Le joueur de kubenbois, l’accro du jeu à l’allemande, le fan des petits jeux édités à 1000 exemplaires et traduits de façon artisanale par des Fans est-il en train de disparaître ? Pourquoi se sent-il seul ? Se sent-il menacé ? On ne parlerait plus assez des « gros jeux » sur Tric Trac ! Mince.
Inquiétude
Avec la fermeture récente des portes du salon d’Essen, j’ai constaté une inquiétude camouflée en désarroi, pointant les manques des sites internet qui font la couverture d’Essen. Surtout Tric Trac. J’ai lu que la communauté ludique n’en était plus une. J’ai lu que pour avoir des infos il fallait aller ailleurs, sur BGG par exemple. La question à se poser est pourquoi. Oui. Car les choses sont ce qu’elles sont. Elles sont rarement ce qu’elles devraient être. Encore plus rarement ce que l’on voudrait qu’elles soient. Alors pourquoi ?
Je crois remarquer que cela vient d’une certaine catégorie de joueurs. De ceux qui sont là depuis un bon moment. Oui. Car la nostalgie, les regrets ne peuvent venir que de la comparaison avec un « avant ». Et souvent cet « avant » était mieux. Il était confortable. Il prenait soin du joueur. Lui. Mais cet « avant » était comment ? Et pourquoi a-t-il changé ?
En 2002, les photos faisaient 350 pixels !
Ici le stand Aléa et “Edel stein & reich”
Avant.
Je me souviens de notre premier Essen. En 2002. Nous avons fait un compte rendu quasiment une semaine après. Sur place, impossible de faire quoi que ce soit. Du reste, durant les 4 jours du salon, pas une annonce sur Tric Trac. Forcément. On ne pouvait pas à la fois faire des photos, jouer à des jeux, discuter et écrire des news. Et puis Facebook et Twitter n’existaient pas. Nous avons pris notre temps. Les années suivantes, nous n’avons pas été bien plus rapides. Cet événement nous a permis de tout essayer. Nous avons fait quasi la première vidéo consacrée à la « Messe » au monde et mise en ligne sur le net ludique. La chose a été postée quasi 15 jours après la fermeture des portes. Personne n’a hurlé, personne ne s’est senti abandonné, personne n’a loupé LE jeu qu’il fallait avoir. Croire que nous couvrions l’événement en direct, que nous le couvrions mieux, plus, à fond est une erreur. Un leurre. Une mauvaise analyse. De mauvais souvenirs.
Essen +1
Nous sommes lundi, nous sommes à Essen +1, le salon vient de fermer ses portes et se font déjà entendre quelques voix malheureuses. Inquiètes. Agressives. Sur notre couverture de l’événement. Sur le secteur et son approche. Sur le web et le traitement des infos, des jeux. À Essen +1 !!! À peine. Le salon a fermé il y a moins de 24h. Mais dans quel monde vivons-nous. Où va-t-on ? Nous voilà dans un monde qui ne laisse plus le temps de rien. Il faut twitter. Écrire 3 lignes tout de suite. Dire, hurler, répéter que nous y sommes ! Bouger les bras en faisant de grands moulinets pour occuper l’espace.
Nous vivons dans un monde qui ment. Oui. Qui se ment. Car enfin comment peut-on sérieusement envisager que quelqu’un va couvrir 800 jeux en 4 jours ? Parler à tout le monde. Découvrir LA petite merveille qu’il faut avoir et dont personne n’avait envisagé l’existence avant, et ce le premier jour à la première heure ?
Je me souviens d’un visiteur sur le salon qui, 15 minutes après l’ouverture le premier jour est venu me demander quel jeu marquait le salon ! 15 minutes mec. Oui. Je suis fort, je sais, mais si j’avais ce type de super pouvoir, je serais le maître du monde.
J’avais fait le calcul il y a un an ou deux déjà. C’est juste mathématiquement impossible. Nous vivons dans un monde qui court après la nouveauté coûte que coûte. Comment arrive-t-on à une société qui ne peut pas attendre 24h, 48h, 72h avant de savoir quoi consommer ? Bon sang de bois, elle est quand votre prochaine soirée jeu ? Vous n’avez pas assez de boites chez vous qu’il vous fait une nouveauté du salon d’Essen pour briller en société ? Pour vous rassurer d’être à la page. Pour ne pas vous sentir exclus ? Que croyez-vous qu’il y ait eu d’aussi extraordinaire qui n’ait pas été traité avant ou qui ne sera pas traité dans les jours qui viennent ?
