Comment définir Juan Rodriguez?
Elixir? Tic tac boum? Les Poilus? Charlie Hebdo?
Juan fait partie de ces légendes du monde ludique.
Beaucoup le connaissent depuis peu grâce aux Poilus, mais il est présent dans le monde du jeu depuis les années 80 avec à l'époque son ancienne épouse Sylvie Barc.
Juan est un touche à tout, auteur, dessinateur, graphiste, maquettiste, réalisateur...
Mais surtout Juan est quelqu'un d'aussi adorable par mails qu'en vrai, comme j'ai pu le constater à Cannes.
Il fait partie de ces personnes que je croiserais avec grand plaisir
Professionnel mais agréable, le ton grave mais toujours avec l'humour à proximité.
Au final, Juan résume bien Charlie Hebdo
Avec Juan, nous évoquons dans cette première partie sa vie, sa nationalité espagnole, ses parents ouvriers, du franquisme, sa rencontre avec le monde ludique, la politique française, Les Poilus un jeu avec un thème si fort puis de son arrivée à Charlie Hebdo...
1)Juan Rodriguez, bonjour, aurais-tu la gentillesse de te présenter?
Mon état civil est : Juan Carlos Rodriguez Michan, certains amis m’appellent encore Jean-Charles, mais j’ai opté (définitivement ?) pour Juan Rodriguez.
Je suis né à Madrid, j’ai toujours conservé la nationalité espagnole. Je suis arrivé à Paris à l’âge de 3 ans. J’ai une cinquantaine bien mûre, une femme exceptionnelle, trois filles, un garçon, tout un tas de petites filles adorables…
Je suis auteur de jeux.
J’ai acquis plein de compétences au fil du temps : graphiste, maquettiste, scénariste, dessinateur, réalisateur… mais je n’exerce plus réellement que dans le domaine ludique.
Mes parents ont quittés leur Andalousie natale pour travailler à Madrid ou je suis né. Invités en France par mon oncle républicain exilé en France à la fin de la guerre d’Espagne (j’avais un autre oncle qui lui était franquiste, mon père étant trop jeune n’a pas été obligé de choisir). Ils sont donc venus travailler dans les années 60 et j’étais dans leur bagages, j’avais 3 ans.
Ma tante française (une bretonne veuve avec des enfants) avait été chercher un nouvel époux dans les camps d’internement du sud de la France en 39. Quand nous sommes venus les rejoindre, elle était concierge à Paris et pas commode.
J’ai passé toute mon enfance dans le 10e arrondissement. Nous habitions une minuscule chambre de bonne mansardée de 9 m2 avec un vasistas mais l’eau et les wc sur le palier. Et c’est là que ma petite sœur est arrivée. Au bout de quelques années nous avons pris un appartement plus grand sur le même palier et j’ai gardé la chambre de bonne pour moi tout seul !
Ma chambre est rapidement devenu un lieu de ralliement de tout un tas de copains et curieusement le jeu n’était absolument pas présent. Par contre très tôt nous avons lancé des « fanzines » de SF, puis de BD. Mais je crois que ce qui me plaisait c’était la presse ! C’est un domaine ou tout est travail d’équipe et ça c’est vraiment mon truc.
Parmi les copains un certain Roland Prévot, qui plus tard lancera « Voltigern » un fanzine du jeu « Diplomatie » par correspondance. Il le fera avec un autre de nos copains : Didier Guiserix qui fera un peu plus tard « Casus Belli ».
Quelques années plus tard, j’ai partagé une collocation avec Didier.
J’ai ensuite été marié avec Sylvie Barc, nous avons commis ensemble 3 filles et quelques jeux… mais j’anticipe.
C’est Roland Prévot qui nous a, Sylvie et moi, initiés aux jeux de société moderne. Il allait aux États-Unis et revenait avec des trucs bizarres en carton mou et vraiment très cheap. Nous avons découvert comme ça nos premiers jeux (« Hoax », « Cosmic Encounters »… et d’autres dont je ne me rappelle plus.
