Dans ce nouvel épisode de Revue Caustique je vais vous présenter, une fois n’est pas coutume, un jeu indisponible. Et qui n’a été édité qu’en anglais qui plus est … Mais n’ayez crainte, une version française est en travail grâce à sa revisite récemment financée via KickStarter. Il devrait être disponible en fin d’année grâce au travail de 500 Nuances de Geek !
C'est un jeu qui fait rêver les joueurs les plus ardus, mais qui peut aussi faire peur à certains d'entre nous. Voyons s'il y a vraiment de quoi.
Pax Renaissance
Il s'agit du troisième membre de la famille des "Pax", une série de jeux réputée pour ses thèmes forts, rarement très réjouissants puisque inspirés des wargames (esclavagisme, guerres Afghanes, ...), et à la complexité assez élevée.
Comme tous les Pax, on retrouvera parmi les auteurs de Pax Renaissance Phil Eklund, accompagné sur celui-ci de son fils Matt. Le tout auto-édité par leur maison d'édition Sierra Madre Games, et ION games. Ce sont des petits éditeurs Suédois qui sont connus pour leurs jeux profonds (les séries Pax, Bios, High Frontier, ...) , avec des thèmes historiques ou scientifiques assez poussés. Le tout imprimé en petit tirage, ce qui ajoute un mystique à ces jeux et augmente leur côte sur les espaces dédiés à ceux qui aiment se catégoriser comme de "gros joueurs".
Mécanique globale du jeu
Avec une complexité estimée à 4,34/5 sur le site voisin, vous vous doutez bien que je ne vais pas m'attacher à vous expliquer chaque point de règle, cela en deviendrait abrutissant.
Dans Pax Renaissance, vous serez un digne représentant d'une grande famille de banquier européen en pleine Renaissance. Grâce à vos richesses, vous pourrez vous acheter des armées, influer sur la politique étrangère de certains Empires, engendrer guerres civiles ou guerres religieuses, faire tomber des têtes, et de préférence celles des Roi et Reines à la botte de vos concurrents.
Mise en place pour une partie à 2 joueurs : la Banque Marchionni (vert) contre la Banque Medici (jaune).
Trois espaces de jeu se détachent dans Pax Renaissance :
- La carte de l'Europe, représentée par 10 cartes
- Deux rivières de cartes, une pour les Empires de l'Ouest (blanche), une pour les Empires de l'Est (noire)
- Les cartes jouées devant chaque joueurs (non-visible sur cette photo)
A chaque tour de jeu, vous avez le droit à 2 actions parmi les 8 disponibles. Certaines peuvent être effectuées 2 fois dans un seul tour (actions 1 à 3), les autres non.
- Acheter une carte d'une rivière
- Jouer une carte de votre main sur votre tableau personnel
- Vendre une carte (de votre main ou de votre tableau) pour 2 Florins
- Entamer une foire commerciale à l'ouest
- Entamer une foire commerciale à l'est
- Jouer les opérations spéciales sur vos cartes de l'ouest de votre tableau
- Jouer les opérations spéciales sur vos cartes de l'est de votre tableau
- Clamer votre victoire
La difficulté du jeu provient notamment des objectifs nécessaires à la proclamation d'une victoire. Il y en 4 différents, qui sont présents à chaque partie, mais qui nécessitent d'être activés avant de pouvoir valider sa victoire grâce à l'action n°8.
Il y a la victoire Religieuse selon Tomas de Torquemada, la victoire Impériale selon Charles V, la victoire Mondialiste de Christophe Colomb, et enfin, la victoire de la Renaissance par qui d'autre que Léonard de Vinci ?
Ces conditions de victoires ne correspondent pas spécifiquement à une course à l'objectif, mais à une confrontation entre les différents joueurs. La victoire Impériale nécessite par exemple que vous possédiez dans votre tableau 2 monarchies de plus que n'importe quel adversaire (3 dans une partie à 2 joueurs). Ce sont des objectifs qu'il peut être compliqué d'atteindre, à la fois parce que vos stratégies sont totalement dépendantes des cartes disponibles dans la rivière, parce qu'il faut réussir à se détacher des autres joueurs pour les valoriser, et surtout parce qu'il faut réussir à activer la condition de victoire qui vous importe avant de pouvoir clamer victoire. C'est donc un jeu extrêmement interactif et opportuniste.
Divergence entre règles et mécanique d'un jeu
Avant Pax Renaissance, je ne m'étais jamais vraiment posé la question : Qui de la règle ou de la mécanique est arrivée la première ?
