La critique ludique n'existe pas

Quand je regarde ce qu’est une critique (de cinéma) sur Wikipédia, je lis : “Il demeure plusieurs façons d’aborder la critique. Une première est celle de l’entrevoir comme un avis et une seconde est de la penser comme une analyse de film. Cependant, nombreux sont ceux qui la restreignent à un simple avis sur un film, celui qui fera qu’ils iront voir, ou non, le film”. Je crois que l’auteur nous parle simplement de cela. Une plume de Plato, Damien, avait réalisé exactement la même analyse (sur Ludigaume) mais pour arriver à une conclusion différente : le jeu de société n’est pour lui pas un objet suffisant pour être critiqué, au sens d’analyser, car il est trop limité, mécanique, J’avoue ne pas être artiste, pas littéraire, ne pas savoir ce qu’est une critique. Je donne mon humble (pas toujours j’avoue) avis sur les jeux de société depuis 20 ans sur Internet. Je crois à ce titre qu’il y a des raisons de s’interroger sur ce sujet : mes avis ont largement évolué au fur et à mesure où j’ai appris, dans la vie et dans les livres, ce que c’était que jouer et de donner son avis là-dessus. Je crois du coup que cet article présente un intérêt, comme les réflexions sur le sujet sur Ludovox ou sur le site de Bruno Faidutti suite au débat qui les a opposé sur le “test”. Refuser d’y réfléchir me parait bien triste.

Au contraire, noter les incohérences de cet article est une forme de réflexion.
Croire en l’omniscience de l’homme est une illusion (bon nombre de contes de Jorge Luis Borges traitent ce sujet).
Et si cela était un tant soit peu possible rédiger une critique qui regroupe l’universalité d’un sujet est impossible.
Croire à un état de subjectivité totale de notre conscience est aussi une chimère car nous ne faisons qu’interpréter notre environnement en permanence.
Un humain, quelqu’il soit, fait des choix et agit en concordance avec ceux-ci : il se restreint.
Cette “critique” omnisciente et universelle n’existe pas et de toute façon serait illisible au vue de nos limites.
Pour qu’une critique soit accessible (n’est-ce pas le but ?) il faut qu’elle soit restreinte (choisir un angle de vue).
C’est ce postulat de base (poser en premier lieu le sujet, l’objectif de l’article) qui est absent dans la réflexion de Teaman et qui fait que ce qu’il affirme n’a guère de sens.

Où l’article indique que la critique doit être omnisciente et universelle ?

“Il s’est intéressé aux informations autour de l’oeuvre. Aux interviews du réalisateur, aux carnets d’auteurs, aux interventions publiques de l’éditeur
Avoir une bonne culture ludique est indispensable pour faire une critique. Parce que critiquer c’est aussi replacer le jeu dans son contexte. Qu’a déjà créé son auteur ? S’inscrit-il dans une tradition ludique, dans une tendance du marché ou est-il à contre-courant de tout ça ?”
“Une critique va plus loin que le jeu lui-même. Elle apporte des éléments pour mieux comprendre à la fois le jeu et le marché ludique dans son ensemble.”
"Un critique ne va pas se demander s’il a aimé ou non mais si le public visé va être satisfait par l’expérience proposée. "

Omniscient dans le sens où le critique doit connaitre tout ce qui tourne autour de l’oeuvre (le distributeur, le marché ludique, etc.) . Universel dans le sens où le critique a la capacité de savoir ce que les gens aiment sans avoir besoin de lleur demander.
Une critique reste une interprétation humaine, celle de celui qui l’a rédigé.

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Il y a quand même un fossé entre chercher à remettre un jeu dans son contexte (le marché ludique et le travail d’édition) et tout savoir sur tout. De même, il y a une différence entre avoir une connaissance des attentes du marché (ce que cherche à avoir un éditeur qui ne publie pas un jeu seulement parce qu’il lui plaît mais parce qu’il pense qu’il va plaire) et tout comprendre du coeur de ses contemporains.

A mon sens, une critique doit recontextualiser le jeu et doit se demander si le jeu atteint ses promesses initiales. (Qui peuvent être aussi simples et banales que : Un jeu de stratégie doit être équilibré ou un jeu d’ambiance doit nous permettre de passer un bon moment en groupe). Ca c’est ce que doit chercher à atteindre une critique. Mais évidemment, comme une critique est subjective, elle ne traduira que l’opinion du critique sur ces questions.

Encore une fois, pour moi, l’avis et la critique sont des réponses à des questions différentes. Comme elles sont subjectives, on peut ne pas être d’accord avec ses réponses.