Essen 2015 et la puissance francophone…
Du recul !
Cette situation vient, à mon sens, d’un manque de perspective. J’ai cru remarquer une peur du désamour. « Rhalalala, mais on ne parle pas des gros jeux. On ne parle plus des gros jeux. Je ne suis plus le centre d’intérêt des éditeurs, des « journalistes », des prescripteurs… ». Mais, comment expliquez-vous que les gros jeux ne se soient jamais autant vendus que maintenant ? La production n’a jamais été aussi belle que maintenant. Seulement voilà, tout ceci n’est qu’une goute d’eau comparée à tout le reste. Ce qui était une majorité il y a 10 ans est une minorité maintenant. Et les minorités on les entend moins. Tellement moins qu’ils n’arrivent plus à s’entendre eux même. Entre eux. Du coup, ces joueurs se croient seuls. Abandonnés.
J’ai même lu qu’avant il y avait, ici sur TT, une communauté, mais qu’elle n’existait plus. Disparue. Terminé. Pof. Envolée. Non, elle n’a pas disparue. Il y a simplement eu glissement. Changement. Quand on tient à son passé, quand on n’aime pas le changement, quand on devient vieux, on ne se rend pas forcément compte de ces micros changements qui, un jour quand on ouvre les yeux, font que votre monde n’est plus le même. Ces micros mouvements sont clairs maintenant et ils ont une conséquence majeure. La communauté est passée sur les projets Kickstarter. C’est comme ça. Nous vivons une autre époque. Nous vivons le début d’une autre époque.
Les prescripteurs sont maintenant à fond sur les projets à financement participatif. Il y a des raisons « sociales » à cela. L’une d’elles est que la communication des éditeurs est tellement forte en amont, avant la sortie d’un jeu, que les amateurs n’ont plus rien à conseiller. Plus rien à faire découvrir. Alors que sur les KS, il y a tout à faire. Il y a ce sentiment de prise de risque que l’on n’a plus en achetant une boite de jeu dont on sait tout avant.
Il y a toujours des pousseurs de cube en bois sur Tric Trac, la preuve, j’en suis un !
Moi, Monsieur Phal, ce jour.
La communauté
Non, la communauté n’a pas disparu. Elle a déplacé son centre d’intérêt. Parce que les éditeurs font de mieux en mieux leur travail. Tellement mieux que les succès de maintenant sont 20 fois plus gros qu’il y a 10 ans. Tellement mieux que l’on sait qu’un bon jeu étranger trouvera forcément un éditeur pour le traduire en français.
Alors, du coup, on entend moins les pousseurs de cube en bois. Ils n’occupent plus le terrain avec autant de vigueur, leurs voix étant perdues au milieu des autres. Car ils ne sont plus seuls. C’est tout. C’est simple. Rajoutez à cela qu’ils sont tous à Essen – sans doute un peu à cause de nous, Tric Trac -, qu’ils balancent tous leurs avis et leurs photos sur Facebook ou Twitter et vous avez un nouveau monde. Il n’est pas mieux. Il n’est pas pire. Il est autrement. Et il ne sert à rien de dire que c’était mieux avant, car c’est toujours mieux avant et depuis des siècles. Il ne sert à rien de rejeter la faute sur d’autres. Un site internet comme Tric Trac n’y est absolument pour rien. Le monde est ce qu’il est. Les lignes bougent. Doucement. On peut les influencer, tenter de les guider, mais on ne peut pas lutter contre. Nous, chez Tric Trac, on s’adapte et on optimise. Comme toujours.
Tout ça pour en arriver où ? À vous dire de laisser le temps. De nous laisser le temps. Laissez le temps à ceux qui étaient sur place de digérer. Calmons nous. Tous. Il ne s’agit que de jeu après tout.
Bref, nous allons, cet après-midi, faire une vidéo « Vite fait, + ou – bien fait » spécial Essen. Entre tous les articles que nous avons écrit, les vidéos que nous avons tourné avant le salon, les photos que nous avons mis pendant le salon et ce que nous allons faire après le salon, je crois que l’on peut dire que le pousseur de cube en bois a, aura, tout ce qu’il faut pour savoir quelle boite de jeu acheter pour sa soirée entre amis.
► Pour voir un reportage sur Essen 2002 et des photos format timbre poste, cliquez ici !
NdlR : cet article est rédigé à chaud, une espèce d’envie de coup de gueule. Oui. Parce que des fois, quand on a envie d’un coup de gueule, ben il ne faut pas se retenir.