit d'évasion demande, lui, d'être en même temps à quatre endroits distincts.
Ce plateau 3D est juste une tuerie pour s'immerger encore plus...
De son côté, le joueur gardien, en fonction des zones du plateau (de couleurs différentes) et du port ou non d'équipements d'évasion, peut envoyer un soldat en cellules d'isolements en amenant un de ses pions sur la case où il se trouve. Les Baraquements sont le moyen de simuler la présence forte des gardiens. Depuis cet endroit, le joueur peut envoyer ses pions sur n'importe quelle case noire du plateau pour un point de mouvement. En sachant que pour un point de mouvement, n'importe quel gardien peut se retrouver aux baraquements depuis un de ces cercles noirs (mais le joueur ne pourra plus en faire sortir pendant ce tour), les prisonniers savent qu'ils ne sont jamais à l'abri d'une inspection, d'une patrouille, etc.
Parfois, un joueur craque et il retourne alors sa carte "Do or Die", cachée depuis le début de partie, pour une tentative désespérée. Cette dernière indique de combien de lancer de dé il dispose pour s'échapper en une seule course. S'il échoue... c'est le "or Die" !
S'installe donc un balai étrange d'aller et venues plus ou moins suspecte, d'évasion-bluff d'un côté pendant que de l'autre, une équipe beaucoup plus préparée en prépare une d'importance. En début de partie, les joueurs auront décidé du niveau de difficulté en choisissant un nombre d'évasions à réussir en un temps imparti. Sur la version de 1973, il était conseillé de jouer 2h pour 2 évasions réussies... On sent bien la patte du jeu d'une autre époque... mais il n'y a pas que ça, disons le de suite ! L'immersion d'un jeu tiré d'une réalité forte apporte aux joueurs une ambiance vraiment particulière, en tout cas pour ceux qui y sont sensibles.
L'édition 75ème anniversaire à Essen 2016
Oui, alors que nous ressortions le jeu pour vous préparer cet article et une TTTV, quelle ne fût pas la surprise d'apprendre qu'Osprey proposait, un peu en avance sur la date (puisque son évasion est du 14 octobre 1942), une édition spéciale du jeu qu'il sera possible d'avoir à Essen cette année. C'est Peter Dennis, collaborateur régulier avec Osprey, qui s'est chargé des illustations.
Les règles inclues dans la version originale seront dans la boite mais Osprey propose également un certain nombre de changements dont la piste des tours autour du plateau est la plus visible. L'utilisation des cartes Kit d'évasion a été modifiée comme l'acquisition et l'utilisation des cartes Opportunité/Sécurité. L'emplacement des tunnels a également été retravaillé pour mieux équilibrer le jeu. Des jetons sont ajoutés pour marquer les cordes utilisées ou les barbelés coupées qui, ainsi, resteront visibles jusqu'au prochain tour du joueur allemand. Enfin les cartes "Do or Die" sont mise de côté. Enfin, le livret historique est passé à 32 pages pour conserver, comme par la reproduction du colis de la Croix Rouge, un lien fort avec le thème.
Je joue ou je me souviens ?
Jouer en se disant que derrière, cette réalité a été vécue, et que le jeu a d'ailleurs été pensé (et ça se sent dans l'ambiance qui se dégage des parties) par l'un d'entre eux amènent un sentiment tout particulier. Et c'est vraiment l'ambiance autour des parties et du thème qui ressort d'Escape from Colditz. Le fait de commencer à transpirer et avoir le coeur qui bat lorsqu'on lance une opération préparée minutieusement et qu'on se rend compte avec horreur que nous avons oublié ce petit pion noir placé derrière le mur...
Après, cette réalité peut déranger... et c'est peut-être aussi pour ça que la svastika a été remplacé par l'aigle impérial. C'est pourtant historique, mais ça dérange. Ça s'entend ! De plus, oui, le jeu est basé sur des dés, donc à peut-être déconseiller aux allergiques au hasard, même si le nombre de tours (40 à 45 conseillé dans la version Osprey) lisse ce hasard. De fait, historiquement, les gars qui ont connu cette situation disent tous qu'une part non-négligeable d'une évasion réussie ou ratée est imputable à ce foutu hasard qui fait parfois les grandes histoires.
Escape from Colditz est finalement un jeu particulier, assez unique pour tous ces aspects et que vous soyez à Essen cette année ou que vous ayez la possibilité d'en faire une partie, tentez le coup, on ne sait jamais... peut-être qu'on ne vous rattrapera jamais !
► le très bon reportage sur Arte pour en apprendre encore plus
Les prisonniers de Colditz, vivants depuis 7 mois sur des rations de prisons, avaient perdu 2/3 de leur poids normal lorsque, à Noël 1940, les premiers colis de la Croix-Rouge canadienne et anglaise. Ces rations contenaient une conserve de viande, du fromage, de la confiture, du beurre, des oeufs et du lait en poudre, du thé ou du cacao, du chocolat, du sucre et de la margarine. Chaque colis pesait un peu plus de 4,5 kilogrammes et le tabac était fourni à part. Bien que chaque colis soit la plupart du temps payés par la famille du prisonnier, il était "partagé et partagé équitablement" à Colditz. Des produits de contrebande ou des fournitures pour l'évasion n'ont jamais été envoyé par la Croix-Rouge, ce qui n'aurait pas été convenable et de toute façon, complètement interdit.
Les membres de la Croix-Rouge internationale méritent une gratitude éternel pour l'aide qu'ils apportent aux peuples en détresse dans le monde entier, ignorants les frontières, dans la paix ou dans la guerre, démonstrations de l'humanité de l'homme pour l'homme.
Traduction à la volée du message accompagnant le colis de la Croix-Rouge dans la boite Parker