A cette même période, paraissait « Jeux & Stratégie » qui publiait des jeux en encart. On les découpait et on les arrangeait à notre goût et au bout d’un moment, j’en ai fait un complet, illustrations comprises et j’ai été le proposer. C’était « Galapagos » mon premier jeu édité. Nous avons ensuite enchaîné les encarts et les collaborations avec la rédaction. Sur le même palier chez l’éditeur : Excelsior, j’ai retrouvé Didier Guiserix à la tête de Casus Belli. C’est là que j’ai rencontré Tignous.
Il y avait à ce moment là pour nous une boulimie de jeu sous toutes ces formes. Le jeu de société n’avait que peu de nouveauté à l’année, le jeu de rôle nous a attiré. Nous avons travaillé sur plusieurs, « L’appel de Cthulhu », pour lequel j’ai fait 2 paravents et participé aux « Les Années Folles » premier supplément français, « Empire Galactique », aux règles et scénarios, et Illustré, maquette et publié « Rêve de Dragon ».
Mais je m’aperçois que je rentre un peu trop dans les détails, et ça risque d’être un peu long…
Les Années Folles, illustrations et mise en page
2) Qu’est-ce que tu as trouvé dans le monde ludique que tu ne trouvais peut être plus ailleurs ?
Ou bien est-ce juste les circonstances qui font que tu ne travailles plus que dans le milieu ludique ?
Ma préoccupation de toujours c’est clairement la création, quelle soit ludique ou autre.
J’ai commencé par faire du dessin en tant qu’illustrateur.
D’abord dans des fanzines, dont certains que j’ai monté avec des copains, puis dans des magazines. Ma première publication illustrait 2 concerts qui c’étaient déroulés le même jour, l’un à Paris « Pink Floyd » et ou j’étais spectateur, et l’autre à Londres « Jethro Tull ».
Sinon mes inspirations étaient plutôt la Science Fiction et le Fantastique. C’est par contre par les jeux que j’ai collaboré et dessiné dans les magazines de jeux. J’ai travaillé avec presque tous, j’ai fait : dans « Jeux & Stratégies » des encarts, des prêts à jouer et des reportages, dans « Casus Belli » des illustrations, des encarts et des scénarios, dans « Jeux magazine » des chroniques, des tests et des jeux , dans « Info Jeux » des scénarios et des illustrations, à « Dragon magazine» des maquettes, pour « Grall » je faisais la maquette et la direction artistique (c’est là que j’ai rencontré Didier Jacobée qui était directeur de la publication), et à « Chronique d’Outre-Monde » maquette, direction artistique, illustrations et scénarios. A noter que tous ces magazines de jeux ont été présents en kiosque alors que maintenant il n’y en a plus aucun. J’ai aussi réalisé d’autres mensuels « Paint Ball Mag » pendant un temps par exemple…
J’ai aussi collaboré à une structure montée par Philippe Des Palières et Sylvie Barc, dans laquelle on travaillait sur la communication dans le ludique.
C’est par mes compétences graphiques que je suis arrivé à « Charlie Hebdo ».
Le journal c’était monté en une semaine après le départ de l’équipe de la « Grosse Bertha » et au n°20 Tignous m’a demandé de venir voir la rédaction pour trouver des solutions aux problèmes de fabrication qu’ils rencontraient. J’en suis repartit 10 ans après...
Juan et Cabu autour de la maquette papier de Charlie
En parallèle je continuai mon activité de création graphique et la création de jeu aussi, bien sûr.
Par contre à ma séparation d’avec Sylvie, comme elle souhaitait continuer dans le domaine ludique et que milieu était très petit à l’époque, j’ai préféré lui laisser la place plutôt que risquer des conflits...
J’ai donc interrompu toutes mes activités dans le ludique pour me consacrer plus à la création graphique pour des spectacles et des festivals de musique et les journaux satiriques et politiques.
Et 15 ans ont passés.
J’avais quitté « Charlie », un peu par lassitude et la création graphique était de moins en moins bien rémunérée. Surtout que je ne travaillais que pour des amis ou des clients qui l’étaient devenus et que les budgets de la culture diminuaient. Alors que les revenus de droits d’auteur, eux, commençaient à être suffisamment conséquents et que mes envies de créer se reportaient depuis quelques temps sur les jeux.
