La télé fait rêver. Encore. Souvent. La télé donne de l’espoir. Souvent. Encore. C’est étonnant. Enfin, cela m’étonne. La télévision n’a plus grand-chose à apporter à qui que ce soit. Si ce n’est en rire. En sourire. Pour s’en convaincre, il suffit de regarde l’épisode 7 de la version française de « The Apprentice » pas diffusée sur M6. Oui. Pas diffusé, car tellement peu regardé que la chose a été déprogrammée. Pour la voir, il faut aller sur internet, en Replay. Et je l’ai regardée. Pourquoi, mais pourquoi pauvre fou. Parce qu’il était question de jeu de société et que des pontes du secteur ont « joué » le jeu.
The Apprentice.
Le principe nous vient des États-Unis de l’Amérique. L’idée est simple. Une espèce de Koh lanta, mais version entreprise. Au lieu d’être en slip sur une plage, les candidats sont déguisés en cadre dynamique. Ceux à qui le monde appartient parce qu’ils se lèvent tôt, travaillent 52h par semaine, font de sourires au patron tout en poussant leurs collègues dans les escaliers. Le vainqueur de cette mascarade obtiendra un poste important dans une entreprise importante dirigée par un patron important. Enfin, quand on a des notions de relativité, on se dit que cette « importance » n’a d’égal que la puissance, d’intelligence du regard convaincu du « boss » qui chapeaute tout cela. Surtout après avoir lu le statut de Monsieur Marcus, le spécialiste des jeux vidéo, sur les réseaux sociaux à son sujet. Il est gentil pourtant d’habitude, Monsieur Marcus. Bref, une émission de télé-réalité qui, quand on connaît un peu la chose audiovisuelle, n’a de réalité que le nom.
Je ne regarde jamais ces merdes de téléréalité, mais j’ai failli tomber de mon siège quand j’ai vu au zapping Bruno Bonnel, ex PDG d’Infogrames, se présenter comme un capitaine d’industrie de haut niveau ayant créé de nombreuses entreprises (et en ayant coulé pas mal aussi), prêt à donner des conseils aux candidats de “The apprentice” et à les juger.
C’est un peu comme si on choisissait Jean Benguigui pour conseiller des jeunes talents comiques, Jean-Marc Morandini pour juger de la qualité d’émissions télé (Quoi ??? Ils l’ont vraiment fait ???) ou moi pour coacher des champions d’E-sport !
C’est juste le gars qui avec ses “Bruno Bonnel présente” et sa mégalomanie rampante a réussi à flinguer la licence “Alone In the dark” (qui a inspiré ensuite Resident Evil), qui nous a infligé des “Tintin”, “Lucky luke” et “Les Schtroumfs” a la chaine dans les années 90, et qui a réussi à plomber la licence “Matrix” en jeu vidéo… sans parler de la période où Infogrames avait mis la main sur Game One!
Je suis donc bien content de voir que cette émission de merde s’arrête !Marcus, 18 septembre - Facebook
Le calvaire.
Je me suis tapé les 60 minutes de l’émission. Oui, tapé. C’est le mot. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de programme et je sais pourquoi. C’est du vide. Du néant. On n’apprend rien. On ne fait fonctionner aucun neurones. La chose pourrait durer 10 minutes, mais ils font trainer sur 1 heure. Bon, j’avoue, j’ai usé de l’avance rapide. Et j’ai hésité tout le long. J’en parle. Je n’en parle pas. J’en parle… L’émission est tellement pathétique, tellement contre-productive, tellement ridicule que j’ai hésité entre laisser la chose disparaitre à tout jamais dans les limbes infinies de l’histoire de la télé ou en profiter pour donner mon point de vue sur cette fascination, cette croyance qu’apparaître dans un média de masse est un truc cool qui fait du bien. Si vous lisez ces lignes, vous connaissez mon choix.
Flop.
