C’est un fait indéniable, l’abstrait n’est plus le style de jeu le plus vendu aujourd’hui, et celui-ci intéresse pmoins les éditeurs, ou seulement quelques irréductibles, alors qu’il est toujours bien présent auprès des jeunes (et moins jeunes) auteurs. Alors comment faire pour réussir à rendre intéressant ses jeux abstraits, de faire d’eux des jeux que l’on remarque, la solution est simple : il faut les thématiser.
Le temps des jeux abstraits est révolu, s’il arrive encore de voir passer quelques jeux sur nos étals comme Voldétour ou Ovo, ces derniers se font de plus en plus rares. Cependant, la frontière entre un jeu abstrait ou thématisé est parfois très mince, un jeu comme Hive peut être considéré comme un jeu abstrait même s’il dispose d’un thème, tant celui-ci est quasi transparent. Pourtant, ce thème vient parfaitement appuyer la mécanique de jeu avec des insectes ou arachnides aux pouvoirs cohérents. Toutefois, l’on voit bien que sous cette coquille se cache un jeu aux mécaniques abstraites, mais il serait injuste de dire que le thème a été plaqué, il a été judicieusement ajouté. Si l’on prend le jeu Code de Vinci, le nom fait penser au célèbre inventeur, pourtant rien dans le jeu ne s’y réfère, ni les pièces, ni la boite, rien ! Ici le thème est carrément inexistant. Ce qui veut dire qu’un jeu peut très bien contenir des couleurs et des symboles sans pour autant être thématisé, c’est le cas par exemple de Qwirkle, les symboles de couleurs n’en font pas pour autant un jeu thématisé. Un exemple de jeu abstrait thématisé : Taluva. Dans celui-ci le fait de construire et d’étendre son territoire se fait de façon bien plus logique avec le thème choisi, l’extension de diverses tribus aborigènes.
Un exemple Taluva
Je pense que vous avez maintenant saisi le principe et que vous délimitez mieux les minces frontières qui existent entre abstrait, thème, et mécanique.
Le constat est donc simple pour rendre un jeu abstrait visible (je préfère ce terme à intéressant), il faut lui mettre un thème. Mais attention pas n’importe quel thème prit au hasard, il faut que celui-ci colle parfaitement aux mécaniques du jeu, et cela peut s’avérer une tâche assez ardue. Un bon thème qui sied à votre jeu, est un thème que l’on ne peut pas dissocier de votre création. Dans la mesure du possible si vous voulez sortir un peu des sentiers battus évitez donc les thèmes trop généralistes et interchangeables comme la fantasy (au sens large) ou le space opera (là aussi au sens galactique). Si vous décidez de faire un jeu ayant pour thème la fantasy, ne restez pas cloisonné, poussez les murs et proposez un jeu de chasse aux trolls dans des contrées enneigées, ou la gestion d’une boutique itinérante sur un marché. Mais évitez également de prendre un thème peu séduisant, comme la mutation des serpents, ou de niche comme la révolution électorale de 1752 en Jejouauli. Un bon thème doit être un thème qui parle et qui s’intègre jusqu’à devenir presque transparent, une fois la boite ouverte et la première partie commencée. Un thème doit attirer l’œil, mais pas tirer la couverture à lui. Il doit être le carton d’invitation et non l’hôte.
Qwirkle et ses cubes de couleurs
Bien entendu tous les jeux ne sont pas thématisables, je vois mal Quarto être thématisé, on aurait envie de dire de même pour tous les jeux de cette gamme, et pourtant en creusant un peu on voit que l’on pourrait très bien thématisé certain, comme Inside où les cubes pourrait être des polygones, ou bien posséder des visages de petits monstres. Pylos pourrait très bien avoir pour thème un concours ou deux peuples se battent pour les faveurs d’un dieu, le dieu Bouboule. Même si ajouter ces thèmes peut sembler assez pittoresque et inutile tant ces jeux se suffisent à eux même. Cette thématisation serait pourtant quasi obligatoire s’ils étaient présentés de nos jours.