Je n’ai pas lu ces passages comme vous (Aleph).
Sur l’omniscience. J’ai compris pour ma part qu’il s’agit simplement d’aller plus loin ( il écrit “va plus loin”). Par exemple, faire plusieurs parties, écouter une interview de l’auteur et aller lire ce qui se dit sur le jeu. Je ne crois pas que l’idée soit de tout voir, mais juste de fouiller d’avantage sans atteindre pour autant l’omniscience.
Sur l’universalité. Pour ma part, je ne pense pas que l’on puisse vraiment se prononcer sur le fait que le public visé puisse être satisfait par l’expérience proposée si l’on ne fait pas parti de ce public et si on ne s’amuse pas (je m’étais un temps essayé à la critique de jeux pour enfants, c’était n’importe quoi !). Néanmoins, on peut toujours essayer d’en dire quelques mots par exemple “ce jeu semble avoir trouvé son public” ou “ce jeu a un univers remarquable qui pourra séduire les amateurs”) … sans atteindre pour autant l’universalité.

Alors dans ce cas, ce n’est plus une critique mais des réflexions, des essais, …

“Fouiller” à tout vent n’a guère de sens (la dispersion rend souvent le travail plus difficile voir illisible). En ce qui concerne le fait de faire plusieurs parties là encore tout dépend des capacités des joueurs. Certains joueurs sont capables à la lecture des règles de comprendre le jeu mieux que d’autres après 100 parties. Quant à dire que la critique ludique n’existe pas, si le seul critère c’est de ne pas mettre à la première personne un verbe dans son avis alors elle existe abondamment sur ce site ! Maintenant définir le curriculum vitae nécessaire pour prétendre pouvoir faire partie de la caste des critiques, c’est un autre sujet (Du coup les 3/4 de l’article sont hors sujet).

S’il y a une chose essentielle qu’il faut retenir de cet article, c’est que si avis et critiques peuvent se ressembler, ils n’ont pas le même objectif. Cette différence n’est pas une question de CV ou d’exhaustivité. C’est une question de point de vue. Dans un avis, on exprime son ressenti personnel sur le jeu (c’est typiquement “j’aime” ou “j’aime pas”. Argumenté ou non.). Une critique va répondre à des questions différentes qu’on peut résumer grossièrement à “est-ce un bon ou un mauvais jeu ?”. Pour ça le critique va analyser ses promesses (on attends pas les mêmes choses d’un jeu d’ambiance que de stratégie) et chercher à comprendre quel type de joueur il vise. En gros, une critique cherche à donner une réponse plus universelle mais cela reste une opinion. Si je me met dans la peau d’un critique cela donnerait : “selon moi, ce jeu répond (ou non) à sa promesse initiale et aux attentes de tel ou tel type de joueur.”

On m’a répété que chercher à deviner les attentes des joueurs ce n’était pas possible. Qu’on pouvait pas être dans leur tête. Pourtant c’est ce que font les vendeurs de jeu. Quand ils découvrent un jeu, ils vont se demander à qui ils pourront bien le conseiller (ou le déconseiler). Wingspan n’est pas un jeu pour les joueurs qui aiment se foutrent sur la gueule. On leur recommandera plutôt un jeu comme Cyclades. (Bon, c’est pas un exemple très réfléchis mais tu vois l’idée).

Je ne dis pas non plus que Critique > Avis. Ce sont deux choses différentes. L’avis de quelqu’un dont on sait que les goûts sont proches des notres va être forcément important pour nous. Plus important que celui d’un critique dont on ne partage pas souvent l’opinion. Et, dans l’absolu, un bon avis vaut mieux qu’une mauvaise critique (encore faudrait-il, là aussi, définir ce qu’est un bon avis et une mauvaise critique).

Mais l’intérêt de la critique ne se résume pas à la question “alors bon ou mauvais jeu ?” parce que, pour tenter de répondre à cette interrogation forcément subjective, le critique va devoir se poser tout un tas de questions sur la création du jeu, les intentions de l’auteur et de l’éditeur (pq telle mécanique, pq tel matériel), sur la situation du jeu vis à vis du marché (ce jeu aurait pu être bon il y a quelques années mais des jeux récents le surpassent en tout), les attentes des joueurs qui évoluent avec le temps (on peut se poser la question de l’importance de la rejouabilité dans un marché où une nouveauté chasse l’autre) etc, etc.

J’ai envie de vous dire : tentez vous-même d’écrire une critique dans cette optique. En essayant de comprendre sa promesse ludique et à qui il s’adresse. Si vous voulez le faire bien vous allez obligatoirement vous poser plein de questions et ça sera enrichissant pour votre pratique ludique. Vous ne jouerez pas mieux mais vous vous comprendrez peut-être mieux à la fois le marché et ce que vous attendez vous-même d’un jeu.