En effet, pour moi la règle du jeu induisait et expliquait le fonctionnement d'une mécanique. C'est à peu près toujours comme cela que je l'ai ressenti. Certains joueurs ressentent plus ou moins facilement qu'une règle de jeu a été ajouté artificiellement, et ne sert qu'à combler un manque. L'exemple le plus courant étant le recours à la draft pour que les joueurs équilibrent eux-mêmes leur partie. Je suis rarement de ceux-là, acceptant assez volontiers les désirs mécanistiques de nos auteurs.
Mais dans Pax Renaissance, ce travers apparaît très facilement. En effet, à la lecture du paragraphe précédent, et notamment les 8 actions disponibles, je suis presque sûr que vous avez pu faire des parallèles avec d'autres jeux que vous considérez comme familial.
Le système de rivière de carte fonctionne exactement comme celui de Century par exemple. D'ailleurs la mécanique globale du jeu est très fortement inspirée de celle d'un autre Pax qui a été designé et édité légèrement avant celui-ci : Pax Pamir. Et ce dernier présente une complexité bien moindre que Pax Renaissance.
Et c'est pour cela que je différencie ici mécanique de jeu, et règle de jeu. La mécanique de Pax Renaissance est très abordable. Mais sa règle du jeu rajoute de nombreuses couches de difficultés favorables à une paralysie analytique.
Phil Eklund a voulu intégrer à son jeu une dimension d'échiquier. Les cubes à votre couleur sont représentés par des pions dans l'iconographie du jeu, tandis que les pièces allant sur la carte de l'Europe sont soit des cavaliers, soit des tours. On retrouvera aussi le Roi et la Reine, évidemment, ainsi que les fous qui représentent ici les religieux. Les cavaliers et les tours représentent la stabilité d'un Empire, puisque les tours correspondent à ses capacités de défenses, tandis que les cavaliers peuvent à la fois attaquer et défendre.
Mais en plus de cela, chaque carte "de l'Europe" correspond à un Empire. Et chacun de ces Empires peuvent être sous la forme d'une monarchie, ou d'une république. Ces cartes Empire sont très importantes, puisque l'accumulation de celles-ci sur leur face monarchie peuvent vous permettre de répondre à l'objectif Impérial ou celui de la Renaissance dans le cas des républiques. Elles vont donc plus ou moins facilement circuler d'un joueur à l'autre, suite à des attaques de Campagne d'un Empire contre son voisin, de guerres civiles induites par vos rivaux qui utiliseront les pions réprimés (appelés Serfs) ou les pirates, et autres cavaliers et tours réprimés pour vous détruire de l'intérieur. Vous pourrez aussi marier vos Reines à des Roi célibataires, étendre le pouvoir du peuple en provoquant des votes pour façonner une nouvelle République, ou encore promouvoir des guerres religieuses ...
Parce que l'aspect religieux est aussi un autre élément du jeu primordial. Il y en a 3 de représentées dans ce jeu : la religion Catholique (blanc), l'Islam (noir), et les Protestants (rouge). Vous retrouverez ainsi des fous, des cavaliers, et des tours de chaque couleurs. Ainsi qu'une condition de victoire appropriée. Il faudra dans ce contexte réussir à trouver un certains équilibre, car les religions ne s'entendant pas particulièrement entre elles, l'une des façons de l'emporter sera donc de réduire les forces militaires des autres religions en présence, quitte à réduire la stabilité de l'Empire - ce qui est une bonne chose si l'Empire appartient à un joueur adverse, moins si c'est le votre.
Et c'est en mélangeant tous ces éléments de jeu, qui permettent d'être le plus représentatif d'un wargame historique, que l'on se retrouve avec des règles induisant une complexité bien plus grande que la mécanique ne le laissait penser. Car votre objectif sera donc de développer vos Royaumes ou vos Républiques, d'y recruter des forces militaires (cavaliers ou tours) afin de stabiliser vos Empires et d'améliorer votre pouvoir de campagne. Seulement, pour passer d'une monarchie à une république, il vous faudra induire un changement de régime, qui nécessite d'affaiblir la stabilité de votre Etat, et donc vous rend plus susceptibles aux attaques adverses. En parallèle, la couleur des pièces n'aura aucun impact sur leur capacité à se battre pour leur patrie, mais aura une importance cruciale lors de guerres religieuses qui pourraient induire une auto-destruction des forces en présence et un effondrement précoce de votre Empire. Si vous visez un objectif de fin de partie Religieux, il vous faudra donc réduire la stabilité de certains Empire en jetons blancs/noirs/rouges (en fonction de la religion qui vous arrange), ce qui une fois encore induit une instabilité militaire vous mettant à risque de tout perdre...