J’ai donc décidé d’arrêter la création graphique et de reporter mon temps et mes efforts sur la création de jeux. J’ai pu rapidement constater que mes idées s’étaient suspendues mais pas disparues et que le plaisir était là ! Que demander de plus ? Peut-être le travail d’équipe qui me manque un peu et que je retrouve avec mon duo avec Fabien, les quelques animations avec la Maison des Jeux de Touraine et certains de mes éditeurs.
Nous avons réalisé à quel point l’inconscient collectif français a gardé de profondes marques de cette guerre
3) Tu es connu du grand public par Elixir et Tic tac boum, mais l’année dernière tu as fait ton grand retour avec Les poilus.
Un jeu qui s’il ne m’a pas charmé personnellement par sa mécanique, a été réellement encensé et trouvé son public, que ce soit pour le thème ou la mécanique.
J’en vois d’ailleurs le véritable exemple d’un jeu impliqué, avec un réel thème fort, permettant au monde ludique de s’investir socialement et politiquement sur un événement historique, la première guerre mondiale où des hommes furent envoyés se faire massacrer au bénéfice d’une classe sociale élevée craignant les revendications de plus en plus importante de la classe ouvrière.
Est-ce que c’est que c’était une réelle volonté de ta part de créer un jeu fort, n’apportant pas que du plaisir ludique mais apportant une réelle réflexion ?
Souhaites-tu continuer dans cette voie ou encourager d’autres auteurs et éditeurs à franchir le pas?
Oui c’était une volonté de faire un jeu fort qui soit à la hauteur du sujet.
Avant ce projet je me posais la question : est-ce que le jeu de société est un média culturel comme un autre, même s’il a évidemment ses spécificités. Ma réponse était : oui. Le jeu peut donc traiter tous les sujets comme la littérature, le cinéma et la BD. Ensuite j’ai cherché les sujets qui n’étaient pas utilisés dans le jeu et qui pouvaient illustrer cette affirmation. C’était en 2013 et les commémorations du centenaire approchaient et m’ont forcément influencé.
Le propos du jeu c’est l’émotion et l’entraide. Dès les tout premiers instants de cette création, avec Fabien Riffaud nous avions ces deux axes en tête. Nous considérions qu’un jeu uniquement amusant et divertissant n’aurait pas été respectueux des victimes de la Grande Guerre. L’angle choisi met en relief les préoccupations essentielles des individus dans les tranchées : rentrer chez eux vivant avec leurs compagnons et amis, pas gagner des batailles ni même la guerre. Nous voulions mettre le joueur au maximum dans la peau de son personnage pour qu’il partage ses sentiments. Avec une sensation de facilité au début qui est la transposition de « la fleur au fusil », suivi d’une montée rapide de la pression et du stress. Et des personnages qui rapidement traînent leurs traumatismes comme des boulets et ressentent une impression d’entrave et de difficulté. Il leur faut malgré tout avancer et pour cela il faut pouvoir compter sur les autres qui, eux-mêmes, peuvent subir des limitations…
En travaillant sur le sujet de 14/18 nous avons réalisé à quel point l’inconscient collectif français a gardé de profondes marques de cette guerre. D’une façon très différente de 39/45. Mais nous n’aurions jamais imaginé que cette thématique puisse toucher des populations dont ni les aïeux ni le territoire n’avaient été impactés. Mais visiblement les valeurs, la façon de traiter les évènements et les personnages ainsi que les dessins de Tignous touchent les joueurs de tout pays. Et ça c’est une très agréable surprise. Le jeu est le plus souvent un médium d’amusement, de détente, de rencontre, de réflexion… et moins souvent porteur de valeurs et d’émotions. Et visiblement le besoin pour ce type d’approche existe.
Malgré la pesanteur du sujet des Poilus, il s’avère que les parties sont très enjouées et la démesure du challenge ainsi que les liens resserrés entre joueurs permettent de bien rire et pas que jaune…
Fabien et moi nous essayons de donner du sens à nos créations et d’avoir une démarche le plus artistique possible.
