C’est en lisant notre confrère JV (#34), le magazine de la culture jeu vidéo comme ils se nomment que j’ai découvert en couverture ces mots accrocheurs et intrigants : Le jeu vidéo, paria de la culture ? Un article de Christophe Butelet et Kevin Bitterlin que je vous laisserais découvrir si le coeur vous en dit.
Même si au départ, je cherchais à faire des économies en trouvant de bonnes raisons ne pas acheter de casque VR. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en imaginant ces pauvres bougres de la première industrie de loisir dans le rôle du vilain petit canard. Il y avait là pour nous autres amateurs de carton un petit côté hôpital qui se moque de la charité.
Une occasion pour moi d’utiliser mon temps libéré à ne pas me faire attaquer par un requin virtuel en gesticulant grotesquement au milieu de mon salon parsemé de câbles à la Brazil. Revenons donc sur ce sujet qui semble inquiétant car si le jeu vidéo n’était pas culturel, je ne vous explique pas dans quel récipient honteux nous devrions ranger nos boîtes de jeux de société.
Depuis les années 2000, Tric Trac et bien d’autres se sont rangés du côté de ceux qui réclamaient l’apposition systématique du nom de ou des auteurs sur les boîtes de jeu. Chose qui existait déjà mais était encore loin d’être généralisée alors que le logo de l’éditeur était lui toujours en bonne place.
Certes, le nom de l’auteur n’est pas le débat sur la culture mais il y participe à sa manière.
La culture est ce qui reste quand on ne sait rien faire.
Françoise Sagan
Depuis que les choses se sont nettement améliorées sur les mentions d’auteur, nous avons vu le débat sur la culture du jeu de société (et du jeu de manière plus large) apparaître de plus en plus. Chacun y va de ses impressions ou de ses intérêts avec deux positions que nous pourrions déterminer comme opposées : ceux qui usent de cette fameuse sentence « Ce n’est qu’un jeu. » quand les débats s’enflamment ou se complexifient et ceux qui considèrent que le jeu de société est le Xième art, sans bien savoir quel numéro lui donner vu que les copains de la photos, du cinéma et de la BD sont déjà passés avant et que nous ne savons plus bien l’état de la numérotation. D’ailleurs c’est quoi le premier art ? Hein ? Vous voyez. Ce n’est pas si évident.
Et puis déjà, le contexte se complexifie encore puisqu’en plus de la culture vient parallèlement la considération artistique…
Le premier gros souci que nous avons c’est que la culture tout comme l’art n’existe pas.
J’aime bien les sentences brutales…
Je précise donc que la culture et l’art ne sont pas des étants. Ce ne sont pas des choses qui existent par elles mêmes en dehors de nous. Il n’existe aucune méthode scientifique démontrant que telle ou telle discipline ou objet est de l’art ou de la culture. Ce sont l’un et l’autre des notions que l’homme a créé et qui ont pour fonction (entre autre) de permettre de classifier et donc d’ordonner des formes de pensées. Personne n’a vraiment inventé ou découvert la culture et l’art. Par cette nature même qui tient donc de notre jugement personnel et du jugement collectif et social, ces mots recouvrent des sens et des significations relativement vastes et dont certaines théories viennent carrément s’invalider les unes, les autres. Ce qui ne nous empêche pas d’en discuter le bout de gras, un coude le comptoir avec la légèreté qui se doit d’accompagner ces moments de bavardages.
Je suis un non-violent : quand j’entends parler de revolver, je sors ma culture.
Francis Blanche
Numéro 19752 ! Guichet 33 svp !
Concernant l’art, sachez qu’à l’heure actuelle nous en serions à sept vu que les copains du cinoche ont bien fait leur boulot. Ceux de la BD continuent un peu à ramer pour prendre la huitième place. Autant vous dire que si vous allez réclamer un numéro d’art à l’institut de numérotation des arts, prenez de quoi grignoter : ça risque de vous prendre un paquet de temps. Et puis ce vénérable institut n’existe même pas…
La page Wikipédia dédiée à ce sujet est assez exemplaire du flou (artistique donc) et de l’imbécilité qui règne en ce domaine de la numérotation. Le passage sur l’analogie avec les sept couleurs de l’arc-en-ciel et le blabla de pensée magique sur les mystère du chiffre 7 donnent bien le ton du non sérieux de la chose. Et les 7 samurais ? Et les 7 nains ? Coïncidences ? Tss ! tss ! Non tout cela n’est vraiment pas sérieux mais nous y trouverons au moins le nom d’Étienne Souriau et autres malheureux qui avaient aussi du temps libre n’ayant pas de jeux vidéos pour s’occuper. C’est un peu oublier que le gars Souriau est un spécialiste de l’Esthétique (la branche de la philo qui traite de l’art et du beau) et qu’il avait son petit Hegel dans la poche avec une classification déjà bien entamée par Hegel qui en plus en faisait une liste traitée par ordre croissant d’importance. Non tous les arts ne se valent pas ma bonne dame ! Tu m’étonnes que chacun se dépêche d’avoir son numéro ! Vous imaginez ce que ça peut faire que de bosser dans 125 630e art dans un CV !