Le Travail éditorial
Ce combo d'éditeurs-auteurs SMG-ION est quelque peu particulier par rapport à ce qui se fait sur le marché du jeu de société. La majorité de leurs jeux sont très exigeants avec des règles feuillues, un temps de jeu d'au moins 30 minutes par joueurs, une certaine nécessité d'adaptation et d'opportunisme, et donc aussi un facteur chance. Ce sont aussi de très petits tirages, dans des boites de jeu minimalistes pour un poids en général de 1kg, ni plus ni moins (ni moins car ils sont riches en matériels, ni plus parce qu'au dessus de 1kg, les frais d'expédition dans certains pays comme l'Allemagne ont tendance à monter en flèche, et c'est un élément de réflexion important dans leur création et leur ligne éditoriale !).
Parlons donc un peu plus des spécificités de ce jeu dans ce contexte.
Règles vivantes
Les règles de ce jeu sont donc très conséquentes. Comptez une bonne vingtaine de pages de règles et une dizaine de page de glossaire en plus. Et pourtant, régulièrement, celles-ci sont mises à jour dans un système de règles vivantes.
A l'image d'une FAQ que peuvent mettre à disposition certains éditeurs après la sortie de l'un de leurs jeux, les règles vivantes sont quasi-systématiques chez les jeux SMG-ION. Il s'agit d'un document Word des règles mis à disposition sur leur site internet, avec de régulières améliorations pour clarifier le jeu, voir modifier des règles dans le cas où les joueurs auraient mis en lumières quelques défauts dans le design original.
Cette façon de faire à ses fans et ses détracteurs.
D'une part, on se retrouve avec des règles plus précises, mieux écrites, avec un contexte généralement plus claire ou du moins plus riches d'exemples, et qui auront eu le temps de maturer sur plusieurs mois, années, milliers de parties. Au moins on devine qu'un jeu SMG-ION n'est pas "juste un nouveau titre", qu'il y a une intention derrière, un suivi, et que le jeu ne reste pas figé dans ses travers. Les règles sont d'ailleurs parsemées de petites notes de bas de page expliquant pourquoi telle règle est pertinente dans le contexte historique ou scientifique du jeu.
D'un autre côté, cela nécessite de se mettre soit même à jour lorsque l'on joue à ces jeux, avec un risque que le jeu ne soit pas "parfait", pas "totalement fini" quand on s'attend à ce qu'un jeu édité professionnellement ait passé une quantité de playtest et de relectures suffisantes pour que ce genre de pratique ne soit pas nécessaire dans un travail professionnel.
Matériel et disponibilité
Chez cet éditeur, le design est minimaliste, pas de plateaux si ce n'est pas nécessaire (bien qu'un plateau est apparu dans la version Deluxe de ce jeu dans le dernier KS), les jeux sont surtout composés d'épais decks de cartes de bonne qualité - même si elles n'ont pas de finitions linen. Et les boîtes contenant le tout sont à la taille exacte du jeu : elles sont bien remplies et laissent très peu de place en surplus et ça c'est vraiment soulignable. Par contre, ne vous attendez pas à un format de boite classique carré comme vous pouvez en voir des milliers dans vos boutiques !
On a donc une petite boite pour un grand jeu. Ce qui est relativement disruptif dans le milieu du jeu. Et en plus de cela, le coût du jeu lui-même est réduit. Il fallait compter 30€ pour cette version neuve, là encore c'est une petite révolution dans le jeu dit Experts.
Mais bien sûr, tout n'est pas parfait. Le principal reproche que l'on pourrait faire à cette édition, c'est son faible tirage. SMG-ION étant une structure relativement petite, et ces jeux étant fait pour une niche de joueurs, le nombre de copies de chaque Pax est relativement faible, ce qui les rend quai-introuvables un an après leurs sorties. Et ne comptez pas sur une sortie boutique en France !
Mon autre critique porte plus sur le design graphique du jeu. Car contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce jeu est sorti en 2016 ! Or, même si l'intention des auteurs étaient d'avoir un "design d'époque", on se retrouve avec des infographies vieillotes, ressemblant à ce qu'il se faisait il y a 20 ans dans le wargame, c'est-à-dire donner un air austère au jeu, ce qui n'améliore pas cette impression du "ce n'est pas un jeu pour moi" qui peut déjà flotter autour de Pax Renaissance. Les cartes sont surchargées entre les nombreuses icônes d'opérations, les actions immédiates, le texte historique, la localisation etc. Le tout sans avoir un ordre précis : parfois l'action immédiate est entre le texte historique et les opérations, parfois c'est le contraire. Bref, un travail ergonomique encore superficiel qui pourrait s'expliquer par le fait qu'il s'agisse d'un petit éditeur indépendant... seulement en 2016, lors de sa publication, déjà de nombreux jeux très ergonomiques étaient sortis sur lesquels ils auraient pu s'appuyer !