Juan et Fabien Riffaud
Et pour finir par répondre à ta question : j’encourage, bien sûr, les auteurs à aller plus loin qu’une simple mécanique qui fonctionne pour aborder des sujets de façon originale, et en parallèle, je convie les éditeurs à prêter une oreille attentive à des prototypes qui sortent des sentiers battus, nous avons tous à y gagner.
Mes parents, ouvriers, n’avaient pas pensé s’extraire de leur classe sociale,
4) Penses-tu que cette volonté d’introduire un thème fort comme la guerre dans ton jeu, vient de tes origines ?
Y vois-tu un rapport avec la guerre d’Espagne qu’ont connu tes parents et la période franciste qui s’est installé ensuite ?
Comment tes parents-t-ont parlé de cette période, est ce que tu penses qu’elle t’a marqué indirectement et orienté ta carrière plus tard vers certains médias comme Charlie Hebdo?
Je m’interroge moi-même, est-ce que mes origines ont influencé mes créations et « Les Poilus » en particulier ? Elles ont forcément construit ma représentation du monde.
J’ai interrompu mes études à l’âge légal de 16 ans et j’ai commencé à faire des petits boulots. Pas de passage par la fac pour moi. Mes parents, ouvriers, n’avaient pas pensé s’extraire de leur classe sociale, et moi non plus d’ailleurs. Il m’a fallu un certain temps pour construire une conscience politique et une réflexion sociale. Je lisais beaucoup et mon adolescence s’est passée à négocier avec mes parents pour acheter des livres (d’occasion !). C’est comme ça que me suis forgé regard et réflexion.
La guerre d’Espagne n’était pas un sujet à la maison, nous n’en parlions pas du tout. C’est par mes propres moyens que je me suis forgé la représentation que j’en ai. J’ai quand même un peu échangé avec des amis pendant les vacances à Algeciras, mais c’était sous Franco et il fallait se méfier des oreilles indiscrètes (en tout cas c’est ce que nous ressentions). Je passais mes 2 mois de vacances avec mes cousins, chez mon oncle franquiste ! Et je crois que, sans questions ni récits, j’y ai compris plein de choses qui m’ont forgées.
Juan à Algeciras
J’ai consolidé mes convictions politiques en faisant des tas de petits boulots, il n’y avait à cette époque pas de difficulté à en trouver et donc à en changer fréquemment, ce qui me convenait étant très réfractaire à la hiérarchie. J’ai ensuite été aide-géomètre au cadastre de Paris pendant 10 ans, dans l’administration donc, mais en tant qu’auxiliaire. A l’élection de Mitterrand en 81 nous étions en grève pour les salaires et les statuts. La grève fut immédiatement levée et les auxiliaires titularisés, mais moi, j’étais toujours espagnol et un étranger dans la fonction publique ça ne se pouvait pas ! J’ai appris qu’il y a eu des réunions ministérielles pour statuer sur mon cas, ils ne pouvaient ni me garder, ni me titulariser, ni me licencier ! J’ai fini par démissionner 3 ou 4 ans après, mais cette situation m’a toujours beaucoup amusé…
C’est vers la fin de cette période où je faisais des jeux en encart dans « Jeux et Stratégie » et si mon premier était « Galapagos », certains étaient plus politiquement marqués. « Cortège officiel » par exemple, dans lequel un joueur devait descendre un homme politique et les autres joueurs l’empêcher…
C’est peu de temps après que le concept de « Tic Tac Boum » à germé. Et si ce jeu n’a pas directement de connotation politique. Ça m’a toujours fait rire d’amener les joueurs à se passer de main en main une petite bombe d’anarchiste ! D’autant plus que « Tic Tac Boum » n’a pas varié d’un iota depuis le premier prototype, en 1993 ! C’est évidement traité façon « toons » et dépouillé de toute connotation de danger, mais malgré tout ça fait stresser les joueurs. Tous les tests effectués avec d’autres timeurs plus neutre ne provoquent pas la même sensation.
Galapagos
Quelques versions de Tic tac boum
J’aime bien le bazar et l’anarchie, « Elixir » en était aussi une parfaite illustration. Ce qui est trop carré et prévisible a tendance à m’ennuyer.