Certes trouver un thème n’est pas simple, aussi bien au niveau de l’univers choisi que de sa réalisation ou du style à adopter. Et les débutants choisissent souvent l’abstrait pour sa facilité (parfois même involontairement), sans se rendre compte de la répulsion que cela peut provoquer chez certains éditeurs. Certes ces mêmes débutants entrent dans la création pour leur plaisir, et ne pense à éditer leurs jeux que sous les conseils de leurs proches, et donc souvent sans connaitre le monde de l’édition et ses règles (ligne éditoriale, spécialité, marché, public, etc.). Mais l’abstrait est aussi séduisant, car il se passe d’habillage, de recherche de thème. Cela s’explique de manière plus que logique si le créateur part d’une mécanique et non d’un thème pour créer son jeu, dans ce cas le fait d’ajouter un thème ne viendra pas forcément spontanément, car dans la tête de l’inventeur cette thématisation ne se fera pas naturellement, sortant déjà du cadre de la création de son jeu.
Inside et ses cubes en bois
Pourtant, ajouter un thème à ces jeux ne pourrait que leur être utile, certes cela demande du travail, mais thématiser un jeu (dans la mesure du possible) ne peut être qu’une bonne chose. Commencez par étudier les jeux semblables au vôtre pour voir les thèmes qui ont déjà été utilisés, car c’est le thème qui sera visible en premier lorsque vous présenterez vos jeux.
Si vous n’avez aucune idée des thèmes possibles, rendez-vous sur Jedisjeux pour les découvrir, et ainsi vous donner quelques pistes. Une fois le thème choisi, voyez si celui-ci s’intègre bien dans votre jeu, et ce n’est pas le cas changez le tout simplement. Si le thème convient, essayez de voir si ce thème ne peut pas interagir avec les mécaniques et les règles, en leur ajoutant une plus value. Une fois tout ceci fait, essayez de trouver des éléments graphiques pour vos pièces, tuiles, plateaux et autres éléments de votre jeu. S’il n’existe rien, n’hésitez pas à les créer ou à demander à un tiers.
Polarity, un jeu abstrait dans la plus pure tradition
Quelques exemples de thématisation possible.
Pour un jeu de majorité avec des pions, vous pouvez très bien ajouter un thème plus « conquérant », ici les périodes ou les inspirations ne manquent pas : chevalier, guerre, bataille fantaisiste, conquête spatiale. Ce ne sont que des exemples classiques, on pourrait très bien proposer un jeu où deux troupes de grenouilles se battent pour avoir le contrôle de la mare, ou proposer un jeu avec des enfants préparant un gâteau sur lequel il faut placer le maximum de bonbons. Grâce à ces thèmes, il est aisé d’ajouter des éléments de gameplay, pour le jeu avec les grenouilles on peut imaginer qu’il soit possible de rapprocher les nénuphars avec leurs langues, pour celui des gâteaux on peut très bien ajouter de la farine qui recouvre les bonbons, etc.
Pour un jeu d’empilement vous pouvez vous appuyer sur les grandes civilisations, si le thème de l’Égypte est un peu épuisé, celui des temples amérindiens l’est sont déjà moins. Ou pourquoi pas partir sur une base plus spatiale, avec la construction d’une base sur la lune, tout est permis !
Vous l’aurez compris les exemples sont nombreux et rien ne vous empêche de puiser dans des thèmes plus originaux, moins caricaturaux ou épuisés.
N’hésitez pas ensuite à tester et retester votre jeu bien sûr, mais également à le faire jouer par des personnes ayant joué à l’ancienne version afin que ces dernières vous donnent leur ressenti et vous expriment leurs avis face aux deux versions.
Malgré tout cela il faut garder à l’esprit qu’il n’est pas rare qu’un éditeur modifie le thème choisi par l’auteur pour en mettre un autre plus vendeur. C’est une chose courante et cela ne doit pas vous empêcher de thématiser vos jeux et donc de leur donner plus de chances d‘être visibles.
Cependant si thématiser un jeu n’est pas obligatoire, cela ne peut que lui apporter plus de chance, et même si cela demande plus de travail, je pense que le jeu en vaut en chandelle.
Si vous recherchez d’autres conseils, ou que vous avez tout simplement envie de lire d’autres articles, je vous invite à vous rendre sur Les 1D Ludiques.
A très bientôt pour un nouvel article