Aller se faire voir chez les grecs...
Toute cette histoire nous vient de divers classifications et forcément derrière tout ça on trouve encore un coup des grecs ! Seulement chez les grecs, le terme d’art n’existe pas encore. Les activités que l’on nommerait aujourd’hui artistiques étaient inspirées par les muses. Leur nombre varie mais finalement se stabilisera à neuf.
Forcément, au Moyen-âge occidental, le petit Jésus est passé par là et la classification muséale coince un peu au niveau du dogme. Les arts et les sciences ne sont d’ailleurs pas encore distincts. Pour faire simple, nous avons les libéraux et les mécaniques. L’équivalent d’intellectuel et de manuel.
Parmi ces manuels, certains deviendront ensuite les Beaux-Arts. Et la notion d’artiste émergera de celle d’artisan, le premier ayant une plus value que les serviles (ce n’est pas encore péjoratif à l’époque), dans leur volonté à plus grande sublimation du réel. Ce n’est qu’à la Renaissance (avant-hier donc) que l’artiste change de statut même si le mot Arte (qui ne signifie pas encore la chaine des intellos qu’on dit regarder alors qu’en fait on a maté Patric Sébastien, comme disent les malcomprenants) signifie toujours fait avec ses mains : la pratique.
Architecte ? C'est cheaté comme classe !
En fait tout ça nous sert à ranger et classer comme disait monsieur Perec. Mais pas que… Comme le gars Hegel, il y en a plein qui aiment aussi faire des distinctions de valeurs. Par exemple l’Architecture c’est quand même plus balaise que la peinture. Le monde ce n’est pas n’importe quoi ! Il y a de bons et des mauvais, des grands et des petits ! Après, les premiers seront les derniers si vous voulez mais on ne mélange pas les torchons et les serviettes. En plus de faire des catégories pour simplifier notre communication, autant leur donner des valeurs !
Du coup, ce qui devait servir à nous comprendre mieux sert aussi à nous définir et… nous classer. Et donc à construire un ordre social qui n’avait d’ailleurs pas attendu ça pour se constituer… Et là forcément, on comprend tout de suite beaucoup mieux le pourquoi de la revendication artistique.
Et sinon vous faites quoi comme vrai métier ?
Le domaine de la culture c’est encore plus le foutoir !
Si on arrive un peu à suivre l’évolution des idées sur l’art, celles qui donnent des définitions sur ce qu’est la culture (et donc ce qu’elle n’est pas) partent un peu dans tous les sens. En ayant une discussion sur la culture, nous avons donc de grandes chances de parler de choses différentes sans même en avoir conscience.
En plus, il n’y a même plus de classements…
Je vous donne un lien qui vous donnera quelques exemples de ce que peut bien être cette foutue culture.
Personnellement (mais ça n’a aucun intérêt) et comme beaucoup (c’est là que je suis un peu plus pris au sérieux), la culture est composée des représentations collectives propres à une société. C’est un sujet aussi passionnant que casse-gueule. Souvenez-vous donc du débat imbécile sur la nationalité et ce qui fait la culture d’un pays pour très vite entendre de sinistres bruits de bottes cadencées… Donc la culture, on fait un peu gaffe. Tant que ça fait fonctionner l’industrie touristique tout va bien, sinon je vous conseille de mettre des patins et de ne pas faire grincer le plancher.
Mais alors pourquoi donc les amateurs de jeux vidéos veulent-ils être considérés culturellement ? Et pourquoi les amateurs de jeux de société aussi ? Globalement vous pouvez faire l’expérience chez vous : vous prenez un jeu et vous jouez. La première fois vous vous dites que c’est une activité culturelle et l’autre fois non. Vous allez voir : rien ne change. Enfin dans le jeu…
Ce qui change est donc ailleurs.
