En Janvier dernier (ça ne nous rajeunit pas, ma pauvre dame), j’avais inauguré ici-même un premier article d’une série à parution totalement irrégulière intitulée « les mains dans le moteur ».
Pour rappel, l’idée directrice était de partager avec les lecteurs, dans le domaine du « Game Design », ma vision personnelle du « Pourquoi ça marche » (c’est à dire pourquoi certains jeux donnent envie de rejouer encore et encore), plutôt que de décortiquer le « Comment ça marche » (c’est à dire démonter l’architecture mécanicienne des jeux).
En effet, mon credo, c’est que les mécanismes dans un jeu, aussi brillants, novateurs, surprenants (article interactif : ajoutez ici une liste d’adjectifs qualificatifs de votre choix) soient-ils, ne sont rien s’ils ne sont pas au service d’une mission plus profonde : générer un panel d’émotions qui vont capter l’attention du joueur tout au long de la partie.
C’est ainsi que l‘épisode 1 (tiens, ça fait très Star Wars… j’aurai peut-être du commencer par l’épisode 4…) présentait mon carburant préféré dans les jeux de société : la frustration
(à lire ici pour les retardataires).
Aujourd’hui, je prends enfin le temps de vous parler de sa petite sœur :
LA TENTATION !!
La tentation, dans la vraie vie, c’est vieux comme le monde… Eve, le serpent, la pomme, tout ça… et depuis c’est la merde, on est bien d’accord…
Et dans les jeux (l’autre vraie vie), c’est un peu pareil. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que la tentation peut être introduite par l’auteur du jeu de façon volontaire… ou même par les joueurs eux-mêmes au travers de leur comportement :
Prenons les échecs, jeu rigoureux, calculateur, dénué de hasard s’il en est. La tentation ne fait pas partie intrinsèque des mécaniques de jeu. Et pour autant, les joueurs l’utilisent fréquemment, par exemple sous la forme d’un Gambit… un pion offert en pâture… Le tentateur (le serpent) offre un avantage matériel (miam, la pomme), contre généralement un avantage positionnel (euh… sans commentaire). Le tenté se retrouve face à un dilemme : faut-il se laisser tenter ou bien le piège va-t-il se refermer sur moi plus tard (genre dans 9 mois). Ben rien que ça, ça en génère des émotions dans la tête du joueur !!
Maintenant, la tentation peut aussi avoir été introduite de façon totalement volontaire par l’auteur. C’est particulièrement le cas de tous les jeux basés sur des mécanismes de « stop ou encore ». Ici, à chaque fois, le joueur se retrouve confronté… à lui-même ! Au sein d’une même phase de jeu dans laquelle il est libre de ses choix, le dilemme permanent est de poursuivre son tour dans l’optique de maximiser son gain, au risque de tout perdre et d’avoir fait un tour pour rien en cas d’échec. Là encore, de belles émotions, qui vont crescendo à chaque nouvelle tentative, surtout si vos adversaires vous poussent à la faute à grand coup de « même pas chiche », « pas cap » et autres « petite quéquette » (oui, je cherche encore laquelle m’a dénoncé).
La tentation est également naturellement présente dans tous les systèmes à base d’enchères. Puisqu’il s’agit là bien souvent de profiter de la faiblesse des adversaires face à cette tentation pour les amener à-e dégoupiller et payer trop cher, tout en tentant soi-même de rester de marbre en achetant jamais au dessus du prix juste. C’est ce qui fait tout le sel d’un jeu comme la Coinche (oui je sais, c’est pas trop le type de jeu qui fait la une des colonnes de notre site préféré) dans lequel la victoire se joue souvent en amenant les adversaires à annoncer des contrats trop élevés. C’est ce qui fait aussi les beaux jours du poker, avec cette fameuse tentation de payer pour voir la carte suivante alors qu’on ferait mieux d’attendre patiemment la prochaine donne.
Dans mes propres création, j’ai exploré une autre voie pour confronter le joueur à la tentation : celle de la corruption. Offrir une sorte de fruit empoisonné, un avantage palpable immédiat, qui généralement va booster le développement du joueur, avec en contrepartie négative le poison de la corruption… mais qui ne lui coutera peut être finalement pas si cher que ça si ce n’est pas lui le plus corrompu. Avec du coup un serrage de fesse tout au long de la partie en espérant ne pas avoir à (trop) pâtir d’avoir cédé à cette tentation. Là encore, c’est riche en émotions diverses et (a)variées.
Comme on le voit, la tentation peut prendre bien des formes différentes, mais elle est présente dans bien plus de mécanismes de jeu qu’il n’y paraît au premier coup d’œil si on n’y prête pas attention. Ce n’est sans doute pas un hasard, tant cette expérience est universelle (Qui n’a jamais été confronté à la tentation au cours de son existence, quelle qu’en soit la forme). Et ce n’est sans doute pas un hasard non plus si elle fonctionne à merveille en complément de cette frustration que j’évoquais lors de l’article précédent.
Voilà… moi, je l’avoue, je suis faible, très faible, face à la tentation.
Et vous… vous laissez-vous tenter ???