Mai soit, voici tout de même quelques unes de mes cartes préférées pour que vous puissiez juger du rendu.
Il y a tellement de charisme en plus. Notez la présence du "Beau Gosse d'Hungary".
Pour finir sur le matériel, les jetons en bois sont agréables à manipuler, les cartes font très bien le travail, mais malheureusement, je trouve les florins (monnaie du jeu) en plastique un peu déconnant par rapport au reste du matériel.
Et mon avis dans tout cela ?
Pax Renaissance est un jeu assez particulier, à la mécanique simplissime, mais aux règles qui font peur. La première -et la seconde- partie peuvent être assez brouillon. La partie commence, et vous avez 10 cartes présentent devant vous sans que vous ne sachiez quoi faire.
Qu'est-ce qu'une bonne carte ? Je dois plutôt viser le marché de l'Est ou celui de l'Ouest ?
Mais c'est aussi tout le sel de ce jeu : vous ne pouvez pas entamer une partie en proclamant vous lancer dans une stratégie X ou Y. Tout simplement parce que toutes les cartes du jeu ne seront pas en présence. Il peut donc y avoir des parties sans aucunes Reines en jeu (qui sont les cartes les plus simples pour commencer une partie et obtenir un Empire rapidement), ou sans Religieux, ou sans Corsaires, ... Il s'agit d'un jeu d'opportunisme. A vous d'évaluer quelles cartes sont présentent, et à partir de celles-ci et de ce qui vous est accessible, quelle est la stratégie la plus efficace. C'est assez simple lors d'une partie à 2 joueurs où le marché des cartes bouge relativement peu, c'est plus chaotique à 4 joueurs où il peut arriver qu'aucunes cartes présentent dans le marché lors de votre premier tour ne soient encore disponibles au deuxième tour. De plus, la fin de partie ne pourra avoir lieu tant qu'au moins une carte Comète n'aura été acheté afin d'activer une condition de victoire. Cette carte peut arriver dès le 2ème tour dans certaines parties à 2 ou 3 joueurs, mais peut aussi très bien arriver très tardivement...
Mon premier conseil pour quiconque voudrait se pencher sur ce jeu : imprimez vous une aide de jeu. Il y en a de nombreuses disponibles sur les internet, trouvez celle qui vous correspond le mieux, qui résume bien les points de règles de chaque opération et chaque action immédiate, et l'apprentissage du jeu n'en sera que plus facile ! Une fois bien équipé, Pax Renaissance est un jeu très fluide et réellement plaisant. Après plusieurs parties, vous aurez à coup sûr ce sentiment agréable de maîtriser ce jeu que vous craigniez lors de votre première partie. "Finalement, c'est plutôt simple".
Les parties auront donc une durée assez variable. Plus vous et vos joueurs maitriserez le jeu, plus la durée de jeu s'équilibrera puisqu'il s'agira clairement d'un jeu où vous vous rendrez coup pour coup, tel sa muse les échecs. Et lorsque la partie se termine, un jolie goût de "on y retourne ?" vous accompagnera.
Outre les critiques que j'ai déjà pu formuler lors de cette review, je voudrais resouligner une fois de plus le facteur chance/opportunisme du jeu. Toute votre stratégie ne pourra dépendre que des cartes des marchés. Il ne faut donc pas se concentrer sur une seule stratégie de manière obtus, mais se laisser gagner par les opportunités. N'oubliez surtout pas de regarder le plateau adverse, car il ne faut pas le(s) laisser s'envoler. Une fin de partie peut être abrupte, et si vous laissez un joueur s'en sortir avec une condition de victoire potentielle, vous n'êtes pas à l'abris qu'une carte Comète apparaisse, qu'il active la dite condition et mette fin à la partie. Et malheureusement, cela peut s'avérer compliqué, car dans certaines conditions, si l'un des deux marchés ne présente aucune carte satisfaisante, il peut arriver que l'une des pioches se vide très rapidement (augmentant le risque d'une Comète) tandis que l'autre marché stagne toute la partie durant.
Il m'est d'avis que Pax Renaissance à tout pour plaire aux eurogamers. Cette petite boite regorge de sensations mêlant jeu de gestion et wargame de manière subtile. Outre Pax Pamir, qui le fait différemment, je trouve le système de jeu innovant et original. Le contexte historique est retranscrit dans chaque carte, mais l'utilisation de celle-ci peut mener à une uchronie qui peut ressembler à un jeu dans le jeu.
Les règles étant disponibles en français, outre le contexte historique sur chaque carte, le jeu peut très bien se jouer même avec la version originale même pour des non anglophones grâce aux icônes. Sinon la VF devrait être disponible en fin d'année grâce à 500NG ;)