Ce qui change c’est le regard de l’autre et le nôtre. D’ailleurs vous avez vu que la culture implique une collectivité. Là, nous retombons dans le souci du barbu. Je sais. Dis comme ça c’est un peu mystérieux. Le paradoxe du barbu est une histoire posant le problème des frontières et des limites. Tout le monde sait ce que c’est qu’un barbu. Avec un poil en moins c’est toujours un barbu. Deux poils en moins et le barbu l’est toujours. Question : à partir de combien de poils un barbu n’est-il plus un barbu ? Ne cherchez pas : il n’y a rien d’officiel. Le terme barbu nous sert à transmettre une information qui n’a pas besoin d’autant de précision. Être barbu n’est pas une qualité scientifique. La culture non plus et c’est pourquoi nous ne pouvons pas savoir à partir de combien de personnes se créée une collectivité ni si une de ses activités est donc culturelle ou pas. Un jour ça arrive. Juste avant on en discute très fort.
Pognon et notoriété mais pourquoi choisir ?
Nous sommes donc dans ce no man’s land qui fait que suivant le côté dont vous regardez la chose, vous pourrez à la fois trouver que le jeu (vidéo ou pas) est culturel ou pas.
Sauf qu’à l’évidence… le jeu vidéo et ses milliards de brouzoufs d’investissement et de bénéfices est une des activités très courues et rentables sur cette planète ! Leur petit souci c’est la jeunesse. Les jeux vidéos existent depuis hier. Mais les jeux de société ! Ils sont nés avec les premières cités et peut-être même avant ! Il y en a dans les vitrines du Louvre mec !
En fait il faut distinguer deux choses. Tout comme cette histoire de nom d’auteur sur les boîtes : le pognon et la notoriété. Vous noterez que ces deux aspects de la vie ont toujours été très en vogue. Parfois même au point de devenir indistincts l’un de l’autre bien que formellement ils puissent exister l’un sans l’autre.
Dans les Beaux arts, on n’a pas toujours signé. C’est relativement récent l’usage de la signature. En fait les artisans ont commencé les premiers. La signature est arrivée à la fois pour justifier une singularité de l’artiste (et donc pour valoriser son oeuvre par cette singularité) et pour faciliter le marché de l’art.
Cette histoire de nom d’auteur sur les boîtes de jeux c’est pareil. Pour les amateurs, nous pouvons nous servir de cette information pour évaluer un parcours ou un style d’auteur. De l’autre côté, l’apparition d’un nom d’auteur implique juridiquement un statut et une rémunération d’auteur. Un statut qui offre des avantages. Un fonctionnaire peut vendre des oeuvres en tant qu’auteur mais pas des « servilités » en tant que commerçant ou artisan.
Alors l’alibi ou la reconnaissance art et/ou de culture permet aussi de pratiquer un loisir sans passer pour un neuneu. C’est vrai que plus personne ne se moque d’un gamin qui joue au ballon. En plus c’est bon pour la santé et dans le meilleur des cas tu peux devenir talentueux, millionnaire et vulgaire en public.
Enfin… Enfin ! Il y a un dernier point. L’art et la culture sont supposés être soumis à nos sens moyennant un minimum d’efforts de focalisation de l’esprit. Si vous avez soif, vous pouvez boire un verre de vin fin gloutonnement. Mais… C’est un peu gâché d’autant qu’un verre d’eau sera plus désaltérant. Mais en se focalisant, avec l’aide de l’expérience et/ou les conseils d’un spécialiste, vous allez pouvoir découvrir des centaines de saveurs dont certaines vous seraient passé inaperçues si l’on n’avait porté votre attention à saisir un degré de subtilité que notre esprit ne peut maintenir perpétuellement au quotidien. Le goût ça s’apprend et l’avantage de la culture et de l’art est de nous préparer à nous mettre dans les conditions favorables de goûter au mieux ce que d’autres humains ont bien voulu nous soumettre. Peu importe qu’il soit bon ou pas le goût ! Ça c’est encore une autre histoire.
Alors dîtes moi ? C’est bien pour affiner nos sens, pour vivre dans un monde plus riche, plus varié et plus subtil que l’on veut que les jeux soient reconnus comme culturels hein ? Dîtes moi que c’est bien pour ça !