Quand il a été question de travailler éventuellement à « Charlie Hebdo », j’étais plus qu’enthousiaste et en même temps très impressionné : c’était pour certains des idoles inaccessibles que j’allais côtoyer. Pour moi ce journal était la synthèse de la réflexion politique d’extrême gauche, non dogmatique et qui ne se prenait pas au sérieux. Et j’y ai vécu quelques années merveilleuses avec des rapports humains très intenses et des amitiés profondes. Cette période m’a clairement démontré que la création de quelque ordre que ce soit graphique, plastique, ludique ou autre est clairement ancrée dans une lecture politique.
Ils ont bien conscience que si on supprime les mots, la pensée ne peut plus se construire
5) Tu expliques que tes parents n’avaient même pas pensé à sortir de leur classe sociale.
Comment l’analyses-tu ?
Les classes dominantes exercent une telle domination psychologique, qu’il semble normal pour des fils d’ouvriers de le rester ?
Je lis ce soir que les députés du PS, souhaitent ne pas soutenir Benoit Hamon, voire d’aller voter Macron.
Est-un choix stratégique ou bien de refuser à tout prix la volonté du peuple et crois –tu que la vraie gauche a été cadenassé depuis longtemps?
Ma mère n’a été à l’école que très peu de temps et ne savait quasiment pas lire. Son père considérait qu’une femme n’avait pas besoin d’être éduquée… Mon père lui a appris le français en lisant « L’équipe ». Ils ont certainement vécu des déchirement qui les ont emmenés à ne pas « penser » la politique. Ils ont toujours savouré l’instant présent. Ils n’avaient pas grand chose mais ils vivaient assez joyeusement sans soucis. Ils ne mettaient pas d’argent de côté contrairement à beaucoup d’amis immigrés qui se privaient de tout pour s’acheter une belle maison au pays… Mes parents n’avaient pas les outils pour changer leur vie, ils voyaient quelques petites améliorations de leur condition et ils s’en contentaient.
Sortir de se schéma ne s’est pas fait rapidement pour moi. Même si j’ai vécu mon enfance en plein Paris, j’ai partagé les difficultés de la classe ouvrière. C’est vraiment compliqué de structurer sa pensée quand tu n’as pas l’environnement favorable qui te permette de réfléchir au lieu de t’abrutir au boulot. Les dominants l’ont bien compris. La récente tentative caricaturale de Novlangue de l’administration Trump démontre qu’ils ont bien conscience que si on supprime les mots la pensée ne peut plus se construire. Mais cette tendance n’est pas nouvelle, comme Franck Lepage le dit si bien : un plan social sonne mieux qu’un licenciement, et les exemples sont nombreux et atterrant car nous en sommes tous victimes.
L’actu politique ressemble en ce moment à une série TV américaine ou les scénaristes font de la surenchère constante. Le PS aurait dû éclater depuis de nombreuses années. On ne peut pas demander indéfiniment à des militants de faire un tel grand écart entre aspirations sociales et capitalisme débridé. De la même façon on ne peut pas demander aux électeurs leur avis pour, quand ils l’expriment, le jeter à la poubelle car il ne convient pas (cf. le référendum européen). La pseudo démocratie que l’on nous vante est à bout de souffle, ce constat n’est pas d’hier. L’inertie et le rejet du changement me sidèrent toujours.
Le Maurice de Maurice et Patapon de Charb
La volonté du peuple ne sera prise en compte que quand le peuple l’imposera ! Sous quelle forme ?
Les vrais modifications et améliorations de la société partent actuellement des individus et pas des dirigeants. La sensation d’être désarmé s’estompe quand on agît autour de soi sur les choses où nous avons prise. Et à force, j’espère que ça va créer une lame de fond qui va s’imposer partout à tous les niveaux.
6) C’est à Charlie Hebdo que tu as affûté tes armes?
Quelles ont été tes rencontres là bas ou ailleurs qui t-ont permis d’acquérir un esprit éclairé?
Je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir un esprit éclairé. Ceux qui me connaissent vont bien rire…
Par contre j’ai effectivement rencontré beaucoup de gens marquants au journal ou pendant toute cette période.