C’est du moins mon avis. On m’a bcp reproché d’écrire comme si c’était une vérité universelle sans mettre de gants. Pour moi, c’était une évidence que ce que l’on exprime n’engage que nous. Mais j’ai compris mon erreur et je glisserais mes doigts dans des mapa tripe épaisseurs la prochaine fois.

Pourtant je continue à aimer cet article et à être d’accord sur la majorité de son propos. Certaines critiques pertinentes m’ont obligées à nuancer certaines choses (comme l’existence d’une critique anglophone plus développée et l’idée que certains font déjà des efforts dans cette direction et que c’était pas très sympa de donner l’impression de les enfoncer (même si ce n’était pas mon intention) ).

Les critiques ont influencés mes opinions et c’est très bien ! J’en suis ravi. Quant aux attaques personnelles, je m’en serais passé mais c’est pas grave. A mon sens, elles salissent plus ceux qui les font que ceux qu’elles visent.

On a en effet des opinions différentes (voir opposées parfois) mais c’est interressant d’en discuter.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de connaitre l’éditeur ou l’auteur, bien au contraire.
Certaines oeuvres de Dali ont eu des critiques dithyrambiques parcequ’il s’agissait de Dali et que tout ce qu’il produisait ne pouvait être que génial. OR il lui arrivait de produire n’importe quoi volontairement et de se delecter des éloges reçues !
Pour essayer de juger de la qualité d’un jeu il est bon de ne s’interresser qu’au jeu et de faire abstraction de ce qui est inutileun pilote se concentre sur la route et ne regarde pas la poussière sous les sièges quand il conduit.
Un vendeur quant à lui va essayer de cerner vos goûts personnels en vous interrogeant afin de vous orienter au mieux (c’est à dire vers le jeu qui vous plaira et lui raportera le plus !) : il n’a cure des promesses de l’auteur, il ne donne pas de réponse universelle mais personnelle au regard des jeux qu’il a en magasin.
Je ne crois pas non plus qu’il soit si difficile de voir à qui s’adresse le jeu : 40 pages de règles, la gestion d’une vingtaine de ressources avec des calculs complexes des scores ce n’est évidemment pas un jeu adapté aux enfants de 3 à 5 ans ! En définissant le jeu (gestion, complexe, dose de hasard, cartes, etc.) on définit son potentiel public et c’est d’ailleurs dans 80 % des cas le départ des avis argumentés sur tric trac.

Faisons un tour par le cinoche. Les cahiers du Cinéma ont longtemps voué un culte à Clint Eastwood : ils voyaient dans son oeuvre une cohérence, un sujet, une intention explicite : l’auteur parlait d’une certaine Amérique, conservatrice, de l’effort, de l’injustice, du poids du passé. Il ne s’agissait pas de dire que Million Dollar Baby ou Gran Torino étaient appréciés par les critiques ou si c’était de bons films, à voir : il s’agissait de dire que le réalisateur dans l’ensemble de son oeuvre met au service de son intention, de son message, la technique cinématographique et le tout dans un ensemble cohérent. Pour les cahiers du cinéma, Eastwood etait un grand réalisateur pour cette raison (je ne sais pas s’ils le disent toujours). Les jeux de société sont évidemment bien plus limités mais néanmoins il est possible d’élargir son discours sur le jeu au delà du “j"aime / j’aime pas” et même au délà de l’explication du pourquoi. Prenons Kemet de Bariot et Montiage : ils ont voulu créer un mariage du jeu de conquêtes des années 80 et du jeu moderne des années 2000. Pour cela, ils ont souhaité créer un jeu dynamique, rendant caduque toute stratégie défensive afin de tenir un temps de jeu acceptable. En discutant avec les auteurs, on arrive à saisir leur intention et à parler du lien entre celle-ci et ce que le jeu propose effectivement (que l’on aime ou pas est un autre sujet). C’est de cela dont parle Teaman. Enfin, je crois.

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Comme quoi… nous sommes face pour moi… et c’est dit plus haut, à une analyse… et pas un jugement… analyse teintée de ce que l’analyseur sait et croit savoir, fonction du recul qu’il prend… et croit prendre ! Tout ceci demande pour moi une grande humilité… et s’éloigne d’une critique ! Ce n’est que mon avis… Enfin je crois :wink::blush:

En tout cas, ce n’est pas l’avis de Wikipédia que je cite plus haut qui dit qu’une critique peut être une analyse.