Dans cet épisode, les 8 clampins, dont certains avouent ne pas avoir touché à un jeu depuis des années, sont, après un brainstorming ridicule, lâchés chez des pros du ludique (FunForge et Cocktail Games) pour faire la maquette de leur jeu « innovant et original ». Ils seront ensuite jugés par un jury de spécialistes, d’experts (Croc des Space Cowboys, Tom Vuarchex de Jungle Speed, Madame Adeline d’Asmodee, Madame Helene de Plato et Michel Deprade du CNJ). Moi, j’ai la décence de les présenter. Au moins.
Avant la diffusion, avant le montage final, j’avais eu de petites conversations avec quelques-uns de ces acteurs. Je ne vous rapporterais pas leurs propos, mais je peux vous dire que le compte rendu de leur expérience me semble à des années-lumière du résultat final.
Chez Cocktail Games, brainstorming pour “Team Building”. Tout ce tient puisque Cocktail Games est un peu le spécialiste de la chose.
Heureusement que l’émission a fait un flop. Oui. Heureusement. Car à la fin de l’épisode, que va penser le spectateur qui ne connaît pas le secteur ludique ? Simple : inventer un jeu, créer un jeu « innovant » et à « potentiel » ne demande que 24h. Pas plus. Ben oui. Le jury s’est amusé. On se concentre, rie, s’amuse. On les entend même dire que c’est pas mal, voire innovant. Quand on les connaît, quand on connaît le secteur, on sait bien qu’il n’y a absolument rien d’innovant. Pire, on voit parfaitement les petites « tricheries ».
Faire un jeu innovant ?! Facile, laissez moi 24h…
Lors des Brainstormings, un candidat a une idée. Magique. On poserait une question et les joueurs voteraient avec des « Oui » et des « Non » et après on révèle, mais on ne sait pas qui a voté quoi… Bim, elle vient d’inventer « Privacy ». Elle n’aurait pas joué, chopé une boite sur un coin de bureau ? Malheureusement, elle n’a pas bien su expliquer la règle, les autres ont rejeté l’idée. Pourtant, « Privacy » est un bon jeu. Un autre a une bonne idée, « on va l’appeler « devinetoo », avec 2 o ! ». Mince, il n’y aurait pas une boîte de « Mimetoo » dans un coin du bureau Cocktail Games ? Et Monsieur Croc qui dit des choses face caméra lors du vote et qu’on a coupé et remplacé par une voix off qui raconte un autre truc… Évidement les prototypes sont classes, FunForge et Cocktail Games ont fait du bon travail, s’appuyant sur des boulots qu’ils avaient déjà plus ou moins fait afin de gagner du temps.
Chez FunForge, mise en page de “Keskidi !?”. oui, c’est le nom innovant.
Mais ce que je retiens, ce que j’aime par-dessus tout, c’est cette sentence de l’un des candidats dont le jeu n’a pas été retenu. « On a une vision très moderne qu’ils n’ont pas forcément. ». Oui. Je crois que le truc c’est ça. Je n’osais pas le dire à Monsieur Croc, il n’est plus très moderne.
On a une vision très moderne qu’ils n’ont pas forcément.
Un candidat à propos des experts du jeu de société.
Il suffit.
Je comprends l’envie, l’idée qui pousse à aller vers ce genre d’émission. Vers la télévision. On pense que l’on va en tirer un bénéfice, que cela va faire du bien au secteur, le mettre en lumière. On est persuadé que, même si on est conscient qu’il y a montage, surtout si l’on est conscient qu’il peut y avoir traficotage, on va s’en sortir. Mais non. On ne gagne pas souvent à fricoter avec les médias généralistes. Les seuls moments où cela peut marcher, c’est quand la bienveillance du demandeur est évidente. Claire. Et encore. Je fais partie des gens qui pensent que vouloir à tout prix occuper l’espace généraliste, s’y employer ardemment, ne sert pas à grand-chose si ce n’est flatter son égo. Et pourtant j’en ai un d’énorme.
Heureusement, nous pouvons en rire, nous en amuser. Parce que tout cela ne causera de tort à personne. Finalement. Alors si vous voulez rire, si vous avez 1 heure de votre vie à perdre, vous pouvez aller voir la chose en replay. Et quoi qu’il en soit, on les aime bien, nous, on connait leur valeur, nous, à ces professionnels et experts du jeu.