En arrivant à « Charlie » j’avais déjà une conscience politique marqué, mais pas trop théorisée. Et les premiers temps ont été pleins d’enseignement et de clarifications. Ça a été une période très riche et intense que j’ai vécu avec délectation. J’habitais dans le Perche et je venais peu aux conférences de rédaction du mercredi. J’étais là par contre pour tout les bouclages du dimanche au lundi. L’ambiance était concentrée et studieuse mais on rigolais bien. Nous avions un genre d’open space et on profitait bien de toutes les conneries qui fusaient. Je t’ai déjà dit que j’adorai le travail d’équipe et c’était le top pour ça. Il y avait bien Val qui nous gâchait un peu le plaisir, mais sinon c’était le pied.
J’avais été appelé pour régler des problèmes de retards à répétition dû à un manque d’organisation et de discipline, en soit c’est déjà très drôle car il n’y a pas plus bordélique que moi. Mais j’ai rapidement avec toute l’équipe technique structuré la procédure et clarifié les délais et en 3 ou 4 mois le journal était sur des rails. Il faut dire c’était très serré : bouclage le lundi 18 ou 19h, puis photogravure ; impression dans la nuit, distribution le mardi dans la journée et mise en vente le mercredi matin !
Une fois que les journalistes et dessinateurs avaient bien intégré les exigences techniques, ça nous laissait la possibilité de bien se marrer tout en étant efficaces.
Et il y avait beaucoup de personnalités qui passaient voir la rédaction (Cohn-Bendit m’avait frappé par sa véhémence). Il y avait souvent des débats impromptus sur l’actu, ou des prises de positions divergentes sur des sujets de fond, même au sein de la rédaction. C’était foisonnant, et grisant. Avec Gébé, que l’on adorait tous, qui nous racontait « Hara Kiri », « L’an 01 » et Mai 68… Renaud qui tournait « Germinal », Charb, le pince sans rire à l’humour corrosif, Luz, le cheval fou qui dessinait tout le temps, Tignous l’exigence même, mais toujours à la bourre… Je ne peux pas citer tout les membres de l’équipe que j’aimais mais ils étaient nombreux.
Gébé et Juan
Autour du journal il y avait évidement plein d’activité militantes et festives, nous alternions les spectacles, les manifs, les projections, les expos, les soirées mondaines ou pas du tout (nous avons même fait une soirée karaoké à l’initiative de Cabu ! ou manifester à Strasbourg contre le FN aux côtés de Guy Bedos et de Bertrand Tavernier entre autre… ou une visite du Louvre avec Cavanna comme guide… inoubliable ! ). Pendant quelques années il y avait aussi un traditionnel repas de bouclage à la fin de chaque numéro ou on se retrouvait avec Moustaki, Daniel Mermet…
Manifestation à Strasbourg contre le FN
Avec Thierry Garance, qui travaillait avec moi au journal, nous avons adaptés « Maurice et Patapon », le strips de Charb en dessin animé. C’était scato, politico, sociétal et hilarant. Nous avons eu du mal à trouver les financements (certains diraient que nous ne les avons pas vraiment trouvés !). Le projet c’est étalé sur plusieurs années mais abouti à 26 épisodes de 3 mm, soit 72 sketchs. Ça a été l’occasion de travailler avec Michel Muller pour la voix de Maurice, le chien, et Les Têtes Raides pour la musique.
Nous avons par la suite initié avec Tignous « Pandas dans la Brume », avec François Rollin au scénario, Trio à la musique…
7A) Je t’ai demandé en OFF si tu acceptais de parler plus longuement de Charlie Hebdo et tu as gentiment accepté.
Tu me disais que tu ne travaillai plus là bas lors des attentats depuis déjà plusieurs années, mais que tu avais gardé contact avec certains des membres.
Que représente cette génération pour toi en tant que professionnels mais également en tant qu’amis ?
La semaine prochaine, nous évoquerons longuement Charlie Hebdo et ses membres, Philippe Val, l'attentat, les critiques parfois reçues par le journal, Pandas dans la brume, la bande dessinée à l'origine créée par le regretté Tignous, l'ami de Juan, le canard enchainé, Charb, mais également Décrocher la lune son nouveau jeu avec Fabien Riffaud...
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