Dans un premier et haletant épisode précédent, nos spectateurs ont pu découvrir comment de vilains menteurs utilisaient Platon pour faire croire que le jeu était un truc sérieux. La pratique est courante et pas réservée au domaine ludique. Prenez une citation réelle ou imaginaire, un type unanimement reconnu comme sérieux et mixez les deux dans un shaker pour obtenir de quoi assoir votre sujet auprès d’un public néophyte .
Donc non, toujours pas ! Malgré les protestations, Platon n’a toujours pas pensé qu’on en apprenait plus sur un homme en une heure de jeu que dans une vie.
Je ne reviens pas sur ce sujet pour enfoncer le clou mais creuser le sujet, ce qui revient finalement à faire son trou comme dirait Mops XV 225.

Attention à ne pas confondre
Ce n’est pas que je fais une fixette sur le gars Platon mais le copain a, comme qui dirait, eu une certaine influence sur la pensée occidentale et, croyez-le ou non, sur le jeu et l’image qu’il se traine encore aujourd’hui.
Sachez tout d’abord que Jeu et Platon ne font pas bon ménage. Si le philosophe admet son existence intrinsèque chez les enfants et un pouvoir bénéfique dans l’éducation, il n’en est pas de même chez les adultes. Et quand on sait ce qu’il en pense, on se doute bien que jamais il n’aurait fait cette citation !
En fait, il n’est pas aisé de trouver une architecture solide sur le thème du jeu dans l’oeuvre de Platon. Pourtant c’est ce qu’a brillamment réussi Christine Müller-Tragin dans son ouvrage : Le jeu dans l’oeuvre de Platon.
Sachez en préambule que l’ouvrage en question est un mémoire de maîtrise option grec ancien présenté à l’université de Rouen et édité avec une grande gentillesse (impression à la demande) par les Editions Universitaires Européennes soit la bibliothèque nationale allemande pour faire court.
En tant que tel ça ne se lit pas vraiment comme du Bogdanoff : c’est sérieux, argumenté et jamais hypothétique. C’est donc réservé aux amateurs d’antiquité, de Grèce et de chercheurs de l’univers ludique.

Si vous n’appartenez à aucun de ces cas mais que le sujet vous titille quand même le machin à condition de ne pas y passer le réveillon dessus, alors voici quelques infos que j’ai extraite pour vous.
Madame Christine commence son ouvrage par une constatation : le jeu chez Platon, le sujet n’a rien d’évident et même de brillants spécialistes pourraient douter que le sujet fut jamais traité dans ses textes. De fait s’il n’est jamais central dans son oeuvre et l’auteure a su recenser les passages où il était question de jeu pour en présenter une trame suffisamment consistante.
On pourra voir ainsi une légère évolution dans la chronologie puisque les textes plus récents sont moins virulents envers les jeux.
Chez des êtres d'un tel âge, il existe des jeux naturels et spontanés qu'ils ne sont pas loin de découvrir d'eux-mêmes aussitôt qu'ils se trouvent réunis.
Platon Lois VII
Ce n’est pas dans ce bouquin mais la première question qu’il faut se poser quand on aborde des textes si lointains c’est si nous parlons bien des mêmes choses. La question de la définition du jeu est une activité contemporaine et Platon ne s’en occupe pas. Il faut donc se nettoyer un peu les idées pour convenir que le jeu dont nous parle Platon comprend certes les jeux de dés ou de pions mais également les sports, plus globalement les divertissements mais aussi les arts.
Rien de mieux que les mots pour nous aider à saisir un peu mieux ce que Jeu pouvait vouloir signifier chez les grecs anciens. Trois mots de la même famille signifient en français moderne : Enfant, Jeu et Education. Et notre Platon restera donc bien dans les clous en liant les trois notions.
Vous remarquerez d’ailleurs que l’image actuelle du jeu a encore bien du souci à sortir de cette trilogie grecque antique. C’est qu’il en a eu de l’influence ce garçon !
Le jeu n'est pas une activité innocente mais une occupation qui laisse des traces dans les moeurs.
Platon Lois VII
En tant qu’observateur avisé du monde, Platon a remarqué que le jeu nait spontanément quand on jette une poignée de bambins dans un endroit clos. Le jeu est donc constitutif chez l’enfant. En plus, on ne peut pas leur en vouloir...
Tant que ceux-ci sont des choupinoux, nous pouvons leur laisser libre cours. D’ailleurs l’éducation ne commence à cette époque qu’à 7 ans. Avant les enfants peuvent jouer dans des espaces surveillés mais sans que les adultes n’interviennent autrement que pour éviter les bastons.
Si vous ne connaissez pas du tout Platon, sachez qu’il a quelques chevaux de batailles comme « la perception de la réalité », le « sérieux" et la "préservation de la cité" et donc de l’état.
Par exemple, s’il préconise le jeu dans l’éducation des petits d’homme c’est sous contrôle sérieux. Platon a bien compris le lien qui existe entre les règles d’un jeu et les lois de la société. L’un pouvant donc amener à faire d’un bon joueur un bon citoyen. Mais garde à ceux qui transgressent ou inventent des règles car dès lors le germe de la critique, de la désobéissance et de la réforme pourrait éclore en lui. Chers auteurs de jeux, vous êtes de furieux révolutionnaires sachez-le ! En plus d’être des pervers puérils s’entend...
Comme l'adulte doit se montrer docile à la règle et vertueux, ce serait une erreur que de permettre à l'enfant un jeu contraire à la loi.
Platon Lois VII
Si le point n’est pas mis en avant dans sa thèse, l’on remarque que les jeux et les arts entretiennent des rapports étroits (ce que je pense également). Ici Platon retrouve son questionnement sur la perception de la réalité initié dans le mythe de la caverne. Les arts qui ne seraient là que pour imiter (et donc les jeux aussi) sont des amusements inutiles voire immoraux.

Le jeu permet à l’homme de devenir éduqué, ce qui lui permet de distinguer le beau, le bien et le vrai. Un homme par contre qui continuerait à jouer une fois adulte serait par contre très mal éduqué. Ne cherchez plus d’où vient cette image de puérilité attachée au jeux !
Si le jeu semble si malmené par Platon, il n’en reste pas moins que l’on peut percevoir les liens que le penseur grec avait déjà décelés même si ce n’est qu’en les survolants parfois. Nous prendrons, grâce à cette lecture, conscience que la conception du jeu de la Grèce antique influencera la pensée occidentale comme elle l’a fait dans d’autre domaine, y compris au travers de la chrétienté ensuite. Pas facile la vie des joueurs !
Mais pour en savoir plus sur la nature réelle du jeu et son importance dans notre système de pensée, il faudra attendre encore très très longtemps (même si Platon se pose quelques question déjà sur les joutes verbales). Sans doute même jusqu’aux textes de Jacques Henriot dont je vous parlerais sans doute bientôt.
Le jeu dans l'oeuvre de Platon
Christine Müller-Tragin
Edition Universitaires Européennes
Mémoire de 1981
Edition 2011
