« E pericoloso Sporgersi »
L’année dernière, mon collègue Jade Yoo de BoardM (qui publie Love Letter en Corée), m’a fait découvrir Lovecraft Letter qu’il avait rapporté du Japon. Une nouvelle variation avec Seiji Kanai toujours aux commandes, plus de cartes, une thématisation bien agencée et un nouvel effet « Folie-Insane » pimentant les parties et donnant du fil à retordre aux joueurs.
C’est Alderac Entertainment Group (AEG) qui gère Love Letter et sa gamme à l’international et de fil en aiguille, par passion et envie communes, je me suis retrouvé à illustrer Lovecraft Letter pour une édition grand format que je qualifierai de « Deluxe » !
Je dois dire que mettre en images Lovecraft Letter fut un drôle de challenge.
Tout d’abord, c’est une sacrée opportunité que de pouvoir travailler sur l’univers Love Letter de Seiji Kanai, un jeu dit « minimaliste » qui, de par son accessibilité, son originalité et sa rejouabilité, a conquis un vaste public, qu’il soit familial, expert ou occasionnel et a déjà été décliné en de nombreuses variations.
Ensuite, étant grand amateur de littérature fantastique disons « originelle » en érigeant par exemple « La Maison au bord du monde » de William Hope Hodgson comme livre de chevet (que Lovecraft qualifiait d’ailleurs de chef-d’œuvre !), pouvoir approcher les créatures et visiter les mondes étranges de Lovecraft en tant qu’illustrateur principal tenait plutôt du « enfin, ce n’est pas trop tôt ! ». Cependant, il y a une dizaine d’années, j’avais travaillé pour Fantasy Flight Games sur les jeux de cartes « Game of Thrones » et « Call of Cthulhu » mais finalement pas assez pour pouvoir m’y exprimer pleinement.
Avant de se ruer sur les crayons et pinceaux, il faut savoir prendre du recul pour aborder une telle entreprise et trouver le bon ton, bien placer le curseur. Ce qui est on ne peut plus délicat quand on soupèse l’aura et l’impact des deux composantes à fusionner. De plus, depuis quelques temps, tout comme la Fantasy au moment du Seigneur des Anneaux sur grand écran, le Fantastique (parfois horrifique) et tout ce qui tourne autour de Cthulhu s’est considérablement répandu et popularisé, que ce soit au cinéma, dans le monde du jeu, en littérature…
Je suis toujours partisan d’une optique très claire et très directe. Là, je me suis dit que Love Letter c’est désormais une référence du monde du jeu, un classique. Cthulhu et ses amis sont des figures classiques du genre « monstres, horreurs et créatures fantastiques ». Et j’ai moi-même une « écriture » et un traité de mes illustrations disons « classiques ». Dans le sens « traditionnel » où ma technique (crayons, pinceaux, peintures et pinceaux sur papier « à la main » - avec une approche moderne) donne une patine à mes images, un piqué et un rendu qui s’inscrivent et prolongent un certain héritage de l’illustration.
Donc, sans chercher à renverser la table ou renouveler le thème, de même que le public de la gamme n’est pas forcément amateur ou initié à ces nouveaux horizons, nous avons opté pour un ensemble au plus proche de ce que Lovecraft avait créé. Avec Nicolas Bongiu qui a assuré la direction du projet pour AEG, nous avons fait des recherches constructives de descriptions et textes dans les récits de Lovecraft pour essayer de transmettre au mieux et de manière accessible son univers. Bien entendu, nous ne nous sommes pas interdits appropriations et interprétations, ce qui est toujours nécessaire et souvent justifié pour adapter un thème à un jeu.
Sur la forme, comme cette édition s’annonçait déjà comme singulière de par son thème, nous avons décidé de nous éloigner un peu des codes de la gamme. Comme par exemple des illustrations qui s’affranchissent d’un cadre-enluminure pour couvrir la majorité de la surface des cartes ; pour aller au bout du concept, des habillages et cartouches de textes fortement thématisés, vieux papiers, roches noires et rongées ; des polices de caractère machine à écrire ou lettres manuscrites dansantes pour les effets impactant la santé mentale des joueurs… Jusqu’à des éléments de l’illustration mordant sur les habillages de certaines cartes évoquant la folie.
Le projet prenant une jolie ampleur, AEG a proposé de changer de format de jeu pour se rapprocher de celui du Love Letter Premium : belle boîte avec rabat aimanté, cartes format Tarot et protèges-cartes « custom », ajouts de jetons de poker pour les points de victoire… Ce qui donne une autre dimension au jeu en offrant un matériel vitaminé et classieux. Et j’en suis ravi !
A propos de la boîte, pour souligner et rendre hommage à Lovecraft et comme ses écrits évoquent souvent des ouvrages mystérieux (Necronomicon, Liber Ivonis…), nous avons choisi de simuler un vieux livre usé à la reluire en cuir. Un travail de textures et images en trompe l’œil que j’affectionne tout particulièrement.
C’est ma première collaboration avec AEG et j’en fus pleinement satisfait, sur le fond et la forme (mon petit doigt me dit aussi qu’il y a déjà d’autres choses dans les tuyaux !). Et ce n’est pas tous les jours qu’on peut s’exprimer ainsi aux travers de thèmes et formats qu’on apprécie et qui nous sont chers avec – comme ce n’était déjà pas largement suffisant – une assise et une visibilité confortables et accrues.
En espérant que le voyage en ma compagnie chez le détonnant tandem Kanai-Lovecraft vous plaira…à vos risques et périls car comme l’écrivait Lovecraft :
« Il y a des horreurs au-delà des limites de la vie, dont nous n'avons pas idée, et les prières diaboliques d'un homme peuvent en un instant les faire surgir dans notre propre réalité »
https://www.alderac.com/lovecraftletter/
https://boardgamegeek.com/boardgame/198740/lovecraft-letter
Les règles sont disponibles en anglais :
https://www.alderac.com/images/2016/12/lovecraft_letter_rulebook_v1.unknown.pdf